4.1. La concurrence monopolistique

Les pays se spécialisent dans ce qu’ils font de mieux, et les économies d’échelle les incitent à se concentrer sur la production de quelques biens et services seulement. Le raisonnement en économies d’échelle suppose que la concurrence soit pure et parfaite et que les gains de monopole soient écartés. Mais les marchés sont parfois dominés par une ou plusieurs firmes qui ont des rendements d’échelle croissants. Cela entrave leur fonctionnement et crée des situations d’oligopole ou même de monopole. Ainsi, les rendements croissants conduisent à une concurrence imparfaite.

Les avantages comparatifs apparaissent lorsque les pays exportent les biens que leurs moyens de production produisent de manière relativement efficiente et importent les biens que leurs moyens de production produisent de manière relativement inefficiente. Les avantages comparatifs orientent les pays vers la spécialisation dans les industries où les prix de vente relatifs sont élevés. La spécialisation conduit à son tour à des gains de l’échange pour chaque pays. Ainsi, au lieu de produire un bien par ses propres moyens, un pays peut produire un autre bien et l’échanger contre le premier lorsque le coût relatif de la production indirecte est moins cher que le coût relatif de la production directe. Les avantages comparatifs donnent lieu à des « rendements d’échelle » constants. Ainsi, si le volume des intrants dans une industrie triple, la production de cette industrie triple à son tour.

Cependant, dans la réalité, les « économies d’échelle » caractérisent une grande partie des industries. Ces économies d’échelle sont à rendements croissants, et le coût moyen d’une entreprise est d’autant plus bas que sa production est élevée. Ainsi, si le volume des intrants triple, la production augmente de plus du triple. Souvent, les économies d’échelle modifient la structure du marché, qui passe d’une concurrence pure à parfaite à une concurrence imparfaite. Les entreprises ne subissent plus dans ce dernier cas les prix et parviennent à accroître leurs ventes en abaissant le prix de leurs produits.

Pour décrire les effets des économies d’échelle sur la structure du marché, les économistes distinguent les économies d’échelle « externes » des économies d’échelle « internes ». Les économies externes, où le coût moyen dépend de la taille de l’industrie, conduisent à une concurrence pure et parfaite. En revanche, les économies internes, où le coût moyen dépend de la taille de la firme, conduisent à une concurrence imparfaite. En effet, dans le cas d’économies externes, les entreprises peuvent rester petites malgré les avantages d’échelle au niveau de l’industrie. La concentration de la production d’une industrie dans une même zone géographique est l’une des raisons qui conduisent aux économies d’échelle externes. Cette concentration permet un échange d’expertise et de savoir-faire et réduit les coûts de production. L’exemple le plus connu est celui de la concentration des banques d’affaires et des institutions financières à Londres, qui conduit à des économies d’échelle externes pour l’industrie bancaire et financière, malgré le fait que le niveau de vie est très cher dans la capitale britannique.

En concurrence monopolistique, l’industrie est composée d’entreprises fabriquant des produits différenciés et se comportant comme des monopoleurs individuels. Les situations de concurrence monopolistique ne sont pas nombreuses. Nous citons l’industrie automobile, où les producteurs produisent des voitures différentes et restent concurrents l’un des autres.

Un plus grand marché conduit à un prix moyen inférieur et à une plus grande variété de biens et services. Lorsque le marché s'agrandit, et si le nombre des entreprises reste constant, leurs ventes augmentent et le coût moyen diminue par conséquent.

Les profits monopolistiques attirent de nouveaux concurrents sur le marché, et les situations de monopole pur sont rares. L’oligopole caractérise en général les industries avec économies d’échelle.

En concurrence monopolistique, les décisions des entreprises en matière de prix sont liées, car les firmes prennent en compte les décisions de prix des autres entreprises. Dans l’Annexe (2), nous revenons sur les aspects mathématiques de la concurrence imparfaite.

Le modèle de concurrence monopolistique décrit la situation de quelques firmes seulement et ne couvre pas tous les aspects de la concurrence imparfaite et des marchés avec économies d’échelle. La structure de marché courante est en effet celle de l’oligopole, où quelques entreprises rivalisent pour accroître leurs parts de marchés. Ces entreprises ne se comportent plus alors comme des monopoleurs et prennent en considération les politiques commerciales mises en œuvre par les autres firmes. Le modèle oligopolistique comprend deux comportements évincés par le modèle de concurrence imparfaite. Le premier est d’ordre collusif où les entreprises s’entendent entre elles et libellent leurs prix à un niveau supérieur au niveau de maximisation du profit. Le second est d’ordre stratégique où les firmes abaissent leurs profits pour détourner des concurrents potentiels d’entrer dans le secteur.

