Extraits de la Lettre de M. Arnauld à Monseigneur l’Archevêque de Paris

« Monseigneur,

Quand mon devoir et mon inclination ne me porteroient point à vous rendre compte de ma conduite comme à mon Archevesque, les bruits que l’on fait courir de ma retraitte m’y obligeroient dans cette rincontre, par ce qu’il n’y a personne qui soit mieux informé que vous des diverses choses qui m’en ont donné la pensée, et que ice lieu d’espérer que vous aurez la bonté de representer à sa Majesté combien les raisons qui m’ont fait prendre cette resolution sont esloignées de celles qu’on m’attribue. Je ne doute point Monseigneur que vous ne luy ayez faire scavoir qu’aussy tost que j’eus appris qu’elle trouvoit bon que je ne demeurasse plus au fauxbourg St Jacques, je me suis mis en devoir de luy donner sans retardiment des preuves de mon obeissance; mais comparant ce désir de sa Majesté aux ordres qu’elles avoit daigné me faire donner de ne pas souffir qu’on tinst des Assemblées chez moy, j’ay bien veu que ce ne pouvoit estre que pour celà qu’elle souhaittait que je changeasse de logis. Et c’est ce qui m’a jotté dans une plus grande inquiétude, car estant assuré qu’il ne s’estoit point tenu chez moy d’assemblées et qu’ainsy la pensée que le Roy en a eüe n’a pu venir que de ceux qui me persécutent depuis près de 40 ans; luy ont fait passer pour des Assemblées qui doivent estre suspendues, les visites de mes parens, de mes amis ou de ceux qui viennent me consulter ou sur des difficultés de conscience ou dans la pensée qu’ils ont de se convertir à la Religion catholique, ou quelques fois mesmes sur des affaires de Sciences. Je n’ai pu voir a quoy ce changement de demeure me pourroit servir pour oster a mes ennemis l’occasion de me calomnier auprès de sa Majesté et de changer les anciens reproches en cette nouvelles accusation de cabale a quoy vous avez eu la bonté de me faire entendre que se réduisait maintenant ce que l’on disait de moy.

C’est une obligation, Monseigneur, que je vous ay et dont je vous seray toujours très reconnoissant. Vous avez bien voulu me faire entendre que si vous aviez fait souffrir par l’ordre du Roy a des personnes qui m’estoient si estroitement amies, un traitement assez rude, ce n’estoit pas a cause de ma doctrine, dont le Roy ne se rend pas le Juge, mais que ce qui avoit deplu a sa Majesté est qu’il paroissoit dans ma conduite un certain air de cabale qui luy donnoit de justes soupçons contre le party dont on me regardoit comme un des principaux chefs; que ma Maison ne désemplissoit point de monde, que s’il y avoit quelques ecclesiatiques rencontrés dans les provinces, il s’adressoient a moy, comme on l’avoit reconnu par des lettre interceptées, que l’on estoit informé de tout ce qui se faisoit chez moy, des personnes qui y venoient et des discours qui sy tenoient par des gens que je coyois de mes amis, et qu’il ne s’y passoit rien dont le Roy ne fut averty.

Je vous rens grâce, Monseigneur, de m’avoir fait donner vos advis, mais plus j’y fais de reflexion, plus je reconnois qu’en quelque lieu de Paris que je demeure on aura joujours le mesme pretexte de me rendre ces mauvais offices auprès de sa Majesté, car vous voyez bien Monseigneur, que pour loger en un autre quartier qu’au Fauxbourg St Jacques, celà n’empeschera pas que les mesmes personnes ne m’y viennent voir, et que les Ecclesiastiques des provinces ne m’escrivent s’il leur en prend fantaisie. On aura donc toujours la mesme [...?...] de rendre ma conduite suspecte a sa Majesté en luy faisant croire que je continue toujours a tenir des Assemblées préjudiciables à son service en supposant que je suis trahy par des gens en qui je me confie...[etc.].

Mais n’ayant jamais eu, ny moy ny tous ceux de ma famille qu’un role ardent et une indubitable fidélité pour le service du Roy, il me doit estre assurement bien sensible que des médisances si mal fondées me fassent passer dans son esprit pour un homme d’Intrigue et de Cabale sur qui on doive veiller pour prevenir les maux que je pourrois faire à l’Estat...[etc.] Cependant, il faut que les intrigues de mes ennemis ayent esté bien artificieuses et bien [...?...] s’ils sont venus à bout de la chose du monde a plus incroyable et la plus hors d’apparence; car qui pourroit s’imaginer que l’apprehension des prétendues cabales d’un simple théologien sans bien et sans appuy et que 24 années d’une vie cachée doivent avoir rendu fort mal propre a cabaler dans un estat, ait pu occuper un seul moment une aussy grande ame que celle du Roy, qui n’a pas craint toute l’Europe conjurée pour arrester ses conquestes, et qui ne les a bornées que par une paix glorieuse dont il a luy mesme prescrit toutes les conditions et toutes les loix.

Mais il y a suiet d’esperer que ces craintes des troubles que je pourrois causer par mes intrigues se dissiperont, quand on n’aura plus lieu de les entretenir en faisant des contes de moy [...] quand je serai inconnu au monde.

On espère, Monseigneur, que vous contribuerez de vostre part pour ce qui vous sera possible, puisque vous aviez assez fait entendre que ce n’a esté qu’a regret que vous avez executé ces premions. Pour moy, je m’estimerois trop heureux si je puis croire d’avoir donné quelque occasion à cet heureux changement en me dérobant à la veüe des hommes pour n’estre plus exposé à des medisances qui ont eu des effets deplorables et en sacrifiant au renouvellement du calme et de la paix de l’Eglise, la plus douce consolation qu’on puisse avoir en ce monde qui est de vivre avec ses amis et de mourir entr leurs bras. Je ne scaurois croire, Monseigneur, que vous n’approuviez cette resolution, mais je vous serois infiniment obligé, si vous voulez laisser entendre à sa Majesté que les raisons qui me l’ont fait prendre et la confiance que j’ay qu’elle la regardera comme une des plus grandes marques que je pouvois luy donner de mes respects et de mon obeissance, puisque je ne puis executer plus fidellement que par ce moyen ce qu’elle a temoigné désirer que je vécusse sans bruit, et sans attirer trop de monde dans ma maison. Je suis, Monseigneur, vostre Serviteur 885  ».

Notes
885.

Mss. fr., n.a., 4385, feuillets 61à 68. Recueil d’Anecdotes ou Recueil de plusieurs pièces qui n’ont point été imprimées ni divulguées, 1708, Cl. Cavoli Desrenaut.