Choc d’offre de monnaie ou de taux d’intérêt ?

Nous avons déjà indiqué que les chocs d’offre de monnaie sont une première interprétation des chocs monétaires. Une deuxième interprétation de ces chocs sont les chocs de taux d’intérêt. Bien que ne rentrant pas dans le cadre de notre thèse, et afin de mieux définir les chocs d’offre de monnaie, nous étudions ces chocs brièvement. Lorsque les chocs monétaires sont des chocs de taux d’intérêt, ils provoquent en général une déviation temporaire à l’équilibre de taux d’intérêt réel (Kasumovich, 1996). L’utilisation du taux de refinancement au jour le jour (taux directeur) par les banques centrales est très largement diffusée à cause de l’influence considérable que les autorités monétaires exercent sur cet instrument. Nous constatons, d’après nos travaux de recherche, que les économistes qui utilisent le taux directeur pour identifier les chocs monétaires supposent que celui-ci n’exerce pas d’effet sur l’économie à long terme. C’est pourquoi nous considérons que le choc de taux d’intérêt directeur est un choc temporaire au taux d’intérêt « réel », dont les effets sur l’économie sont aussi temporaires. Rappelons qu’un choc temporaire correspond en général à un choc de demande de monnaie ou à un choc de taux d’intérêt 41 . Seul le choc d’offre de monnaie peut être permanent. Laidler (1999) précise que les agents affectés par ce choc, une fois conscients de son caractère permanent, « feront face à la possibilité de détenir des titres d’encaisses réelles dont le rendement implicite est inférieur à celui d’autres titres disponibles » 42 .

L’adoption actuelle par les banques centrales du taux d’intérêt directeur (et non de l’offre de monnaie) comme instrument de la politique monétaire est due, selon Goodfriend (2000), à la crédibilité que les banques centrales ont acquise en matière de maîtrise de l’inflation, qui fait que les modifications qu’elles apportent aux taux d’intérêt nominaux se répercutent directement sur les taux d’intérêt réels. Pour Goodfriend, cette situation favorable pourrait changer. C’est le cas de la Réserve fédérale qui, ayant perdu toute crédibilité durant les années 1970, a abandonné la cible qu’elle s’était fixée pour le taux des fonds fédéraux en faveur d’un objectif quantitatif de 1972 à 1982.

De manière générale, nous constatons que, lorsque les chocs monétaires sont des chocs de politique monétaire, la Réserve fédérale fixe seulement un taux d’intérêt directeur comme instrument de sa politique monétaire à court terme. Ce taux de refinancement qu’appliquent les banques sur leurs emprunts réciproques au jour le jour est la valeur cible du taux d’intérêt aux Etats-Unis pendant les six semaines suivantes 43 . Au terme de la réunion du conseil des gouverneurs et de l’annonce du nouveau taux directeur, la Réserve fédérale intervient en « open market » sur le marché monétaire pour fixer et maintenir le taux d’intérêt annoncé, en achetant ou vendant des titres. Goux (1996) précise que l’émission de bons par le Trésor pour financer le déficit public « est la condition nécessaire pour qu’il y ait des opérations d’open market » 44 . Ces interventions affectent directement l’offre de monnaie et modifient l’équilibre monétaire de manière à ce que le taux choisi soit respecté. Ces interventions expliquent par ailleurs pourquoi les économistes décrivent les chocs monétaires en termes de modifications du taux d’intérêt. Ces modifications engendrent en réalité des modifications de la masse monétaire. Comment expliquer cette réalité assez complexe ?

Lorsque les banques centrales veulent provoquer un « choc » monétaire (il s’agit aussi dans ce cas d’un choc de politique monétaire), elles choisissent souvent le taux d’intérêt, plutôt que le stock de monnaie, comme instrument de leur politique à court terme. Cette méthode se caractérise selon Mankiw (1999) par la facilité de mise en oeuvre (la fixation d’une valeur cible du taux d’intérêt modifie immédiatement la quantité de monnaie) et de mesure (les agrégats monétaires M1, M2, etc. compliquent la compréhension des objectifs monétaires et amplifient l’incertitude sur les marchés). La thèse de Mankiw est adoptée aussi par Romer et Romer (2004), qui affirment que, « même durant les périodes où le FOMC ne visait pas explicitement le taux des fonds fédéraux, il était préoccupé par ce taux d’intérêt clé et discutait les effets de sa politique sur le comportement de ce taux d’intérêt » 45 . Ces deux auteurs affirment, qu’en pratique, la modification du taux d’intérêt directeur est l’indicateur des intentions de la Réserve fédérale le plus facile à déduire avec précision sur une longue période de temps et à travers plusieurs régimes monétaires. Ainsi, pour eux, le taux d’intérêt directeur reflète les chocs d’offre de monnaie mieux que les variations des variables quantitatives de la monnaie « tels que les réserves ou les agrégats monétaires, qui peuvent refléter des intentions différentes même à court terme, et ce à cause des changements dans les réglementations ou dans les définitions de ces instruments » 46 .