Quelle est la relation entre les économies d’échelle et les avantages comparatifs ? En concurrence monopolistique, le commerce mondial se divise en deux grandes catégories : le commerce intra-industriel et le commerce inter-industriel 71 . Le commerce inter-industriel indique la présence d’avantages comparatifs. L’importance du commerce inter-industriel par rapport au commerce intra-industriel est fonction des ressemblances entre les pays 72 .

Le commerce intra-industriel joue un rôle très important dans les échanges entre pays développés. Les avantages comparatifs entre pays ont disparu au fil du temps, et les échanges dans les deux sens à l’intérieur des mêmes secteurs d’industries sont devenus de plus en plus courants, probablement à cause des économies d’échelle. La mesure du commerce intra-industriel se fait en général en calculant le rapport entre le commerce intra-industriel dans une industrie et le commerce total dans cette industrie. Les échanges intra-industriels servent aussi d’indicateurs pour la mesure de la mondialisation des secteurs 73 , 74 . La mesure des échanges intra-industriels varie de 0 à 100 et révèle l’échange correspondant à la différenciation des produits. Plus deux pays échangent des biens identiques et plus les valeurs de ces biens sont proches, plus la mesure est élevée. Plus les échanges sont unilatéraux, plus l’indicateur a une valeur faible. En général, les pays à fort revenu par tête d’habitant et géographiquement proches présentent des mesures intra-industrielles élevées. Lorsque le commerce intra-industriel est important dans une industrie, celle-là fabrique des produits complexes et sophistiqués destinés à l’exportation et bénéficiant des avantages procurés par les économies d’échelle. Lorsque le commerce intra-industriel est faible dans une industrie, celle-là fabrique des produits à forte intensité de travail caractérisés par des avantages comparatifs. Le commerce intra-industriel, qui occupe une plus grande place que le commerce inter-industriel dans les échanges internationaux, permet aux économies de produire un nombre limité de produits (la productivité augmente alors et le coût diminue) et d’augmenter en même temps le nombre de produits offerts aux consommateurs.

Notes
71.

Le commerce inter-industriel est le commerce à l’intérieur d’un même secteur. Le commerce intra-industriel est le commerce entre secteurs.

72.

Lorsque deux pays ont le même rapport capital–travail, le commerce inter-industriel est absent et le commerce intra-industriel fondé sur les économies d’échelle est élevé. Si les rapports capital–travail sont différents entre deux pays, le commerce intra-industriel est absent et les échanges se basent sur les avantages comparatifs.

73.

D’autres mesures sont aussi utilisées dans l’évaluation de la mondialisation des secteurs, comme le commerce international, l’investissement international ou l’internationalisation de la recherche et du développement industriel. Pour mesurer le commerce international, les économistes utilisent des indicateurs, comme le taux d’exportation, le taux de pénétration des importations, le taux d’exposition à la concurrence, les exportations et les importations des filiales étrangères aux pays d’accueil, les exportations et importations des filiales des firmes domestiques à l’étranger, etc. Pour mesurer l’investissement international, ils utilisent des indicateurs comme les flux et stocks d’investissements entrants et sortants, l’activité des filiales étrangères (chiffre d’affaires et production), etc. Pour mesurer l’internationalisation de la recherche et du développement industriel, ils ont recours à des indicateurs, comme la part de RD des filiales étrangères par rapport à la RD totale nationale de chaque secteur, la part de RD des filiales des firmes nationales à l’étranger par rapport au total national, etc.

74.

Voir le rapport de l’OCDE de Hatzichronoglou (1999), qui décrit la « mondialisation des industries dans les économies de l’OCDE » et propose une méthode pour le classement des industries manufacturières de chaque pays selon le degré de mondialisation. Il aboutit à la conclusion que « le degré de mondialisation des différentes industries dépend davantage des caractéristiques des secteurs industriels que de la spécialisation de chaque pays » (Hatzichronoglou, 1999, page 3).