Les chocs d’offre de monnaie

Dans la littérature, les chocs monétaires ne sont pas clairement définis, mais les modélisations utilisées dans l’étude de la transmission internationale de ces chocs correspondent, soit à des chocs d’offre de monnaie, soit à des chocs de taux d’intérêt, soit à une combinaison des deux 29 . Plusieurs questions sont posées dans ce cadre. Les chocs de M1 peuvent-ils être assimilés à des chocs de politique monétaire ? Les chocs d’offre de monnaie et de taux d’intérêt sont-ils les seules composantes des chocs de politique monétaire ? 30 M2 joue t-il un rôle dans les chocs d’offre de monnaie ? 31

Lucas étudie les « chocs monétaires » et suppose, selon Abraham-Frois (1995), que « l’offre de monnaie fait subir au système des « chocs » qui vont engendrer des fluctuations cycliques » 32 . Dans ce cas, le coup de bâton de l’apologue du cheval à bascule serait d’origine monétaire. Supposons que la règle de création monétaire soit la suivante.

mt = αyt–1 + μt

(m) désigne l’offre de monnaie (en log) et (y) la production (en log). L’offre de monnaie de la période (t) varie en fonction du niveau de production de la période antérieure et d’une variable aléatoire (μt) que personne ne peut prévoir. Ainsi, la création monétaire possède une composante systématique (donc prévisible) qui dépend de la production, et une autre composante imprévisible. Cette seconde composante est à l’origine du choc monétaire. Dans le cas d’un choc monétaire, les agents sont confrontés à un double problème. Ils ne savent pas, en premier lieu, si la hausse des prix est provisoire ou permanente, et ignorent, en second lieu, si cette hausse est spécifique ou générale. Selon Lucas, si l’augmentation des prix qui suit le choc monétaire est considérée par les agents comme provisoire et spécifique à un produit, le producteur accroît son offre. En revanche, si l’augmentation des prix qui suit le choc monétaire est permanente et générale, le producteur réduit son offre. Mais comment le producteur détecte t-il le caractère permanent ou provisoire de l’augmentation du prix du produit qu’il offre sur le marché ? La prévision de l’évolution des prix futurs devient très complexe lorsque les chocs monétaires sont imprévus. Abraham-Frois précise qu’« une partie de cette variation peut être interprétée, à tort, par le producteur comme une variation de son prix relatif ; le choc monétaire peut avoir, de ce fait, des conséquences réelles » 33 . La première caractéristique des chocs monétaires est donc leur caractère non-anticipé et imprévisible. Nous retrouvons l’idée d’un choc monétaire désignant une variation « non-anticipée » de l’offre de monnaie dans les généralisations du modèle Mundell–Fleming, comme Turnovsky (1981), Marston (1985), Dornbusch et Giovannini (1990), Krugman (1993), McCallum (1989), etc.

Nous avons déjà précisé précédemment que, lorsqu’un choc monétaire est l’œuvre de la banque centrale et non d’autres facteurs (système bancaire, agents privés, etc.), il s’agit d’une variante des chocs de politique monétaire. Afin de définir les deux chocs (offre de monnaie et taux d’intérêt), Kasumovich (1996) part de la théorie de demande de monnaie à long terme et utilise un certain nombre de restrictions. La théorie de la demande de monnaie est inspirée de Friedman (1956), qui constate que la demande de monnaie est temporairement stable. D’après ce raisonnement, un accroissement constant de la quantité de monnaie conduit à une hausse constante du niveau des prix 34 . Du point de vue de la formalisation, la fonction de demande de monnaie est stable à long terme. La demande agrégée d’encaisses réelles s’accroît lorsque l’activité économique réelle s’améliore. Le coût d’opportunité de détention d’encaisses réelles (qui correspond au taux d’intérêt réel) et la perte de pouvoir d’achat sur la période considérée (qui correspond au taux anticipé d’inflation) s’expriment sous la forme d’un taux d’intérêt nominal. La fonction de demande de monnaie à long terme s’exprime comme suit.

md – p = β1y – β2r

(m) désigne le log du stock nominal de monnaie, (p) le log du niveau des prix, (y) le log du revenu réel et (r) le taux d’intérêt nominal. Selon Kasumovich (1996), l’offre de monnaie qui excède la demande de monnaie à long terme correspond à un choc monétaire. Pour lui, un choc d’offre de monnaie résulte du mécanisme suivant : « comme la fonction de demande de monnaie à long terme est stable, une innovation orthogonale au chemin partagé par la monnaie et les prix est interprétée comme un choc d’offre de monnaie (choc M) » 35 . Cette définition ressemble à celle de King, Plosser, Stock et Watson (1987, 1991), pour qui un choc de productivité permanent est déterminé orthogonalement à la tendance stochastique commune du revenu, de la consommation et de l’investissement.

La définition de Kasumovich (1996), qui réduit le choc monétaire à un choc de politique monétaire, ne signifie pas que la banque centrale crée ou détruit de manière exogène le stock de monnaie. Elle indique plus précisément que les autorités monétaires mettent en place une politique qui modifie l’évolution de la tendance de la quantité de monnaie et des prix. L’action de la banque centrale conduit, d’après Kasumovich (1996), « à un changement permanent dans l’offre nominale de monnaie, et génère une nouvelle trajectoire d’équilibre nominal dans l’économie, sans aucune conséquence sur les variables réelles à long terme » 36 . Ce changement de l’offre nominale de monnaie s’opère, d’après Laidler (1999), « indépendamment de la demande de monnaie » 37 .

