Les effets des chocs monétaires sur le taux de change en PCP

Lorsque les prix sont flexibles, ils dépendent uniquement des anticipations d’offre et de demande de produits. Le taux de change et le niveau des prix augmentent proportionnellement à l’offre monétaire, et le taux d’intérêt réel domestique reste constant. D’après le raisonnement en prix flexibles, il y a une dichotomie totale entre les deux secteurs, réel et monétaire.

Stockman et Obstfeld (1985) élaborent un modèle d’une petite économie spécialisée dans la production d’un bien qui est un substitut imparfait à un autre bien importé. La richesse est détenue sous forme de monnaie domestique (non détenue par les étrangers) ou d’obligations portant des intérêts. Les titres disponibles sont dénommés en monnaie nationale ou devise étrangère et sont parfaitement substituables à l’intérieur du portefeuille. Toute différence de rendement nominal entre les deux titres est compensée par une variation du taux de change. La condition de parité de taux d’intérêt s’écrit comme suit.

rt = rt* + ėt'

(r) désigne le taux d’intérêt nominal servi sur les obligations domestiques, (r*) le taux d’intérêt nominal servi sur les obligations étrangères, (e) le logarithme naturel du taux de change défini comme le prix de la monnaie étrangère en monnaie nationale (une augmentation de « e » signifie une dépréciation de la monnaie). Les agents ont une perspicacité parfaite de toutes les distorsions (hormis initiales) et des chocs non-anticipés qui déplacent l’économie de son équilibre initial anticipé. Pour Stockman et Obstfeld, « le postulat d’anticipations parfaites est une hypothèse pragmatique, permettant de transposer le modèle en un système stochastique sans grand changement de ses implications les plus importantes » 300 . L’hypothèse d’anticipations parfaites permet aussi d’identifier la variation anticipée du taux de change. L’introduction des anticipations dans le modèle de prix flexibles modifie la réaction du taux de change. Alors que celui-ci dépend uniquement des conditions économiques instantanées dans le modèle monétaire, « il dépend également des conditions économiques futures » 301 dans le modèle avec anticipations rationnelles de Bourguinat (1999). En cas de prix flexibles et d’anticipations rationnelles, les agents économiques ont la même perception des chocs que celle des autorités monétaires (Walliser, 1985). Pour les deux parties, la variation du taux de change est due à la modification de la masse monétaire relative, aux variations relatives des revenus nationaux et aux écarts de taux d’intérêt entre pays. Cette affirmation est contestée par Engel et West (2004), qui montrent que les modifications dans les fondamentaux (notamment les variations de l’offre de monnaie) sont de faible utilité pour la prévision des variations du taux de change en change flottant. Pour Chevalier et Hirsch (1982), la prévision de l’évolution des taux de change à l’aide de modèles statiques est une méthode adaptée à la période de taux de change fixes (et non flottants).

Personne ne peut ignorer la forte sensibilité des taux de change aux anticipations. Le marché des changes est le marché où l’on vend et achète plus que n’importe quel autre marché des représentations anticipées de l’avenir. Pour les économistes, le cours de change « actuel » est une représentation du cours « futur » conditionnant le marché des changes. En finance internationale, les fonctions d’anticipations des agents économiques sont en général liées au passé ou fondées sur la rationalité des agents.

L’incorporation des anticipations liées au passé dans les modèles de taux de change a donné lieu à trois catégories d’anticipations (extrapolatives, adaptatives et régressives). Dans les modèles d’anticipations « extrapolatives », le taux de change futur anticipé est une extrapolation des cours passés. Ainsi, d’après Bourguinat (1999), « le cours de change anticipé est égal au cours du change observé à la période précédente corrigé de l’écart entre le cours de la dernière période et celui de la période précédente (ou de ceux d’une suite de périodes antérieures) » 302 . Dans les modèles d’anticipations « adaptatives », les agents corrigent par un processus d’apprentissage leurs anticipations pour tenir compte de leurs erreurs d’estimation passées. Contrairement aux anticipations extrapolatives et régressives établies sur la base du passé, les anticipations « régressives » sont formées en fonction d’un cours d’équilibre. Mais comme dans beaucoup de modèles le cours de référence est celui d’une période du passé, les anticipations régressives sont classées parmi les modèles liés au passé. D’après le modèle d’anticipations régressives, toute surévaluation de la monnaie conduit à une dépréciation ultérieure. De même, toute sous-évaluation de la monnaie conduit à une appréciation ultérieure.

