La parité d’intérêt nominale

L’étude des liens entre l’offre de monnaie, le taux d’intérêt et le taux de change fait appel aux conditions de parité (couverte et non couverte) des taux d’intérêt. Cette partie est inspirée en partie de Koening (1997) 182 .

Lorsque la parité de taux d’intérêt est « couverte », les agents cherchant à se couvrir contre le risque de perte en capital en cas de variation défavorable du taux de change peuvent recourir au marché à terme ou exiger une prime de compensation du risque qu’ils supportent. Lorsque la parité de taux d’intérêt est « non couverte », les agents sont disposés à prendre des risques en s’engageant dans des transactions non couvertes par des opérations à terme. Dans ce cas, l’écart entre le taux d’intérêt nominal d’un pays et le taux d’intérêt étranger est approximativement égal à la dépréciation attendue du taux de change pendant la période de détention.

Quelles sont les conditions de la parité couverte de taux d’intérêt ? Le placement en titres européens pendant un an d’une somme de (X) euros revenant à des détenteurs de dépôts européens rapporte un taux d’intérêt (r), et ramène à terme une somme égale à [X(1 + r)] euros. Si les détenteurs de dépôts européens décident de placer la même somme en titres anglais, dont les caractéristiques sont identiques à celles des obligations européennes, ils doivent échanger en premier lieu les (X) euros contre des livres sterling au taux de change courant (E). Ils devront, en second lieu, placer les (X/E) pounds obtenus en titres anglais rapportant un taux d’intérêt (r). Le capital dont ils disposeront dans un an est égal à [X(1+r)/E] pounds. Cependant, ces agents ne connaissent pas exactement le taux de change futur au moment de la transformation des livres obtenues en euros. Ils supportent en conséquence un risque de perte en capital si l’euro s’apprécie. Deux solutions sont possibles. Les agents peuvent, soit recourir au marché à terme, soit exiger une prime. Les individus qui ont une aversion envers le risque, et préférant un gain certain plutôt qu’un revenu incertain, peuvent acheter en début de période un contrat à terme leur permettant d’échanger les pounds obtenus en fin de période contre des euros, au taux de change à terme (ET) défini à l’avance. Ils sont ainsi sûrs qu’ils récupèreront au moment de la liquidation des titres anglais une somme de [X(1+r)ET/E] euros. Le choix des opérateurs est fondé sur une comparaison entre les valeurs des deux placements possibles en fin de période. L’équilibre suivant détermine l’arbitrage.

(1 + r) = (1 + r )E T (1)

E

En remplaçant (ET/E) par [(E + δ)/E] avec (δ < 0) ou (δ > 0), et en exprimant l’équation (1) modifiée en termes logarithmiques, nous obtenons l’équation suivante.

ln(1 + r) = ln(1 + r) + ln(1 + δ/E) (2)

Cette équation nous permet de tirer l’approximation suivante pour des valeurs faibles de (r), (r) et (δ/E). La relation (3) définit la parité couverte de taux d’intérêt 183 .

r = r + E T – E (3)

E

S’ils ne se couvrent pas sur le marché à terme, les individus qui ont une aversion envers le risque demandent une prime de compensation du risque de change. Cette prime est égale à la différence entre le taux de change attendu et le taux à terme.

D’un point de vue financier, on parle de différentiel d’intérêt couvert. Ce différentiel correspond à la différence entre le rendement obtenu de l’investissement en titres européens et le rendement obtenu de l’investissement en titres anglais.

ic = (r – r) = (ET/E) (1 + i) – (1 + r) (4)

Trois situations sont possibles. Si le différentiel d’intérêt est positif, l’arbitrage est « sortant », et le différentiel est couvert en faveur du Royaume-Uni. Si le différentiel d’intérêt est négatif, l’arbitrage est « entrant », et le différentiel est favorable au Royaume-Uni. Si le différentiel d’intérêt est nul, le placement dans l’une ou l’autre des deux monnaies est indifférent. L’équation du différentiel d’intérêt couvert permet d’obtenir les équations suivantes.

ic = [(ET – E)/E] – r + r+ [(ET – E)/E] r(5)

(ET – E)/E = (r – r) (6)

Si f = (ET – E)/E

f = (r – r)

Ce différentiel de change est égal au différentiel d’intérêt. Cette relation est une relation de prix unique qui peut être interprétée de plusieurs manières. Sur des marchés monétaires différents où les actifs ont le même degré de risque et de liquidité, les actifs ont le même rendement net. Lorsque la monnaie nationale est affectée d’un taux d’intérêt plus élevé que la devise étrangère, elle doit coter un déport (f > 0). Inversement, si elle sert un taux d’intérêt inférieur à la devise étrangère, elle doit coter un report (f < 0). Sur des marchés bien arbitrés, si la parité couverte de taux d’intérêt est respectée, il n’y a plus d’opportunité à passer d’un marché national à un autre pour réaliser un profit.