Pour Kasumovich (1996), un accroissement non-anticipé de l’offre de monnaie « conduit à un changement permanent dans la trajectoire d’équilibre nominal de l’économie ; toutefois, un choc de demande de monnaie, qui est transitoire, conduit seulement à une déviation temporaire par rapport à l’équilibre » 38 . Cela explique pourquoi, dans certaines études, les chocs monétaires temporaires agissent comme des chocs de demande de monnaie. Le travail de Bouakez, Cardia et Murcia (2003) résout les problèmes découlant des différentes interprétations des chocs monétaires. Ces auteurs distinguent les chocs d’offre de monnaie des chocs de demande de monnaie. Ainsi, chaque choc est représenté par une équation distincte où (μt) est le taux de croissance monétaire et (bt) la demande de monnaie.

ln(μt+1) = (1 – ρμ) ln(μ) + ρμ ln(μt) + εμ, t

ln(bt+1) = (1 – ρb) ln(b) + ρb ln(bt) + εb, t

De ce fait, pour Bouakez, Cardia et Murcia (2003), un choc au taux de croissance de l’offre de monnaie est « interprété comme un choc monétaire » 39 .

Christiano, Eichenbaum et Evans (1998) définissent un choc monétaire comme étant la variable aléatoire (σSεS t) de la fonction suivante. Pour eux, un choc monétaire appartient à la catégorie des chocs de politique monétaire.

St = f(Ωt) + σSεS t

Dans cette équation, (St) désigne l’instrument monétaire à la disposition de la banque centrale, « qui peut correspondre au taux des fonds fédéraux ou à n’importe quel agrégat monétaire » 40 . D’après ce raisonnement, les chocs monétaires peuvent correspondre, soit à des chocs de taux d’intérêt, soit des chocs d’offre de monnaie. (f) est linéaire et correspond à la fonction de réaction de la banque centrale, (Ωt) est l’ensemble d’informations dont disposent les autorités monétaires, et (σS) est la déviation standard du choc monétaire. Lorsque le choc de politique monétaire est un choc de quantité de monnaie, Christiano, Eichenbaum et Evans (1998) ne font pas de distinction entre M1 et M2.

Notes
29.

C’est le cas par exemple de Cochrane (1994), qui modélise un choc monétaire comme étant une combinaison d’un choc d’offre de monnaie et d’un choc de taux d’intérêt.

30.

Fung et Gupta (1994) étudient les chocs de politique monétaire en se concentrant sur deux instruments de cette politique, la gestion de la balance des règlements et les interventions en « open market ». La définition de la balance des règlements est donnée par Kasumovich (1996), qui précise que, dans certains pays, les autorités monétaires contrôlent l’offre de dépôts des institutions financières auprès de la banque centrale. Cette offre correspond à la balance des règlements. Les sommes excédant les réserves obligatoires sont déposées sur des comptes produisant des intérêts ouverts au nom des institutions financières concernées. Fung et Gupta (1994) constatent, qu’au Canada par exemple, la gestion de la balance des règlements est le principal outil de politique monétaire adopté par les autorités monétaires canadiennes. Mais le raisonnement de ces deux chercheurs est contestable. En premier lieu, parce que les études empiriques ne montrent pas que l’excédent de réserves est une source des fluctuations macroéconomiques, puisque d’un côté la définition de la balance des règlements diffère structurellement de la définition des agrégats monétaires et que, de l’autre côté, il n’existe pas de corrélation entre ces deux composantes. En second lieu, parce que le résultat de Fung et Gupta, selon lequel un accroissement non-anticipé de l’excédent de réserves obligatoires provoque une baisse momentanée du niveau des prix (« price puzzle »), est contredit par Armour, Engert et Fung (1996), qui utilisent le taux de refinancement au jour le jour de la banque centrale comme mesure de la politique monétaire et intègrent le taux d’intérêt américain dans la fonction de réaction de la Banque du Canada, et montrent que le « price puzzle » n’a pas lieu.

31.

Pour Lastrapes et Selgin (1995), les chocs d’offre de monnaie correspondent à des chocs de base monétaire, de M1 et de M2. Ils montrent que les chocs monétaires permanents provoquent une baisse temporaire du taux d’intérêt. Ce résultat est compatible avec la définition d’un choc de politique monétaire.

32.

Abraham-Frois (1995), page 23.

33.

Abraham-Frois (1995), page 27.

34.

Cependant, les études empiriques étudiant la stabilité de la fonction de demande de monnaie ne sont pas concluantes. Stock et Watson (1993) étudient M1 en supposant que c’est une fonction de prix, de revenu réel et de taux d’intérêt à court terme, et utilisent les données de l’après deuxième guerre mondiale. Ils constatent que les paramètres de la fonction de demande de monnaie ne sont pas stables à travers le temps. En revanche, Rasche et Tieslau (1995) montrent que la stabilité de la fonction de demande de monnaie est bien réelle, tout au moins dans les pays industrialisés, y compris les Etats-Unis. Il existe beaucoup d’autres études sur cette question.

35.

Kasumovich (1996), page 3.

36.

Kasumovich (1996), page 3.

37.

Laidler (1999), page 3.

38.

Kasumovich (1996), page 19.

39.

Bouakez, Cardia et Murcia (2003), page 14.

40.

Eichenbaum et Evans (1998), page 6.