4.3. Les critiques vis-à-vis du modèle d’Obstfeld et Rogoff

La critique la plus commune à l’égard du modèle d’Obstfeld et Rogoff (1995) est la parité de pouvoir d’achat, qui ne tient pas selon un grand nombre d’économistes. Chevalier et Hirsch (1982) citent « la non prise en compte de certaines composantes de la balance des paiements et de la formation des taux d’intérêt sur les marchés des euro-devises » 81 .

Les variations de prix ne correspondent souvent pas aux variations des taux de change. Dans le grand nombre d’études cherchant à tester la PPA absolue, les économistes comparent les prix entre pays d’une grande variété de biens, et arrivent très souvent à la conclusion que le prix d’un panier de ces biens varie substantiellement entre pays si l’on convertit les deux prix en une même monnaie. Les études de terrain montrent que la loi du prix unique ne s’applique pas non plus, car des biens très similaires sont vendus souvent à des prix différents dans des pays différents. Comme la loi du prix unique donne lieu à la PPA relative, les modèles de taux de change établis sur la base de la PPA relative ne correspondent pas pour les économistes à la réalité empirique 82 .

Une première explication des déviations à la parité de pouvoir d’achat est la part des biens non-échangeables. Selon cette hypothèse, le prix des produits non-échangeables et des facteurs non-échangeables dans les biens échangeables dépendent strictement des conditions d’offre et de demande sur le marché intérieur. Cela affecte les indices de prix et provoque les déviations à la PPA. Notons que les dépenses publiques, principal déterminant du taux de change réel (Froot et Rogoff, 1991), se concentrent en général dans le secteur des biens non-échangeables et sont l’une des causes des déviations à la PPA. Le théorème de Balassa–Samuelson explique par ailleurs pourquoi les niveaux de prix sont plus élevés dans les pays riches que dans les pays pauvres. Si le progrès technologique se concentre dans le secteur des biens échangeables, la hausse du produit marginal accroît les salaires. L’augmentation des salaires exerce une pression à la hausse des prix, qui augmentent alors au-delà du niveau des prix étrangers. Mais comme la loi du prix unique tient pour les biens échangeables, ce sont les prix des biens non-échangeables qui augmentent uniquement. Comme les biens non-échangeables constituent une part de l’indice général des prix, le niveau des prix domestiques augmente alors au-delà du niveau général des prix étrangers. L’appréciation réelle de la monnaie correspond alors à une appréciation du prix relatif des biens non-échangeables par rapport aux biens échangeables dans le même pays. Pour Obstfeld et Rogoff (2000, a), une partie relativement importante des variations de change est due aux biens non-échangeables incorporés dans l’indice des prix à la consommation et rentrant dans la fabrication de biens échangeables.

Le rôle des biens non-échangeables ne fait pas l’unanimité parmi les économistes. Pour certains, la part des biens non-échangeables explique seulement une partie des variations du taux de change réel (Chari, Kehoe et McGrattan, 1998). Au niveau international, la variation du taux de change réel est due aux déviations à la loi du prix unique des biens échangeables entre pays, et non à la présence de biens non-échangeables à l’intérieur du même pays (Engel, 1999, a) 83 . Les changements du prix relatif des biens non-échangeables ne sont pas importants pour la détermination du taux de change réel, car la part essentielle de la variation du taux de change réel vient des déviations à la loi du prix unique. Au niveau national, il existe, pour un grand nombre de marchandises, de fortes déviations à la loi du prix unique correspondant aux déviations des prix des biens échangeables à l’intérieur du même pays (Engel et Rogers, 1996) 84 . Ces déviations sont dues à la segmentation du marché du travail et à la rigidité des prix. Les coûts de transport accentuent ces différences de prix.

Une deuxième explication des déviations à la parité de pouvoir d’achat est la préférence qu’ont les consommateurs pour les biens fabriqués dans leur pays. Obstfeld et Rogoff (2000, b) insistent sur ce point. Warnock (1999) intègre les préférences des consommateurs pour les biens domestiques dans le modèle d’Obstfeld et Rogoff (1995), et montre que le bien-être de Nation s’améliore et que le bien-être étranger se détériore, à cause de l’effet « beggar-thy-neighbor » des préférences des consommateurs.

Les imperfections du marché sont une troisième explication des déviations à la parité de pouvoir d’achat. Ces imperfections conduisent au non-respect des règles de la concurrence pure et parfaite et facilitent aux entreprises la pratique de la discrimination de prix, non seulement dans des pays différents, mais aussi à l’intérieur d’un même pays (Engel et Rogers, 1996) 85 .

Une quatrième explication des déviations à la PPA est d’ordre technique. Les méthodes de calcul des indices de prix varient d’un pays à l’autre et entraînent la déviation à la parité de pouvoir d’achat.

Il découle de notre présentation que la PPA ne décrit pas toujours les variations réelles des niveaux de prix et de taux de change. Les déviations à la loi du prix unique et à la parité de pouvoir d’achat sont très persistantes. Elles sont essentiellement dues aux déviations des prix des biens échangeables à la loi du prix unique, et non aux changements dans les prix relatifs des biens non-échangeables (Rogers et Jenkins, 1995). Roger et Jenkens étudient les déviations de prix de 39 catégories de biens et ne parviennent pas à rejeter la racine unitaire. Ainsi, suite à un choc monétaire, les séries divergent et il n’y a pas de retour à l’équilibre initial où la loi du prix unique est respectée. Ils appliquent le même raisonnement pour une variété de biens individuels échangeables et ne parviennent pas également à rejeter la racine unitaire. Les séries ne sont donc pas stationnaires et ne reviennent pas à l’équilibre de base où la loi du prix unique est vérifiée. Les effets des chocs sont permanents et les déviations à la loi du prix unique et à la PPA sont persistantes. Verboven (1996) aboutit au même résultat et montre que les déviations à la loi du prix unique et à la PPA sont dues aux barrières au commerce international.

