Introduction générale de la thèse : La transmission internationale des chocs monétaires

Dans le tome (2) Le couvent de la lune de l’ouvrage Le Seigneur de la soie de Carole Dagher (2004), nous pouvons lire : « Devenu l’un des plus importants producteurs de soie du Liban, Francis Nassif fait la connaissance d’une riche veuve venue de Lyon pour lier quelques accords commerciaux avec les soieries locales. La belle Agnès, au firmament de sa trentaine à peine consommée par un mari trop vieux et trop occupé, succombe au bel oriental. Leur idylle les emmène jusqu’à Lyon où Francis découvre l’extraordinaire décalage entre le Levant et l’Europe, tant du point de vue industriel qu’économique. Il y est introduit dans les cercles bourgeois puis aristocrates et donc politiques. Rencontre Lamartine, que son père a jadis connu lorsque le poète visitait le Liban, s’amuse de quelques piques lancées par le poète-député dans l’hémicycle pour dénoncer la politique désopilante de Louis-Philippe vis-à-vis du Moyen-Orient en général, et du Liban en particulier. Révolté dans l’âme et assoiffé de justice, Francis scelle toutefois sa perte en sympathisant avec les canuts de la Croix-Rousse, sabordant ainsi sa liaison avec Agnès et ses entrées dans le beau monde. Chassant d’un revers de la main le mépris bourgeois, il s’en retourne dans son pays avec tout le savoir acquis dans la capitale des Gaules. Il fonde un empire qui lui vaudra le titre « Seigneur de la Soie ». Auréolé de son titre, de sa fortune et de son nouveau prestige, il ose demander la main de celle qui l’a toujours attendue, Yara, la fille de l’émir Abillama, dont il était, finalement, secrètement amoureux depuis qu’il avait croisé la fille insolente lors d’un dîner … » 1 .

Ces lignes d’un (très beau) roman historique cachent une série de transmissions internationales de chocs économiques, qui commencent dans la capitale des Gaules, Lyon, et transitent au pays des cèdres. Le premier choc vient longtemps avant cette histoire. Vers 1650, sous l’influence de Colbert, le marché de la soie brute lyonnaise réalise une forte croissance et pousse les producteurs à installer leurs usines dans la montagne libanaise, sur le chemin de la soie entre l’Inde et la France, créant ainsi des milliers d’emplois au Liban et affectant la structure même de l’économie libanaise. Deux cents ans plus tard, la révolte des tisserands de soie lyonnais (appelés canuts), qui provoqua un choc négatif de la production de soie française, se transmit positivement au Liban, qui se trouva alors au premier rang des fournisseurs de soie de l’époque, en raison de la baisse de la production française, concentrée principalement à la Croix-Rousse à Lyon. C’est grâce à cette révolte que Francis et d’autres industriels libanais de l’époque firent fortune (et épousèrent de jolies femmes !).

La transmission internationale des chocs économiques au Liban est un phénomène permanent dans l’histoire économique du pays. Au 20ème siècle, les guerres israélo-arabes et les chocs pétroliers se transmirent positivement à l’économie libanaise, qui offrit refuge aux capitaux et hommes (Iskandar et Ouwaïss, 2002). Petite, libérale, ouverte aux flux de capitaux et bien intégrée à l’économie mondiale, l’économie libanaise est également affectée par les chocs monétaires internationaux, notamment américains. La transmission internationale des chocs monétaires US à l’économie libanaise, et à l’économie mondiale en général, est le fait des grands changements planétaires des 40 dernières années : les capitaux sont devenus très volatils, les marchés financiers sont de plus en plus intégrés, la dollarisation est de plus en plus répandue, surtout dans les pays émergents (Saxton, 2000). De même, le dollar a confirmé son rôle dans les échanges internationaux, malgré la dépréciation de son cours et la mise en place de l’euro (Goux, 2003).

Tous ces éléments ont modifié le processus de transmission internationale des chocs monétaires. En conséquence, les variations de la quantité de monnaie aux Etats-Unis affectent de plus en plus les pays du reste du monde. Elles affectent ainsi les mouvements de capitaux, notamment vers les pays émergents (Saxton, 2000). Elles contribuent également, d’une manière ou d’une autre, aux crises économiques et financières au niveau planétaire. Elles se transmettent aussi aux taux d’intérêt et aux taux de change internationaux (Mundell, 1963), Dornbusch (1976). De même, elles modifient les équilibres économiques mondiaux, d’autant que l’économie américaine est, avec l’économie chinoise, la locomotive de l’économie mondiale.

Notes
1.

Dagher (2004), page 342.