2.1. Le rôle des prix

En plus des facteurs affectant les décisions de fixation de prix par les entreprises et cités dans la partie précédente (présence ou non de substituts sur les marchés destinataires, pénétration de nouveaux marchés, préservation des parts de marchés, sens de variation du taux de change, ampleur du mouvement de change, etc.), la rigidité des prix et les marges bénéficiaires des entreprises affectent à leur tour les décisions de prix et la tarification des échanges internationaux.

Comment la rigidité des prix affecte les décisions de prix ? Nous avons soulevé, lors de la présentation de la sur-réaction du taux de change dans la Section (I), les explications théoriques de la rigidité des prix. Dans la pratique, les études empiriques montrent que certains produits sont beaucoup plus rigides que ne laissent entendre les théories économiques. Ces études indiquent que les prix restent fixes pendant des périodes relativement longues. Les changements de prix ont ainsi lieu de manière discontinue.

Au niveau national, le prix n’est pas la seule variable d’ajustement des marchés. Les prix d’un grand nombre de produits changent souvent, alors que les prix d’autres produits varient peu (Mills, 1927). La durée moyenne de stabilité des prix varie selon les industries, et passe de 6 mois pour les produits électroménagers (Carlton, 1986) à 36 mois pour les journaux (Cecchetti, 1985). Means (1935) soutient l’idée selon laquelle les lois d’offre et de demande ne fonctionnent pas parfaitement. Les prix ne varient pas suffisamment pour assurer l’équilibre du marché. Une interprétation moderne des résultats de Means revient à dire que les marchés sont administrés et contrôlés par des entreprises qui n’ajustent pas leurs prix aux chocs monétaires ou réels. Lorsque les marchés sont administrés, les variations de prix sont limitées. Cependant, au moment de la modification des catalogues des entreprises, les variations de prix sont importantes. Stigler et Kindahl (1970) modifient le cadre de travail de Means et intègrent les remises de prix consenties par les entreprises, ainsi qu’un grand nombre de transactions individuelles entre acheteurs et vendeurs. Il ressort de leur étude que les prix, même s’ils sont rigides, sont plus ajustables que ne le laissent entendre les résultats de Means. D’après leur raisonnement, la rigidité des prix est due aux relations qu’entretiennent les entreprises entre elles à long terme. Ainsi, durant les périodes de crises ou suite à un choc d’offre de monnaie ou à un choc de demande, les prix des biens vendus au comptant augmentent plus que les prix des biens fixés dans le cadre de contrats à long terme. Les contrats à long terme ne fixent pas en général le prix de manière statique (Williamson, 1975). Il existe une corrélation entre la rigidité des prix et la concentration des marchés. Ainsi, plus un marché est concentré, plus les prix sont stables (Carlton, 1986).

Au niveau international, les prix s’ajustent lentement lorsque la concentration d’un marché est importante (Gordon, 1983). L’ajustement des prix s’accélère lorsque de nouvelles entreprises rentrent sur le marché ou lorsque les importations augmentent.

Quel est l’effet des marges bénéficiaires des entreprises sur les décisions de prix ? Dans les industries à forte concentration, les marges dégagées par les entreprises augmentent durant les périodes d’expansion économique, et diminuent lorsque l’activité ralentit. Cette constatation empirique de l’économie industrielle s’explique par la rigidité des coûts, notamment celle des salaires réels. Ainsi, suite à un choc monétaire ou budgétaire entraînant la hausse de la demande et du prix de vente, les coûts augmentent peu et la marge bénéficiaire des entreprises s’accroît. La modification des salaires réels dépend principalement du taux de syndicalisation des employés 159 . Cependant, dans les industries où la concentration est faible, les marges des entreprises diminuent en période d’expansion, et augmentent en période de récession.

Notes
159.

Le pouvoir des syndicats dépend du taux d’affiliation des travailleurs et de la capacité des syndicats à les mobiliser. Ce pouvoir permet d’aboutir à des conventions de salaires relativement favorables pour les employés. Les salaires convenus sont en général supérieurs à leur niveau d’équilibre. La menace de syndicalisation est parfois anticipée par les entreprises, qui évitent d’engager de longues discussions avec les syndicats, et ajustent volontairement les salaires de leurs employés à l’accroissement de l’offre de monnaie.