1.3. La majoration des marges bénéficiaires

Lorsque la concurrence est pure et parfaite, le pass-through est complet et la demande est parfaitement élastique. En revanche, lorsqu’une entreprise exportatrice est monopolistique, la courbe de demande de l’industrie est négative, mais le pass-through est toujours complet.

Cependant, selon Sabiston (2001), « dans les situations où la courbe de demande est moins convexe que l’élasticité constante, la majoration d’un monopoleur connaît des fluctuations accompagnées de changements du taux de change et on observe un pass-through partiel » 288 .

Pour Mann (1986), la corrélation est forte entre les marges bénéficiaires des entreprises étrangères qui exportent aux Etats-Unis et les variations de change. Cependant, cette corrélation n’est pas forte du côté des firmes exportatrices américaines. Pour Sabiston, « les marges bénéficiaires ne changent pas lorsqu’il y a un mouvement du taux de change. A un niveau agrégé, le pass-through est presque 100% » 289 . Cependant, d’après Mann, lorsque l’appréciation du dollar est soutenue, les exportateurs américains adoptent des comportements de pricing plus flexibles. L’étude de Mann tire son importance d’après Sabiston du fait que c’est peut-être la première analyse de l’industrie qui démontre que les exportateurs américains « haussent leurs marges bénéficiaires durant les temps d’appréciation du dollar » 290 . Pour lui, deux éléments peuvent expliquer ce comportement. Le premier est la différenciation des produits en question. La demande étrangère est alors inélastique. Le second élément est la part des exportations, qui est réduite dans l’industrie en question. Lorsque le dollar s’apprécie, la demande aux Etats-Unis augmente. Cette augmentation de la demande relève les prix, et affecte alors les prix à l’exportation.

Pour Hooper et Mann (1989), la majoration des marges bénéficiaires résulte des pressions concurrentielles à l’intérieur d’un marché particulier et des pressions de demande à l’intérieur de l’ensemble des marchés. L’estimation des pressions concurrentielles correspond à la différence entre les prix des concurrents sur le marché américain et les coûts de production étrangers. Pour Hooper et Mann, les coefficients de pass-through s’élèvent à 20% à court terme, et varient entre 50% et 60% à long terme (18 mois).

Athukorala (1991) étudie la relation entre les taux de change et les prix des exportations coréennes. Il trouve, selon Sabiston, que les « exportateurs coréens absorbent, en moyenne, 72% d’un changement quelconque dans le taux de change avec un délai d’une année » 291 . Il trouve aussi que les exportateurs tiennent compte des stratégies de leurs concurrents étrangers, mais il n’y a pas de preuve que les exportateurs fixent leurs prix dans une approche stratégique lorsque le won s’apprécie ou se déprécie. Pour lui, les exportateurs coréens subissent les prix sur les marchés étrangers.

Athukorala et Menon (1994) étudient le cas japonais, dominé par l’importance des coûts, et séparent le comportement de PtM du « coefficient total de pass-through » (TPT). Ils divisent les coûts de production en coûts de main-d’œuvre et de matériel intermédiaire. Ils écrivent ensuite un modèle et comparent les estimations de PtM et TPT. Pour eux, la différence entre les deux estimations s’élève à 6% pour les produits chimiques, 18% pour les produits de métal et 7% pour le secteur d’équipements de transport. Le pass-through incomplet est alors dominé par le PtM.

Knetter (1989, 1993, 1994, 1997) adopte une autre méthode d’évaluation du pass-through. Pour lui, le prix de l’exportateur varie en fonction du coût marginal commun (qui peut varier avec le temps) et d’une majoration spécifique pour chaque pays destinataire. D’après Sabiston, Knetter trouve que « la discrimination de prix est la clé pour comprendre la relation pass-through » 292 . Knetter estime que les exportateurs américains accroissent l’effet des variations de change sur les prix des exportations exprimés en dollars. En revanche, les exportateurs allemands contrôlent cet effet sur les prix des exportations exprimés dans la monnaie du pays de l’acheteur. D’après Sabiston, il n’y a pas chez Knetter « de différence systématique entre diverses destinations ; les exportateurs japonais, par exemple, approchent le marché américain et les autres marchés à travers le monde de façon identique » 293 . Les résultats de Knetter contredisent les résultats de Mann (1986), d’Ohno (1989) et de Menon (1992), qui trouvent que les exportateurs américains stabilisent les prix en monnaie locale moins que les exportateurs japonais ou allemands.

Certains chercheurs ont essayé de donner une dimension stratégique à la majoration des marges bénéficiaires, en incorporant l’interdépendance stratégique entre concurrents. Les comportements de fixation de prix, y compris le PtM, varient en fonction de la perception que les entreprises ont des réactions des entreprises concurrentes. Ainsi, d’après Sabiston, « lorsque les modèles contiennent des comportements stratégiques, on peut générer un pass-through incomplet – même si on suppose une élasticité–prix de la demande » 294 . Nous avons évoqué le modèle de Krugman (1987) dans le Chapitre (1). Ce modèle à la Cournot est statique et comporte deux entreprises, dont l’une est américaine et l’autre européenne. La concurrence a lieu sur le marché américain. Les coûts marginaux et l’élasticité–prix de la demande du marché sont constantes. L’élasticité que rencontre chaque entreprise est alors égale à (η/s). (η) correspond à l’élasticité du marché, (s) à la part de marché de l’entreprise américaine, (s*) à la part de marché de l’entreprise européenne (1 – s), (p) au prix optimal. Le prix optimal de la firme américaine s’écrit comme suit.

p = [η/(η – s)]

Le prix optimal de la firme européenne s’écrit à son tour comme suit.

p = [η/(η – s)] (c*/e)

A l’équilibre, les parts de marché s’ajustent, et leur présence dans les majorations explique la répercussion incomplète des variations de change. Si l’euro se déprécie, le prix de vente européen diminue, mais cette diminution n’est pas proportionnelle à l’augmentation du taux de change car la part de marché de l’entreprise européenne aux Etats-Unis augmente. Cela conduit par conséquent à une augmentation de la majoration. Ainsi, selon Sabiston, « les variations des parts de marché atténuent les changements dans le taux de change » 295 . Dans leur étude du marché de l’automobile suisse, Gross et Schmidt (1996) trouvent « que le comportement PtM est indépendant des parts de marché » 296 . Pour eux, la demande d’une variété (i) varie en fonction des prix concurrentiels. Ce résultat a été aussi trouvé par Feenstra et al. (1996).

Notes
288.

Sabiston (2001), page 12.

289.

Sabiston (2001), page 13.

290.

Sabiston (2001), page 13.

291.

Sabiston (2001), page 15.

292.

Sabiston (2001), page 17.

293.

Sabiston (2001), page 18.

294.

Sabiston (2001), page 19.

295.

Sabiston (2001), page 19.

296.

Sabiston (2001), page 21.