1.2. Le Japon et les fluctuations du yen

A l’opposé des firmes américaines, qui fixent en général leurs prix à l’exportation en dollars, les entreprises japonaises adoptent en grande partie la vente dans la monnaie du pays de l’acheteur et libellent leurs exportations dans d’autres monnaies que le yen.

Entre le 5 janvier 1994 et le 19 avril 1995, le yen japonais s’est apprécié de 34% par rapport au dollar américain, en passant de 113 à 80 yens pour un dollar. Si on voulait éviter d’importantes fluctuations dans la production de biens échangeables dans les deux pays, il fallait s’attendre à des retombées dramatiques sur les salaires relatifs ou sur le taux de croissance de la productivité. Que s’est-il passé dans la réalité ?

La production industrielle par employé a augmenté de 9% au Japon et de 5% aux Etats-Unis. L’appréciation du yen et les écarts entre les accroissements de la productivité et de l’inflation par les salaires ont provoqué une baisse de 30% des charges salariales aux Etats-Unis par rapport au Japon. La production industrielle japonaise ajustée a augmenté de 6% contre seulement 5% pour la production américaine.

Pourquoi la production japonaise de biens échangeables n’a pas diminué par rapport à celle des Etats-Unis ? La réponse est simple. Malgré la hausse relative des salaires au Japon, les prix à l’exportation des biens japonais n’ont pas augmenté. Les acheteurs étrangers de biens japonais ont continué à acheter les produits japonais aux mêmes prix exprimés dans leurs monnaies nationales. Goldberg et Knetter (1997) donnent l’exemple de la voiture Toyota Celica ST fabriquée au Japon et vendue aux Etats-Unis 136 . Le prix de cette voiture est passé de 16 968 dollars en 1994 à 17 285 dollars en 1995, soit une augmentation de moins de 2%. Encore plus surprenant, le prix de vente d’un grand écran de télévision SONY Tinitron a diminué de 15% aux Etats-Unis entre 1994 et 1995 ! Cela nous conduit à la conclusion selon laquelle la transmission des variations de change aux prix de vente est partielle dans le cas du Japon.

Marston (1990) trouve que seulement 2 secteurs sur 17 de l’industrie japonaise ne pratiquent pas la vente en PtM. Il s’agit des appareils photos et des camions de petite taille. Le report des variations du yen sur les prix à l’exportation des micro-ondes est de 70%. En revanche, la répercussion des variations de change sur les prix à l’exportation des amplificateurs et des pneus est presque totale (pas de PtM). Sur l’ensemble des trois secteurs étudiés (le transport, les équipements, les biens de consommation), Marston trouve que le taux de PtM moyen approche les 50%.

Gagnon et Knetter (1995) montrent que les exportateurs d’automobiles japonais suppriment 70% des effets des variations de change sur leurs prix de vente à l’étranger en ajustant leurs taux de marge. Ce résultat correspond aux résultats de Marston (1990), pour qui la répercussion des variations de change dans le secteur automobile pour la période allant de 1973 à 1987 varie entre 52% et 89%. Le pass-through estimé par Marston s’élève à seulement 30%, contre un taux de 70% avancé par Feenstra.

Pour Giovannini (1988) et Marston (1990), les prix préétablis des exportations japonaises exprimés en monnaies étrangères contribuent au PtM à court terme, et une part importante de ce PtM subsiste bien au-delà de la période de rigidité des prix.

Page (1981) montre que le Japon est la seule grande économie où 62% des exportations sont vendues en dollars contre seulement 32% en yen, en comparaison à d’autres pays comme les Etats-Unis où 98% des exportations sont libellées en dollars ou l’Allemagne où 82% des exportations sont libellées en DM.

La tendance des exportateurs japonais à fixer les prix de vente de leurs produits dans la monnaie du pays de l’acheteur est confirmée par les statistiques de l’Institut de l’ECU (1995), selon lesquelles 40% des exportations japonaises sont libellées en yen, et par Bekx (1998), qui montre que seulement 36% des exportations japonaises sont libellées en yen. Pour ce chercheur, 64% des exportations du Japon sont vendues en PtM.

Du côté des importations, 17% seulement des importations du Japon sont libellées en yen (Institut de l’ECU, 1995). Ce chiffre est proche de celui de Bekx (1998), qui montre que seulement 23% des importations japonaises sont libellées en yen. Les résultats de Campa et Goldberg (2002) confirment la tendance des exportateurs étrangers à libeller leurs ventes au Japon dans leur propre monnaie. Selon ces deux chercheurs, le pass-through aux importations japonaises est de 88% en courte période (un trimestre) et 126% en longue période. Faruqee (2004) montre à son tour que les importateurs japonais achètent dans la monnaie de leurs partenaires commerciaux.

Notes
136.

Leur étude est une revue de littérature complète sur les aspects macroéconomiques et microéconomiques des pratiques de tarification du commerce international et de la transmission des variations de change aux prix de vente.