L’Allemagne

Selon l’Institut de l’ECU (1995), 77% des exportations allemandes sont libellées en marks. Pour Page (1981), 82% des exportations allemandes sont libellées en DM et la moitié du reste est vendue en dollars. Pour Bekx (1998), 75% des exportations allemandes sont libellées en marks. Knetter (1993) précise que 89% des industries allemandes adoptent le PtM.

Knetter (1995) montre que, pour les voitures au-delà de 3000cc, le PtM est faible. Il rappelle les résultats de Gagnon et Knetter (1994), qui « montrent que le constat d’ajustement du taux de marge des exportations de voitures allemandes signifie que les exportateurs peuvent segmenter leurs marchés, mais qu’ils rencontrent plus de difficulté dans la vente de petites voitures que dans la vente de grandes voitures » 137 . La présence de substituts dans l’industrie de petites voitures limite les variations de prix en devises étrangères si le cours du DM varie. En revanche, il y moins de substituts pour les grandes voitures. Dans ce cas, l’ajustement du taux de marge nécessaire en cas de variation du cours de change est minime. Des raisons de nature commerciale rentrent en jeu aussi. C’est par exemple le cas lorsque « les exportateurs de grandes voitures n’ont pas besoin de stabiliser leurs prix en monnaie locale pour être au même niveau que la concurrence domestique. Pour beaucoup d’acheteurs, BMW et Mercedes ne sont probablement pas substituables par d’autres marques de voitures » 138 .

Ce résultat correspond à celui de Gil-Pareja (2003), qui étudie le comportement de PtM sur les marchés européens de voitures entre 1993 et 1998 et montre que la stabilité des prix en monnaie nationale est vigoureuse indépendamment de la monnaie de facturation. Gil-Pareja trouve que la BMW série 7 et la Mercedes 320s sont, contrairement aux autres modèles de voitures allemandes, vendues en marks.

Knetter constate aussi l’absence de PtM dans l’exportation de voitures allemandes vers le Japon et les Etats-Unis. Il précise que « la discrimination de prix par rapport aux variations de change apparaît seulement en période de baisse du dollar après 1985 » 139 . Durant cette période, les prix de vente aux Etats-Unis ont peu baissé par rapport aux prix de vente au Japon.

Melka (2002) étudie le comportement des firmes exportatrices allemandes pour la vente d’automobiles de moyennes cylindrées (entre 1 500 et 3 000 centimètres cubes) à destination de la France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et du Japon, pour la période allant de janvier 1990 jusqu’en juillet 1997. Son choix du marché automobile est motivé par la forte concurrence monopolistique sur ce marché où les producteurs allemands sont bien implantés. Pour elle, « les firmes exportatrices allemandes vont adopter un comportement asymétrique de répercussion des variations de change sur leurs prix de vente en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon, selon l'évolution du taux de change. Par conséquent, la stratégie de fixation des prix des firmes diffère selon l'évolution du taux de change » 140 .

Pour Melka, les comportements de pricing-to-market dépendent du sens de variation du taux de change et de l'ampleur des mouvements de change. La valeur du taux de change qui provoque un changement de comportement de la part des firmes allemandes diffère sensiblement d'un pays à l'autre. Aux Etats-Unis et au Japon, le taux de change doit diminuer de moins de 3% et 2,5% respectivement avant que les firmes ne modifient leurs stratégies, alors qu'il suffit qu'il augmente de 0,1 % ou baisse de 0,1 % en France ou au Royaume-Uni, respectivement.

Melka cherche à déterminer s'il existe des asymétries dans les réponses des prix à un mouvement de change. Elle distingue l'effet d'une appréciation et d'une dépréciation, et définit un choc de change positif par une diminution de x% de la valeur de la monnaie de l'exportateur par rapport à la monnaie du client, et un choc de change négatif par une augmentation de x% de la valeur de la monnaie de l'exportateur par rapport à la monnaie cliente. Le principal résultat auquel elle aboutit est que le comportement de répercussion des variations de change sur les prix à l’exportation des entreprises allemandes est asymétrique. Le degré de report des variations de change sur les prix de vente diffère selon le sens de variation et l'ampleur du mouvement de change. Les exportateurs allemands répercutent plus les fluctuations de change sur leurs prix de vente en cas de dépréciation relative de leur monnaie qu’en cas d'appréciation. Un choc de change négatif de 20% entraîne une augmentation des prix de vente, mais dans des proportions moindres que la baisse des prix qui suit un choc de change positif de 20%. Si ces exportateurs adoptent une stratégie asymétrique selon le sens et l’ampleur de la variation du taux de change, c’est parce qu’ils veulent « limiter la hausse des prix de vente de leurs produits en cas d'appréciation relative de leur monnaie » 141 . Cette stratégie est motivée par leur crainte de perdre des parts de marchés. La stratégie de parts de marchés des firmes allemandes s’oppose au niveau européen à la stratégie des entreprises suédoises, qui répercutent en partie les variations de change sur leurs prix de vente à l’exportation, mais qui ne sont pas guidées dans leurs politiques par des considérations commerciales de parts de marchés (Adolfson, 1999).