Les situations d’équilibre sont rares dans la réalité. Les déviations à la parité couverte de taux d’intérêt tiennent à une série d’éléments, comme les coûts de transaction nécessaires à la réalisation de l’opération d’arbitrage (frais de communication, courtage, commissions, etc.). Ces coûts peuvent rendre l’arbitrage non profitable (Frenkel et Levich, 1975). Les réglementations gouvernementales (taxes sur les mouvements de capitaux, taux d’intérêt négatifs, prélèvements fiscaux, etc.) jouent aussi un rôle perturbateur par rapport à la parité de taux d’intérêt. La différence de nature des actifs en termes d’exposition au risque et de liquidité influence de même l’équilibre et justifie les écarts à la parité couverte de taux d’intérêt (Bourguinat, 1999). Les bons du Trésor américains sont par exemple plus liquides que les bons du Trésor libanais, et un supplément de rendement est toujours exigé pour les titres libanais. De même, les risques politiques accroissent les primes de risque en sus des écarts d’intérêt.

Quelles sont les conditions de la parité non couverte de taux d’intérêt ? La parité non couverte est dérivée de la parité couverte de taux d’intérêt, mais est traitée en même temps en tant que fonction autonome, car elle introduit l’aspect « anticipé » du cours de change traité comme une variable « aléatoire » (alors que pour la parité couverte de taux d’intérêt, la relation établie concerne deux éléments « certains »). Lorsque la variable est aléatoire, il est impossible, d’après Chevalier et Kovacs (2000), « de déduire les cours à l’avenir à partir des cours du passé » 184 . Les agents qui ne se couvrent pas par des opérations à terme et préfèrent un gain incertain à un revenu certain évaluent le rendement moyen de leur portefeuille et la distribution des rendements autour de la moyenne des profits et pertes en capital (résultant des fluctuations du taux de change). L’équilibre est obtenu lorsque le taux d’intérêt nominal est égal à la somme du taux d’intérêt étranger et du taux de variation du taux de change prévu, corrigé par la prime de risque. Les agents qui sont neutres envers le risque prennent leurs décisions en fonction du rendement moyen espéré de leur portefeuille, sans accorder beaucoup d’importance à la distribution des rendements autour de la moyenne des profits et pertes résultant des fluctuations du taux de change. Les anticipations sur la variation du taux de change sont le déterminant principal de leurs choix d’actifs. Dans le cadre de la parité non couverte de taux d’intérêt, l’investisseur qui choisit un actif étranger ne le revend pas. Il reste en position de change ouverte parce qu’il suppose que le taux au comptant futur de la devise se traduira par une appréciation de son cours (dépréciation de la monnaie nationale). Les détenteurs de dépôts européens, cherchant à placer pendant un an une somme de (X) euros en obligations européennes, ou l’équivalent à (X) euros (soit X/E pounds) en obligations britanniques, savent qu’ils détiendront [X(1+r)] euros en fin de période. Une autre alternative est aussi possible. Les agents anticipent un montant de [X(1+r)Ee/E] euros calculé sur la base d’un taux de change anticipé (Ee). L’équilibre suivant détermine l’arbitrage.

(1 + r) = (1 + r )E e (7)

E

L’équation (7) nous permet de tirer une approximation de la parité non couverte de taux d’intérêt. Lorsque la condition (8) est remplie, le taux de change anticipé est égal au taux de change à terme défini dans l’équation [r = r + (ET – E)/E]. La prime de risque est nulle dans ce cas.

r = r + E e – E (8)

E

Si S = (Ee – E)/E

S = (r– r)

Si, par exemple, le taux d’intérêt britannique est de 3%, et si le taux de dépréciation de l’euro (S) est de 5%, il faudra pour qu’il y ait équilibre que le taux d’intérêt de l’euro soit égal à 8%. Plusieurs conséquences résultent de cette relation. En premier lieu, si la parité non couverte de taux d’intérêt est satisfaite, l’écart de taux d’intérêt de deux actifs comparables est égal au taux de la variation anticipée du taux de change. En second lieu, la relation entre l’écart de taux d’intérêt et le taux de variation du taux de change est une relation inversée. Si (r– r) > 0, (S > 0). Dans ce cas, l’écart de taux d’intérêt est positif et l’euro doit se déprécier. Si (r– r) < 0, (S < 0). L’écart de taux d’intérêt est négatif dans ce cas et l’euro doit s’apprécier.

Dans la réalité, la comparaison de l’écart de taux d’intérêt (élément certain) et de la variation du taux de change anticipé (variable aléatoire), qui est au centre de la parité non couverte de taux d’intérêt, pose plus de problèmes que la comparaison entre deux grandeurs « certaines », qui est au cœur de la parité couverte de taux d’intérêt (Bourguinat, 1999). Les études empiriques montrent que les écarts de taux d’intérêt et les variations des taux de change ne s’accordent pas. La difficulté est double. D’un côté, les économistes n’obtiennent pas des séries de taux de change anticipés. Il n’existe pas en effet de chronique régulière et homogène des cours de change anticipés. D’un autre côté, la variation des taux de change est composée de deux parties : le taux de variation anticipée du taux de change et le taux de variation non-anticipée du taux de change.

Notes
182.

L’ouvrage traite les modes de détermination du taux de change, les mécanismes de transmission nationale et internationale des chocs conjoncturels et des mesures de stabilisation, les mesures de stabilisation économique et les processus de prise de décision publique. La particularité de cet ouvrage tient dans son traitement formalisé et explicite des problèmes économiques dans le cadre de modèles à agents représentatifs adoptant des comportements « inter-temporels ».

183.

Avec : ln(1 + r) ≈ r ; ln(1 + r) ≈ r ; ln(1 + δ/E) ≈ δ/E = (ET – E)/E.

184.

Chevalier et Kovacs (2000), page 91.