1.1. La problématique du pass-through du taux de change

Les économistes se sont penchés durant les dernières années sur l’étude des liens entre le taux de change et les prix des biens commerciaux pour comprendre comment les variations de change affectent les prix et comment ces derniers réagissent aux variations de change. La question qui se pose est la suivante : les prix des biens commerciaux suivent-ils totalement ou partiellement les variations de change ?

Pour Sabiston (2001), le pass-through complet se produit « quand une appréciation (ou dépréciation) en termes de pourcentage d’une devise étrangère entraîne une augmentation (ou diminution) d’un pourcentage égal du prix d’un bien importé (évalué en devise du pays de destination) » 280 . De même, le pass-through partiel ou incomplet se produit « lorsque la réaction du prix est inférieure au pourcentage donné par le taux de change » 281 .

Si l’euro augmente de 20%, et si les prix en livres libanaises des exportations françaises au Liban augmentent de moins de 20%, un pass-through partiel se produit et suggère une baisse en euros des prix des exportations françaises. Si cette baisse n’est pas associée à une baisse des prix en euros d’un bien identique destiné au marché domestique français, nous pouvons supposer que ce pass-through partiel est le résultat d’un comportement de PtM. Cependant, si les prix en euros des biens destinés au marché domestique français sont égaux aux prix des exportations françaises, nous ne pouvons pas trancher que le comportement de PtM existe. Par exemple, si l’appréciation de l’euro réduit le coût des biens importés utilisés dans la fabrication de biens commerciaux en France, les entreprises françaises seront capables de baisser d’un montant égal le prix en euros de tous leurs biens (domestiques et étrangers). Nous observerons dans ce cas un pass-through partiel, mais nous ne pouvons pas pour autant dire qu’il existe un comportement de PtM. Sabiston insiste sur le fait que « le pass-through partiel n’est pas une condition suffisante pour supposer un comportement PtM » 282 .

L’élasticité a été introduite dans l’étude du pass-through par Harberler (1949), Branson (1972) et Magee (1973, 1974). Pour Sabiston, les modèles de l’élasticité « n’étaient pas en mesure de fournir des explications réalistes, aussi bien théoriques qu’empiriques, à partir des faits observés » 283 . Ces modèles étudient les courbes de demande et d’offre de biens pour voir comment une variation du taux de change déplace la courbe requise et conduit à un nouvel équilibre. Le raisonnement par l’élasticité est critiqué parce qu’il explique le pass-through incomplet du taux de change à long terme, mais ne peut pas l’expliquer à court terme. Ce raisonnement est aussi critiqué parce qu’il est établi dans un cadre de concurrence pure et parfaite, où les prix nationaux et internationaux sont égaux. Cette hypothèse ne permet pas d’intégrer les différences entre les prix nationaux et étrangers à court et long termes. L’élasticité ne permet ainsi pas de rendre compte du comportement de PtM.

Le pass-through incomplet a des implications politiques. Il exerce en premier lieu des effets sur les niveaux de comptes courants et de déficits commerciaux. Ainsi, si le gouvernement américain veut réduire son déficit commercial par la dépréciation du dollar, et si une grande partie de ses échanges se produit sur des marchés où le pass-through est incomplet, la dépréciation du dollar doit être plus forte (par rapport au raisonnement par l’élasticité) pour pouvoir réduire le déficit commercial d’un montant donné. Le pass-through incomplet exerce en second lieu un effet sur le taux d’inflation, car l’augmentation du niveau général des prix suscitée par une dépréciation de la monnaie est freinée.

Le pass-through incomplet a également des implications microéconomiques. Pour Sabiston (2001), « d’autres instruments politiques, comme les tarifs douaniers, peuvent entraîner les prix des biens commerciaux de la même manière que le pass-through du taux de change » 284 . Feenstra (1989) vérifie la symétrie à long terme entre les tarifs douaniers et les dépréciations de change, et montre qu’un pass-through partiel des tarifs douaniers indique que les prix des exportations évalués dans la monnaie du pays du producteur diminuent. Les termes de l’échange du pays de l’acheteur s’améliorent. Feenstra utilise cet argument pour défendre la protection des importations. Le PtM est l’élément de base dans cette réflexion.

La faiblesse des modèles traditionnels et les implications politiques et microéconomiques du pass-through ont renouvelé l’intérêt dans le lien théorique entre le taux de change et les prix des biens commerciaux. Dans certaines études, les économistes étudient le comportement de PtM en calculant le rapport des  prix étrangers auxprix domestiques, alors que dans d’autres ils estiment le coefficient de répercussion des variations de change à partir des prix des importations. De même, dans certaines études, les économistes choisissent une fréquence mensuelle des données et supposent que les prix réagissent « directement » aux variations de change, alors que dans d’autres études ils utilisent une fréquence mensuelle ou annuelle et supposent que les prix s’ajustent « graduellement » aux variations de change.

Notes
280.

Sabiston (2001), page 2.

281.

Sabiston (2001), page 2.

282.

Sabiston (2001), page 3.

283.

Sabiston (2001), page 3.

284.

Sabiston (2001), page 4.