L’objet de la thèse

Dans cette thèse, nous étudions « la transmission internationale des chocs monétaires » à l’économie mondiale, en particulier au Liban. Par « choc », nous désignons les chocs économiques exogènes (Mankiw, 1999), (Abraham-Frois, 1995). Ces chocs, qui proviennent des variations exogènes des facteurs réels ou monétaires, sont divisés en deux grandes parties : les chocs non monétaires et les chocs monétaires.

Par chocs « non monétaires », nous désignons les chocs de demande (Canova et Marrinan, 1998), de prix, de technologie (Mankiw, 1999), etc. Par « choc monétaire », nous désignons les variations non-anticipées et exogènes de la quantité de monnaie. Ces chocs peuvent être l’œuvre des autorités monétaires (il s’agit dans ce cas d’un choc de politique monétaire), du système bancaire, des agents privés, des préférences des acteurs financiers, des réglementations, des pratiques commerciales et financières, etc. Nous reviendrons en détail sur les deux types de chocs (non monétaires et monétaires) dans la première Section du Chapitre (1).

Dans cette thèse, nous essayons de répondre à la question suivante : qu’est-ce qui se passe dans le reste du monde lorsque la quantité de monnaie dans une grande économie, comme les Etats-Unis, s’accroît soudainement ? Comment réagissent les variables étrangères, réelles et nominales : le taux d’intérêt, le revenu, la balance courante, le taux de change ?

Afin d’étudier la transmission internationale des chocs monétaires, nous devrons régler les problèmes que pose cette question. Les difficultés sont en effet nombreuses et proviennent en général des principes théoriques adoptés. Ainsi, si depuis Mundell–Fleming, les auteurs privilégient l’étude du sujet en économie ouverte, le consensus est moindre sur le cadre à choisir. La plupart des économistes, comme (Kim, 1999, 2001), (Kim et Roubini, 2000), etc. ont étudié (et continuent à étudier) la question sous l’angle du change flottant et de vente dans la monnaie du pays du vendeur. Autrement dit, ces auteurs ont explicitement donné au taux de change un rôle principal dans le mécanisme de transmission internationale, même si certains comme Kim (2001) ont attribué ce rôle au taux d’intérêt.

Un autre aspect de la transmission internationale des chocs monétaires, celui de la concurrence monopolistique, a fait l’objet de quelques publications, comme par exemple le travail de Svensson et Wijnbergen (1989), mais la littérature les ignore en général, écartant de la sorte un phénomène économique réel de l’analyse du sujet.

Un troisième aspect de la transmission internationale des chocs monétaires est celui de la vente dans la monnaie du pays de l’acheteur, cadre original, et qui correspond dans la réalité à une pratique largement répandue dans le monde entier (Faruqee, 2004), (Bhattacharya et al., 2003). La prise en compte de ce constat modifie dans certains cas, et de manière radicale, les résultats de la transmission internationale des chocs monétaires, et remet en cause un grand nombre de préceptes et de résultats (Krugman, 1987), (Betts et Devereux, 1996, 1999, 2000, 2001), (Otani, 2002).

Pour toutes ces raisons, nous tenons compte dans cette étude de la transmission internationale des chocs monétaires des trois grands axes de réflexion : celui de la vente dans la monnaie du pays du vendeur (producer’s currency pricing, PCP), et ceux, moins documentés et connus, de la concurrence monopolistique (Obstfeld et Rogoff, 1995) et de la vente dans la monnaie du pays de l’acheteur (pricing-to-market, PtM).

Plus précisément, notre problématique est la suivante : dans quelle mesure la concurrence monopolistique et le pricing-to-market modifient-ils le processus de transmission internationale des chocs monétaires ?

Afin de compléter notre travail, nous plaçons la thèse dans le cadre de la « nouvelle économie keynésienne », en privilégiant le principe de la rigidité à court terme des prix à celui de la flexibilité, et en adoptant l’hypothèse selon laquelle les anticipations des agents économiques sont rationnelles. Une autre hypothèse sous-jacente à notre thèse est le défaut de coordination entre les économies de marché (Blinder, 1994). Nous reviendrons dans le Chapitre (2) sur la question de la coordination internationale des politiques monétaires pour montrer que celle-ci, bien qu’existante (Allégret, 1997), ne peut pas entraver le processus de transmission internationale des chocs monétaires, notamment au niveau du taux d’intérêt (Kim, 2001). Parmi les préceptes de la nouvelle économie keynésienne guidant notre thèse figure la théorie de la concurrence imparfaite (Krugman et Obstfeld, 2000), cadre conceptuel de la concurrence monopolistique et du pricing-to-market.