Les fonctions d’anticipations fondées sur la rationalité supposent que les agents ne prennent pas uniquement en considération les évènements passés, mais incorporent aussi toute l’information disponible et connaissent le vrai modèle de détermination du cours de change. Les modèles d’anticipations rationnelles excluent par ailleurs la prévision parfaite pour un individu, mais défendent l’idée selon laquelle, en moyenne, les prévisions sont distribuées autour de la vraie valeur. C’est ainsi que doit être interprétée l’hypothèse d’anticipations parfaites de Stockman et Obstfeld (1985).

(m) désigne l’offre nominale de monnaie (variable exogène dans un régime de change flexible), (p) le prix en monnaie nationale du produit domestique, (p*) le prix en monnaie étrangère des importations, (γ) la part du produit domestique dans la consommation nationale, (y) le revenu national. La demande agrégée (nationale et étrangère) du bien domestique, notée (d), est négativement liée au prix actuel relatif du bien domestique en terme de biens étrangers (p – e – p*). La demande agrégée s’écrit comme suit.

dt = Ф (et + pt* – pt) – σ [rt – γpt – (1 – γ) (ėt + p t*] + gt

(g) est le facteur de modification de la demande, [r – γp– (1 – γ) (ė + p*)] le prix inter-temporel relatif « instantané » moyen, c’est à dire le taux d’intérêt domestique réel. Lorsque les prix sont flexibles, la demande agrégée est égale au taux naturel d’emploi (ou au taux de plein emploi) du revenu (y).

d1 = y t

D’après cette équation, n’importe quel prix (p) assure la compensation sur le marché des produits, en fonction de (e) et (r). Un taux de change (e) élevé exige un taux anticipé (ė) élevé pour assurer la compensation sur le marché de la monnaie. De même, un prix (p) plus élevé exige un prix anticipé (p) élevé pour assurer la compensation sur le marché des produits. Toute solution de (e) et (p) où (k1) et (k2) diffèrent de zéro conduit à une forte réaction des prix 303 . Cette réaction, non liée aux fondamentaux du marché, est qualifiée par Stockman et Obstfeld de « bulle spéculative ». Elle implique que les prix augmentent seulement parce que l’on prévoit qu’ils augmenteront ! Pour Orléan (1989), les bulles spéculatives peuvent être expliquées à partir d’un processus de contagion mimétique des anticipations. On parle d’anticipations auto-réalisatrices lorsque les prévisions faites par les agents conduisent ces derniers à des comportements qui valident à posteriori leurs prédictions (Staszak, 2000). L’anticipation de la hausse du cours d’une action peut par exemple pousser certains agents à acheter cette action. Cette décision fait monter le cours et valide leur prévision initiale. Bourguinat (1999) cite le travail de Merton (1948), qui définit les « prophéties » auto-réalisatrices comme des « anticipations susceptibles de transformer une position initialement erronée en une situation vraie dès l’instant qu’elle est considérée comme telle par des individus » 304 . Pour certains économistes, notamment Obstfeld (1986), les crises monétaires ne résultent pas nécessairement d’une politique économique non appropriée, mais aussi d’anticipations auto-réalisatrices. Allégret (2001) précise que les attaques « sont une réponse rationnelle au fait que l’équilibre pouvant résulter de l’attaque est indéterminé » 305 . Cette hypothèse est aussi défendue par Blanchard et Watson (1984).

Pour résoudre l’indétermination, Stockman et Obstfeld (1985) supposent que (k1 = k2 = 0). D’après cette hypothèse, les prix dépendent uniquement des conditions anticipées d’offre et de demande. Pour Stockman et Obstfeld, « les perturbations purement monétaires conduisent à des variations proportionnelles des taux de change et du niveau des prix à l’international, comme l’envisage la théorie de la parité de pouvoir d’achat » 306 . Comme le taux d’intérêt réel domestique peut s’écrire (r* – γ – q– p*), il n’est pas affecté par les perturbations monétaires 307 . Par conséquent, le modèle à prix flexibles développé dans ce cadre implique une dichotomie totale entre les deux secteurs, réel et monétaire.

Dans l’Annexe (8), nous étudions deux points particuliers liés aux effets des chocs monétaires sur le taux de change en cas de prix flexibles et de PCP. Le premier porte sur la réaction de l’économie à une augmentation permanente anticipée de l’offre de monnaie. Le deuxième porte sur l’effet d’un changement prévu du régime de change sur la conduite du taux de change.

Notes
300.

Stockman et Obstfeld (1985), page 6.

301.

Bourguinat (1999), page 489.

302.

Bourguinat (1999), page 481.

303.

(k1) et (k2) sont deux constantes arbitraires qui reflètent l’indétermination dans les modèles d’anticipations rationnelles.

304.

Bourguinat (1999), page 486.

305.

Allégret (2001), page 11.

306.

Stockman et Obstfeld (1985), page 9.

307.

(q) correspond aux termes de l’échange.