Toutefois, la stratégie de parts de marchés des entreprises allemandes n’est pas poussée à l’extrême. Celles ci n'adoptent pas de stratégie particulièrement poussée de conquête de nouvelles parts de marchés et ne répercutent proportionnellement pas de la même manière un choc de change positif de 10% ou de 20% sur leurs prix. Ainsi, « elles diminuent proportionnellement plus leurs prix dans le cas d’une faible dépréciation (10%) qu'elles ne le font face à une forte dépréciation (20%) » 142 . Il découle de ce résultat que les firmes allemandes préfèrent accroître leurs marges de profit que leurs parts de marchés.

Les résultats de Melka relatifs aux asymétries des comportements des firmes selon l'ampleur du choc de change s'opposent aux conclusions de Delgado (1991) et Kasa (1992) 143 , qui montrent que ce n’est pas le sens de variation du taux de change qui affecte le degré de report des fluctuations de change sur les prix de vente, mais c’est l’ampleur des variations qui détermine le choix des firmes de répercuter ou de ne pas répercuter les mouvements de change sur leurs prix de vente.

Concernant les exportations allemandes de bière et de produits chimiques (teinturerie synthétique, teinturerie spéciale, Vitamine C), Knetter (1995) montre qu’elles ont des caractéristiques plus stables et qu’elles mettent en évidence la présence du PtM pour à peu près tous les marchés destinataires. Les prix en DM des exportations aux Etats-Unis augmentent plus rapidement que les prix à l’exportation au Japon quand le dollar s’apprécie par rapport au yen, et vice versa. L’augmentation du prix de la bière en monnaie nationale signifie que le PtM n’est pas total, mais la baisse des marges bénéficiaires montre que ce comportement existe. Knetter précise que « 50% des fluctuations de change sont compensées par les ajustements de marges des exportations allemandes vers les Etats-Unis » 144 . Pour Glauben et Loy (2003), le PtM est essentiellement motivé par des considérations de coûts fixes, notamment les contrats « qui sont souvent utilisés dans les marchés d’exportation des aliments et des boissons » 145 .

La tarification PtM des exportations allemandes vers les Etats-Unis est une évidence. Cependant, les degrés de PtM des exportations allemandes sont identiques pour les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne et le Canada. Malgré la grande importance qu’accordent les exportateurs allemands au marché américain, ils attribuent les mêmes degrés de PtM aux Etats-Unis qu’aux autres pays. Knetter précise que « si les prix des biens étrangers exprimés en monnaie nationale sont plus stables aux Etats-Unis qu’ils ne le sont ailleurs, cela est dû au fait que les coûts de production ou les autres facteurs qui affectent les prix mondiaux sont plus positivement (négativement) affectés par la force (faiblesse) du dollar que les autres monnaies étrangères » 146 . Ce résultat n’est pas surprenant parce que le dollar est fréquemment utilisé pour libeller les matières premières. Goux (2003) précise que « le pétrole est encore presque toujours facturé et coté en dollar (10 à 15% en euro), y compris le pétrole européen » 147 .

Du côté des importations, moins de 60% des variations de change et des prix de l’énergie transitent vers les prix à l’importation (Warmedinger, 2004). Ces résultats confirment les chiffres de l’Institut de l’ECU (1995) où 56% des importations sont libellées en marks. Ils confirment aussi les propos de Bekx (1998) selon lesquels 52% des importations allemandes sont libellées en marks. Pour Campa et Goldberg (2002), 60% des variations de change transitent aux importations allemandes en courte période et 80% en longue période.

Notes
137.

Knetter (1995), page 14.

138.

Knetter (1995), page 23.

139.

Knetter (1995), page 15.

140.

Melka (2002), page 15.

141.

Melka (2002), page 27.

142.

Melka (2002), page 28.

143.

Kasa (1992) étudie le comportement d’un monopoleur allemand vendant des produits identiques aux Etats-Unis et au Canada. Il teste l’hypothèse selon laquelle, sous PtM, les prix en marks allemands des importations des Etats-Unis augmentent (ou diminuent) par rapport aux prix des importations canadiennes lorsque le dollar américain augmente (ou diminue). Il défend la thèse selon laquelle, si les coûts d’ajustements des Etats-Unis et du Canada sont différents, cela conduit au PtM. Il trouve que les coûts d’ajustements sont importants dans les deux pays, notamment pour les automobiles vendues aux Etats-Unis (par rapport aux autres biens commerciaux).

144.

Knetter (1995), page 20.

145.

Glauben et Loy (2003), page 1.

146.

Knetter (1995), page 21.

147.

Conférence de J.F. Goux (2003) à l’Ecole Supérieure des Affaires (ESA), Beyrouth.