Le choix du régime de change

Pour Feldstein (1992, 1997), les taux de change flottants conviennent mieux que la monnaie unique à l’Europe. En union monétaire, les taux de change nominaux ne peuvent pas s’ajuster pour assurer la variation nécessaire du taux de change réel aux chocs économiques. Les niveaux de prix et salaires domestiques varient alors pour assurer cette variation. Cette baisse des prix et salaires domestiques crée du chômage. C’est pourquoi, d’après ce raisonnement, les taux de change flottants sont plus appropriés. Ainsi, suite à un choc dans un pays, le taux de change nominal varie et permet l’ajustement du taux de change réel.

Engel (1999, b) cite le travail d’Eichengreen et Wyplosz (1993), qui ont montré que les prix des biens allemands ont augmenté par rapport aux prix des autres pays du SME suite à l’expansion budgétaire qui a suivi la réunification de l’Allemagne. Cette variation a exercé un effet stabilisateur direct sur la production et a conduit à un déficit de la balance courante allemande « parce que les Allemands et les autres Européens se sont détournés des biens allemands pour acheter des biens fabriqués dans d’autres pays » 107 . Engel soutient l’idée selon laquelle, pour un grand nombre de biens, les producteurs allemands fixent deux prix différents, un pour le marché allemand et un autre pour le marché français. Les deux prix de vente sont rigides et ne réagissent pas aux variations de change. Ainsi, « le rôle stabilisateur que jouent les taux de change disparaît en absence du report des variations de change sur les prix domestiques » 108 . Ce comportement est aussi observé chez les producteurs français qui fixent deux prix différents, selon qu’ils s’adressent au marché intérieur français ou au marché étranger allemand.

Les variations du taux de change nominal ont des effets réels, car lorsque le mark s’apprécie et que les prix en francs français des biens fabriqués en Allemagne restent constants, les revenus (en marks) des firmes allemandes diminuent. Inversement, les revenus en francs français des entreprises françaises commercialisant leurs produits en Allemagne augmentent. Les variations des bénéfices permettent aux entreprises de stabiliser les changements dans la demande agrégée puisque, selon Engel, « la baisse des profits des entreprises allemandes et la hausse des profits des entreprises françaises réduisent la demande en Allemagne et l’accroissent en France » 109 .

Cependant, la couverture des positions de change par les entreprises, en achetant des contrats de futures ou en ayant recours aux marchés de produits dérivés, affaiblissent les effets sur la demande agrégée du canal de profit des entreprises. De plus, certaines entreprises n’ont même pas besoin de se couvrir contre les variations du taux de change, car elles diversifient leurs investissements en portefeuille dans plusieurs pays 110 . Les gains de la diversification sont remis en cause par Chevalier et Kovacs (2000), qui évoquent le risque de dilution. Pour ces deux auteurs, « si la diversification dilue bien le risque que fait courir la possession d’une action qui se comporte plus mal que la moyenne, elle dilue aussi l’impact positif sur la valeur du portefeuille de la possession d’une action qui se comporte mieux que la moyenne » 111 .

L’intégration du « local currency pricing » dans le modèle Mundell–Fleming affaiblit les arguments en faveur d’un régime de change flottant. Comme les prix des biens de consommation sont libellés dans la monnaie du pays de l’acheteur et sont par conséquent rigides, les variations du taux de change ne se transmettent pas aux prix de vente. Engel défend la thèse selon laquelle « la sur-réaction du taux de change à court terme est compatible avec la grande volatilité des régimes de change flottants modernes. La variation du taux de change a très peu d’effet à court terme sur le marché des biens. De grandes variations du taux de change sont alors nécessaires pour assurer l’équilibre du marché financier » 112 . Ainsi, l’argument de Mundell–Fleming en faveur des taux de change flottants est mitigé. Les effets du change flottant sont très limités quand le degré de PtM est élevé. Dans les versions sans PtM du modèle Mundell–Fleming, les variations du taux de change compensent les effets d’un choc de demande et n’affectent pas le revenu. Mais, en cas de PtM et de faible transmission des variations de change, le rôle stabilisateur des taux de change flottants est réduit. Les variations de change n’affectent pas les marchés de produits à court terme et ne jouent pas le rôle d’un canal de transmission des ajustements réels aux chocs monétaires et économiques. Les modèles Mundell–Fleming « sans » et « avec » PtM sont présentés dans les annexes (4) et (5).

Pour Engel, la répercussion des variations de change aux prix de vente est plus forte pour les produits simples et homogènes que pour les produits complexes fabriqués par des firmes monopolistiques. Ce résultat contredit les avancées de Bellando et Pollin (2002), qui parviennent à un résultat opposé et montrent que la transmission des variations de change est faible dans le cas de produits homogènes exposés à la concurrence internationale et vendus dans la monnaie du pays de l’acheteur, et forte dans le cas de produits différenciés fabriqués par des entreprises monopolistiques et vendus dans la monnaie du pays du producteur.

Les variations du taux de change nominal n’influencent ni les importations ni les exportations. La demande des exportations est uniquement influencée par le revenu étranger et par les prix perçus par les acheteurs étrangers.

L’intégration du PtM dans l’étude du régime de change le plus approprié à une zone monétaire repose bien entendu sur l’existence d’une segmentation internationale des marchés à travers les écarts observés à la loi du prix unique (Patureau, 2003). Goldberg et Knetter (1997) montrent que la répercussion des variations de change sur les prix à l’exportation est plus forte que le report sur les prix de biens finis destinés à la vente aux consommateurs.

Notons que les modèles évoqués dans cette partie attribuent un rôle secondaire au marché du travail. Cependant, plusieurs auteurs pensent que ce marché est fondamental pour l’étude des ajustements dans les économies européennes. L’Europe est caractérisée par une forte rigidité des salaires réels qui conduit à un ajustement très lent des marchés de travail européens (Krugman et Obstfeld, 2000), (Engel, 1999, b). Afin d’étudier les effets des chocs de demande sur le taux de change, Engel utilise le modèle de Devereux et Engel (1998). Ces deux auteurs comparent les régimes de change, fixe et flottant, dans des modèles d’optimisation inter-temporels, et montrent que lorsque les marchés sont intégrés, l’utilité marginale de consommation est égale au prix.

u’(c)/p = u’(c*)/ep*

(u) correspond à l’utilité instantanée, (c) et (c*) aux consommations par habitant dans chaque pays, (p) et (p*) aux indices de prix à la consommation dans les deux pays du modèle. Pour Devereux et Engel (1998), lorsque la loi du prix unique est vérifiée, la parité de pouvoir d’achat est vérifiée aussi. Dans ce cas :

p = ep*

c = c*

Cette constatation est compatible avec les résultats d’Engel, pour qui « les fluctuations locales du revenu (et ainsi de la consommation) sont totalement éliminées quand la parité de pouvoir d’achat est respectée » 113 .

Notes
107.

Engel (1999, b), page 1.

108.

Engel (1999, b), page 2.

109.

Engel (1999, b), page 3.

110.

Les fluctuations du taux de change euro-dollar n’affectent pas, par exemple, les revenus d’un américain investissant une somme égale dans une entreprise parisienne et dans une autre entreprise new-yorkaise.

111.

Chevalier et Kovacs (2000), page 95.

112.

Engel (1999, b), page 15.

113.

Engel (1999, b), page 18.