Notons que l’élaboration d’un cadre d’analyse des chocs monétaires et la distinction entre les chocs d’offre de monnaie et les chocs de taux d’intérêt font appel, du point de vue de la politique monétaire, à l’interprétation même du rôle de la monnaie. Pour les défenseurs d’un rôle « passif » de la monnaie dans le mécanisme de transmission des chocs de politique monétaire, la banque centrale contrôle le taux d’intérêt directeur. Dans ce cas, la quantité de monnaie en circulation varie de façon « endogène » et « passive » en fonction de la demande de monnaie, demande affectée par le taux d’intérêt fixé par les autorités monétaires. L’offre de monnaie ne jouerait dans ce cas qu’un rôle passif dans la transmission des effets de la politique monétaire (Laidler, 1999). En revanche, pour les défenseurs d’un rôle « actif » de la monnaie dans le mécanisme de transmission des chocs de politique monétaire, les écarts entre la quantité de monnaie demandée et la quantité de monnaie offerte jouent un rôle essentiel dans le mécanisme de transmission des perturbations monétaires (Friedman, 1970). Selon Kasumovich, d’après cette école, la quantité de monnaie, qu’elle soit endogène ou exogène, « est toujours sujette à la libre influence de la banque centrale » 47 .Cette influence peut conduire les agents à détenir des encaisses réelles supérieures (ou inférieures) aux encaisses qu’ils désirent détenir. A l’opposé du point de vue adopté par les défenseurs d’un rôle passif de la monnaie dans la transmission des perturbations monétaires, la tentative de liquidation des encaisses supplémentaires (ou du rétablissement des encaisses déficitaires) joue un rôle important dans le mécanisme de transmission de la politique monétaire.

Rôle de la monnaie L’instrument monétaire adéquat La quantité de monnaie varie en fonction de
Passif Taux d’intérêt directeur La demande de monnaie
Actif Quantité de monnaie en circulation La volonté de la banque centrale

L’interprétation d’un « choc monétaire » reflète la distinction entre les deux points de vue que nous venons d’évoquer. Pour les tenants d’un rôle passif de la monnaie, un choc monétaire est la conséquence d’un changement dans la demande de monnaie. Ce changement, qui peut résulter par exemple d’une modification du revenu national, peut être déclenché par le comportement de la banque centrale qui fixe son taux d’intérêt directeur à un niveau donné. En revanche, les tenants d’un rôle actif de la monnaie interprètent le choc monétaire comme la conséquence d’un changement non-anticipé de la quantité de monnaie. Ce changement est le fait des autorités monétaires. D’après l’interprétation avancée par cette deuxième école, les agents sont contraints de détenir des encaisses nominales supplémentaires en cas d’un choc d’offre de monnaie. Avec le temps, ils constatent que la quantité de monnaie nominale qu’ils détiennent correspond à une quantité réelle bien supérieure à ce qu’ils désirent détenir dans l’état actuel de l’économie et du niveau des prix en cours. Ils s’aperçoivent aussi que le choc monétaire n’est pas temporaire et que la quantité de monnaie restera indéfiniment dans l’économie. Ainsi, les agents sont au-delà de leur courbe de demande de monnaie à long terme. Cependant, tous les individus ne disposent pas dans l’ensemble de l’excès des encaisses nominales. Leur tentative de profiter de ces encaisses exerce des effets sur l’économie parce que les dépenses nominales augmentent, l’activité économique est relancée et le niveau des prix s’accroît au bout du compte. La transmission du choc monétaire se poursuit jusqu’à ce que les facteurs influençant l’offre et la demande de monnaie s’ajustent pour assurer de nouveau l’équilibre monétaire.

En d’autres termes, les défenseurs d’un rôle actif de la monnaie définissent le choc monétaire comme résultant d’un écart entre la quantité nominale de monnaie offerte par les autorités monétaires et la quantité nominale de monnaie demandée par les agents économiques. A l’opposé, les défenseurs d’un rôle passif de la monnaie supposent que les ajustements instantanés du taux d’intérêt sont capables d’éliminer les excédents d’encaisses monétaires. Une autre distinction entre les deux écoles est l’hypothèse selon laquelle les tentatives d’élimination des déséquilibres monétaires par les agents économiques exercent des effets sur les variables agrégées à court terme. Cette hypothèse, défendue par les tenants d’un rôle actif de la monnaie, est réfutée par les tenants d’un rôle passif.