Notes
81.

Chevalier et Hirsch (1982), page 120.

82.

Cependant, Macdonald et Moore (1996) montrent que la parité de pouvoir d’achat a une certaine validité comme relation à long terme, qui s’exprime dans la tendance des taux de change bilatéraux à converger vers le niveau déterminé par les prix relatifs. En proposant une nouvelle validation empirique de la relation qui lie les prix relatifs aux taux de change à long terme, ils montrent qu’il existe, entre 1973 et 1990, une forte stabilité des prix relatifs pour le mark, le yen et le dollar. Cela signifie pour eux qu’il y a une forte stabilité de la PPA à travers le temps.

83.

La décomposition d’Engel (1999, a) est la suivante. Si les biens échangeables partagent gamma de l’indice des prix domestiques (en log), nous obtenons l’équation suivante.

p = γpT + (1 – γ)pT

(pT) correspond au prix des biens échangeables. Cela s’applique aussi pour le prix étranger (p*). Nous pouvons maintenant décomposer le taux de change réel (q).

q = (s + p* – p)

= (s + p*T – pT) + (1 – γ)(pT – pN) – (1 – γ*)(p*T – pN)

(pN) désigne le prix des biens non-échangeables. Le premier terme de l’équation correspond aux déviations du prix des biens échangeables mesurant les échecs à la loi du prix unique. Les deux autres termes correspondent aux déviations du prix des biens échangeables par rapport au prix des biens non-échangeables. Les déviations du taux de change réel (échecs à la parité de pouvoir d’achat) peuvent alors être décomposées en deux types de déviations, les déviations du prix des biens échangeables entre pays et les déviations du prix relatif des biens échangeables par rapport au prix des biens non-échangeables dans chaque pays. Engel étudie plusieurs horizons de temps, allant de 1 mois à 30 ans (si l’on croît que la rigidité des prix joue un rôle dans les déviations à la loi du prix unique et à la PPA, ce rôle s’estompera à moyen et long termes). Il analyse les données des pays du G-7 (sauf la Grande Bretagne) et calcule les prix relatifs par rapport aux Etats-Unis. La longueur des séries utilisées dépend de la nature de l’information. La plupart de ces informations sont mensuelles et s’étendent de 1967 à 1995. Les résultats d’Engel sont très intéressants. Une partie de la variation du taux de change réel est due à la composante « biens échangeables » sur plusieurs horizons de temps. Cette composante est à l’origine de 100% des variations du taux de change réel par rapport au dollar américain dans tous les pays étudiés (sauf le Canada). Les résultats sont similaires pour les autres mesures de biens non-échangeables. Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les changements dans les prix relatifs des biens non-échangeables ne sont pas importants pour la détermination du taux de change réel, la part essentielle venant des déviations à la loi du prix unique des biens échangeables.

84.

Engel et Rogers (1996) étudient les déviations à la loi du prix unique en partant de l’hypothèse que ces déviations existent et qu’elles correspondent à des déviations de prix entre pays. Ils montrent que, pour un grand nombre de marchandises, la déviation à la loi du prix unique à l’intérieur des frontières nationales est très importante pour être seulement expliquée par l’éloignement géographique ou les coûts de transport. Leur méthodologie est la suivante. Ils étudient les prix de 14 groupes de biens dans 23 villes américaines et canadiennes. Les informations collectées sont mensuelles et s’étalent de juin 1978 jusqu’en décembre 1994. Ils mesurent la volatilité des prix relatifs (et non la « variance »). (Pi j,k) correspond au pourcentage de disparité des prix entre régions, égal à la différence entre le log (prix du bien i, ville j) et le log (prix du bien i, ville k). [v(Pi j,k)] est la première différence dans cette mesure de prix relatif (écart bimestriel, parce que dans certaines villes, la publication des données a lieu tous les deux mois) qui permet d’obtenir les déviations de prix à court terme au lieu du long terme. Ils utilisent aussi une mesure de volatilité fondée sur la méthodologie d’erreur de prévision employée par Engel (1993), qui porte sur l’utilisation de l’erreur de prévision résiduelle d’une régression de (Pi j,k) sur des modèles saisonniers avec six écarts. L’idée consiste à analyser les déviations de la tendance et non pas les déviations de la période précédente.

V(Pi j,k) = βi 1rjk + βi 2Bjk + γm Dm + ujk

(r) correspond au log de la distance (relation convexe), (B) au modèle de frontière, et (D) à la série de villes. Engel et Rogers montrent que la distance est importante dans 13 des 14 cas de groupes de biens, que le rôle des frontières est positif et significatif pour les 14 groupes et que le passage entre les frontières ajoute 1 780 miles pour la variabilité des prix.

85.

Les imperfections du marché sont dues essentiellement aux barrières tarifaires et commerciales, aux difficultés d’arbitrage sur les marchés, aux coûts de transport, à la segmentation des marchés, et à la différenciation des produits.