2.2. L’écart de taux d’intérêt

Dans le modèle Mundell–Fleming, le taux d’intérêt d’une petite économie ouverte est égal au taux d’intérêt international. Cette hypothèse n’est pas tout à fait exacte. Les taux d’intérêt varient dans la réalité d’un pays à l’autre. Les variations sont dues à un certain nombre de facteurs, notamment le risque pays et les variations anticipées du taux de change.

Le risque pays varie en fonction de la stabilité politique et économique attendue par les investisseurs. Lorsque ces conditions sont favorables, les investisseurs courent moins de risque et demandent une prime moins élevée. Comme cette prime de risque est incorporée dans le taux d’intérêt, celui-ci sera dans ce cas moins élevé. La Belgique est une petite économie ouverte qui fait partie de l’Union Européenne et qui bénéficie depuis plusieurs décennies de la paix en Europe, ainsi que d’une situation économique stable, d’un accès total au marché européen, de l’adoption de l’euro, du respect des règles du pacte de stabilité et de croissance, etc. En revanche, le Liban, qui est aussi une petite économie ouverte, se situe dans une zone géopolitique instable (conflit israélo-palestinien, guerre en Irak, etc.) et connaît des difficultés économiques accrues, à cause notamment de sa dette publique. C’est pourquoi la prime de risque exigée par les investisseurs est moins élevée en Belgique et que, par conséquent, les taux d’intérêt sont supérieurs au Liban.

Une autre cause des écarts de taux d’intérêt réside dans les anticipations de taux de change. Si les investisseurs anticipent une dépréciation de la livre libanaise par rapport au dollar, les emprunts libellés en livres seraient remboursés dans une devise de moindre valeur que les emprunts en dollars. Afin de compenser la baisse attendue de la livre, les taux d’intérêt au Liban s’établiront à un niveau supérieur au taux d’intérêt américain.

L’incorporation de la prime de risque dans le modèle Mundell–Fleming ne modifie pas les énoncés de base du modèle. Suite à des tensions politiques ou économiques dans un pays, la prime de risque augmente et accroît le taux d’intérêt. Cette hausse du taux d’intérêt réduit à la fois l’investissement et la demande de monnaie. La baisse de la demande de monnaie provoque une dépréciation de la monnaie nationale et, ainsi, une hausse du revenu.

Mathématiquement, l’incorporation de l’écart de taux d’intérêt dans le modèle Mundell–Fleming modifie légèrement les avancées de base de ce modèle. Dans ce cas, le taux d’intérêt de la petite économie ouverte comprend, en plus du taux d’intérêt international (i), une prime de risque (θ) que nous supposons exogène. L’écart de taux d’intérêt modifie alors la représentation classique des courbes IS et LM.

i = i* + θ

Y = C(Y – T) + I(i* + θ) + G + XN(E) (IS)

M/P = L(i* + θ, Y) (LM)

Sur le graphique (6), nous pouvons voir comment une hausse de la prime de risque affecte le revenu national. En augmentant le taux d’intérêt national, la prime de risque réduit l’investissement et déplace la courbe IS1 vers la gauche (courbe IS2). De même, la hausse du taux d’intérêt réduit la demande de monnaie et déplace la courbe LM1 vers la droite (courbe LM2). Le revenu augmente en conséquence et passe de (Y1) à (Y2).

Graphique (6) : Les effets de la hausse de la prime de risque

Il peut ressortir de notre analyse que la hausse de la prime de risque accroît le revenu. Ainsi, malgré la hausse du taux d’intérêt pesant négativement sur l’investissement, la dépréciation de la monnaie accroît plus que proportionnellement la balance commerciale et provoque en fin de compte une hausse du revenu agrégé. Cependant, ce scénario ne se réalise pas dans la réalité. En premier lieu, parce que la dépréciation de la monnaie accroît le prix relatif des biens importés et, par conséquent, des prix intérieurs. En deuxième lieu, parce que souvent la banque centrale réduit son offre de monnaie afin d’éviter une forte dépréciation de la monnaie nationale. En troisième lieu, parce que les agents économiques ont une préférence pour la liquidité durant les périodes d’incertitude. Toutes ces réactions compensent la baisse du taux de change et contrebalancent la hausse du revenu.

Les anticipations de taux de change sont parfois auto-réalisatrices. L’anticipation d’une hausse future de la valeur d’une monnaie provoque une appréciation de cette monnaie aujourd’hui. Ainsi, si les agents économiques s’attendent à une appréciation de l’euro, ils demanderont une prime de risque inférieure sur les actifs européens. Cette anticipation pousse les taux d’intérêt européens à la baisse et tend à apprécier la valeur de l’euro. Les anticipations auto-réalisatrices se forment souvent selon un processus mimétique. Face aux opérateurs prenant leurs décisions en fonction des fondamentaux du marché, les gestionnaires à horizon très court ignorent la valeur économique du cours de change et pensent presque la même chose au même moment ! Keynes a été le premier à formuler cette analyse en définissant la spéculation comme l'activité de prévision de la psychologie du marché. En situation d'incertitude totale, le mimétisme est rationnel car il permet de profiter de l'information des opérateurs informés. Afin de former leurs anticipations, les agents préfèrent obtenir gratuitement l’information en se basant sur le prix du marché plutôt que payer pour acquérir cette information (Orléan, 1989). Dans le cas d'imitation généralisée, chacun copie l'autre en croyant qu'il détient l'information, alors qu'en réalité aucun agent n'est informé. Le prix ne reflète alors que la psychologie du marché et ne contient aucune information. Ainsi, un prix s'auto confirme même s'il s'éloigne de plus en plus de son niveau d'équilibre fondamental.