Notre thèse s’inscrit également dans le cadre de la « nouvelle macroéconomie en économie ouverte ». Ce programme de recherche intègre les fondements microéconomiques, la rigidité des prix et les imperfections du marché au centre des modèles d’équilibre général en économie ouverte. Les modèles inter-temporels disposent de plusieurs atouts par rapport aux modèles Mundell–Fleming, malgré la domination continue de ces derniers sur la littérature de l’économie ouverte. Plus précisément, les fondements microéconomiques permettent de rendre les modèles de la transmission internationale des chocs monétaires plus explicites. Ainsi, la prise en compte du pouvoir de marché dont disposent les agents économiques permet d’aller plus loin dans l’analyse, en intégrant la concurrence monopolistique et le PtM dans l’étude des effets des chocs monétaires sur les variables, réelles et nominales, nationales et étrangères. Nous reviendrons sur le modèle de la concurrence monopolistique dans le Chapitre (1) et débattrons de la rigidité des prix 2 . En adoptant le principe néo-keynésien de la concurrence imparfaite, la nouvelle macroéconomie en économie ouverte s’oppose au rôle que joue la concurrence parfaite dans la transmission internationale des chocs monétaires (où les agents sont preneurs de prix), et accorde au pouvoir monopolistique des entreprises la possibilité d’affecter les décisions de prix. Les chercheurs associent le nouveau programme de recherche sur la transmission internationale des chocs monétaires au travail novateur d’Obstfeld et Rogoff (1995), qui ont étudié les effets de ces chocs en incorporant les aspects microéconomiques 3 . Outre son importance scientifique, le travail d’Obstfeld et Rogoff ouvre la voie à l’incorporation du PtM dans l’étude des effets des chocs monétaires sur les variables nationales et étrangères. Il ne serait pas exagéré de dire que le travail d’Obstfeld et Rogoff (1995) est la pièce angulaire dans la construction du nouveau programme de recherche sur la transmission internationale des chocs monétaires. Pour mieux préciser ce point, nous signalons, qu’en étudiant les effets d’une hausse non-anticipée et permanente de l’offre de monnaie domestique, Obstfeld et Rogoff (1995) constatent que cette hausse provoque un accroissement du revenu national et de la consommation. Le taux d’intérêt mondial diminue, et la dépréciation nominale de la monnaie se traduit par une baisse des termes de l’échange nationaux. Ces deux facteurs conduisent à la hausse de la consommation étrangère. Cependant, l’impact du choc monétaire sur le revenu étranger est ambigu, car la consommation agrégée et les prix relatifs varient dans des sens opposés. Entre-temps, la balance courante nationale enregistre un excédent. Une autre caractéristique importante du modèle d’Obstfeld et Rogoff, mettant en avant son rôle central dans l’étude de la transmission internationale des chocs monétaires, est l’interprétation qu’il donne de la rigidité nominale des prix. Dans la littérature, cette rigidité est une caractéristique exogène due à l’environnement (Blinder, 1994), (Dornbusch, 1976). Avec Obstfeld et Rogoff, la rigidité nominale devient le fait des entreprises, qui fixent simultanément leurs prix une période à l’avance. Cette supposition, quoique arbitraire (mais convaincante parce que les prix s’ajustent après une période), est l’une des caractéristiques du travail du « Redux » (le modèle d’Obstfeld et Rogoff en question). Une autre caractéristique de ce modèle est le fait que la loi du prix unique soit toujours vérifiée. Cette supposition, rejetée dans la réalité par Engel (1999, a), Engel et Rogers (1996) et bien d’autres chercheurs comme nous verrons dans le Chapitre (1), a ouvert la voie à différentes explications de la déviation à la PPA, et permis d’intégrer la segmentation des marchés et le PtM dans l’étude de la transmission internationale des chocs monétaires (Betts et Devereux, 1996, 1999, 2000, 2001). Le rôle central du « Redux » porte aussi sur les préférences des ménages. La liste des paramètres comporte : l’élasticité inter-temporelle de substitution, les élasticités de substitution entre des variétés différentes d’une seule catégorie de biens, les élasticités de substitution entre les produits domestiques et étrangers, les élasticités de substitution entre le revenu et le loisir, etc. Notons que le « Redux » ne fait pas de distinction entre les préférences pour les produits nationaux et étrangers 4 .

Notes
2.

Dans notre étude de la concurrence monopolistique, nous ne revenons pas sur le modèle de Blanchard et Kyotaki (1987), très connu, mais abordons d’autres modèles plus récents et se rattachant directement au sujet de notre thèse (Obstfeld et Rogoff, 1995), (Svensson et Wijnbergen, 1989).

3.

En étudiant de près la question, nous constatons qu’une partie du succès de ce programme revient à Svensson et Wijnbergen (1989), qui ont intégré la rigidité des prix, établie sur des bases microéconomiques solides, dans un cadre inter-temporel. Nous reviendrons sur les travaux d’Obstfeld et Rogoff (1995) et de Svensson et Wijnbergen (1989) dans les Chapitres (1) et (2).

4.

En revanche, Svensson et Wijnbergen (1989) supposent que les biens nationaux et étrangers sont substituables jusqu’à un certain degré seulement.