Les chocs d’offre de monnaie sont compatibles avec la thèse d’un rôle actif de la monnaie dans la transmission de la politique monétaire. Laidler (1999) affirme que, « même si la monnaie est déterminée de façon endogène, il y aurait une relation significative de cause à effet entre la monnaie d’une part et le comportement de la production et de l’inflation d’autre part, c’est-à-dire que la monnaie jouerait un rôle actif » 48 . Laidler affirme que les fondements de l’école du rôle actif de la monnaie sont solides tant sur le plan théorique qu’empirique. Les modèles de chocs d’offre de monnaie développés dans la littérature montrent que les ajustements ne sont pas automatiques et que la politique monétaire affecte les variables économiques à court terme.

Répondre à la question de l’interprétation de la modification du taux directeur de la Réserve fédérale fait appel, soit à la théorie du rôle passif de la monnaie, soit à la théorie du rôle actif. Pour les tenants d’un rôle passif, un relèvement du taux directeur entraîne la baisse de la quantité de monnaie demandée et provoque une baisse de l’offre de monnaie. Cette mesure conduit de plus, en économie ouverte, à une appréciation de la monnaie nationale. En revanche, pour les tenants d’un rôle actif de la monnaie, une diminution de la quantité de monnaie en circulation provoque une hausse du taux d’intérêt du marché et modifie l’équilibre des variables économiques à court terme. Elle entraîne à son tour une appréciation de la monnaie nationale en économie ouverte.

Ces résultats sont vérifiés par Christiano, Eichenbaum et Evans (1998), qui montrent qu’une contraction monétaire de taux d’intérêt conduit « à une hausse durable du taux des fonds fédéraux et à une baisse permanente des réserves non-empruntées » 49 . La baisse des réserves non-empruntées est légère (de l’ordre de 0,3%). Etant donné que les réserves non-empruntées représentent au moins 95% des réserves de la Fed (98% depuis 1996), les réserves totales de la Fed diminuent légèrement à leur tour. La hausse du taux d’intérêt conduit alors à une baisse de la quantité de monnaie en circulation. Pour Christiano, Eichenbaum et Evans, la réaction de M1 est similaire à celle des réserves totales. De même, une contraction monétaire des réserves non-empruntées conduit à un changement dans le niveau des réserves totales, qui diminuent, et entraîne la hausse du taux d’intérêt. Quel que soit le moyen utilisé par la banque centrale (quantité de monnaie ou taux d’intérêt), le résultat est identique puisque les différentes mesures sont conditionnées par un seul choc monétaire. Christiano, Eichenbaum et Evans précisent ainsi, « qu’en réaction à un choc restrictif de politique monétaire, le taux des fonds fédéraux augmente, les agrégats monétaires diminuent (avec quelque retard), le niveau agrégé des prix réagit initialement légèrement, le revenu agrégé diminue » 50 .

Cette constatation est identique aux avancées de Kasumovich (1996), qui affirme que tous les économistes qui ont comparé les effets de ces deux catégories de chocs sont d’accord sur le fait que, malgré les importantes méthodes institutionnelles de mise en place de ces politiques, « il n’existe pas de raison pour croire que les effets fondamentaux des chocs non-anticipés de politique monétaire sont très différents » 51 .

Dans cette thèse, nous utiliserons le terme « choc monétaire » pour désigner les chocs d’offre de monnaie ou, plus généralement, de la quantité de monnaie. Nous utiliserons le terme « choc de politique monétaire » pour désigner les chocs de taux d’intérêt.

Notes
41.

Brunner et Meltzer (1993) montrent que la différence entre les chocs permanents et temporaires, ainsi que la difficulté que trouvent les agents à faire la distinction entre les deux, est très importante pour la compréhension des effets réels des politiques monétaires.

42.

Laidler (1999), page 9.

43.

Le FOMC (« Federal Open Market Committee ») se réunit huit fois par an, soit à peu près une fois toutes les six semaines, pour discuter de l’état de l’économie et de ses perspectives à un terme proche. Ce comité, créé par le « Banking Act » de 1933–1935, est affilié à la Fed et prend les décisions essentielles de la politique monétaire américaine, en particulier celle de la fixation des taux d’intérêt directeurs, le taux des fonds fédéraux (« Fed Funds ») étant le plus significatif d’entre eux.

44.

Goux (1996), page 13.

45.

Romer et Romer (2004), page 5.

46.

Romer et Romer (2004), page 5.

47.

Kasumovich (1996), page 3.

48.

Laidler (1999), dans le « Résumé » de son article.

49.

Christiano, Eichenbaum et Evans (1998), page 20.

50.

Christiano, Eichenbaum et Evans (1998), page 22.

51.

Kasumovich (1996) page 26.