Les effets de surprise

Les surprises, notamment les chocs monétaires non-anticipés, jouent également un rôle important dans l’accroissement de la volatilité du taux de change. Comme le taux de change dépend des anticipations d’évènements futurs, les évènements imprévus qui surviennent modifient le cours de change courant. D’après ce raisonnement, le taux de change actuel (et) dépend, non seulement du taux de change anticipé, mais aussi de l’écart entre l’anticipation et le cours constaté en (t). L’écart en question correspond aux effets de surprise.

Les études empiriques cherchant à valider ce raisonnement partent du principe selon lequel le marché des changes est efficient. Celui-ci absorbe toute l’information et intègre tous les signaux dans la prévision des cours futurs. Les prévisions initiales sont ensuite modifiées à la lumière des écarts entre les prévisions et les résultats obtenus. C’est le cas par exemple toutes les semaines lorsque les autorités monétaires américaines publient les statistiques sur les agrégats monétaires.

Les bulles rationnelles se produisent lorsque le prix d’une devise s’écarte de son niveau d’équilibre et que les opérateurs continuent à en acheteur en croyant que le prix augmentera encore malgré le fait que la monnaie soit surévaluée 335 . Blanchard et Watson (1984) défendent la thèse selon laquelle les bulles ne résultent pas nécessairement de l’irrationalité des opérateurs. Une bulle rationnelle peut être parfaitement compatible avec un comportement rationnel de la part des opérateurs. Même si le taux de change s’écarte de son niveau d’équilibre, les agents ont intérêt à acheter une devise tant que le gain espéré est supérieur au risque de perte correspondant à la surévaluation. L’intérêt de la théorie des bulles rationnelles est avant tout d’ordre pratique, puisqu’elle renseigne les opérateurs sur la « rationalité » de continuer à spéculer à la hausse alors qu’ils savent, en intégrant dans leur calcul une « prime de bulle » (qui a pour rôle de couvrir le risque pris comme nous allons voir plus loin), que la monnaie est surévaluée. D’après le raisonnement de Blanchard et Watson (1984), plus une monnaie est surévaluée, plus la probabilité d’un éclatement de la bulle est forte, et plus la « prime de bulle » nécessaire à la couverture du risque supplémentaire est élevée.

Pour exprimer mathématiquement cette relation, nous partons de l’équation du modèle monétaire à prix flexibles souvent utilisée dans les manuels de finance internationale, où (e) est le logarithme du taux de change, (m) le logarithme de l’offre de monnaie, (y) le logarithme du revenu réel, (i) le taux d’intérêt national, (η) un paramètre de l’élasticité de la demande de monnaie par rapport au revenu, (ε) un paramètre de l’élasticité de la demande de monnaie par rapport au taux d’intérêt, et (k) un paramètre des facteurs influençant la demande d’encaisses réelles.

et = (m – m*) – (k – k*) – (ηy – ηy*) + (εi – ε*i*) (1)

L’équation (1) ne traduit pas exactement les variations du taux de change, car elle ne prend pas en considération les variations aléatoires affectant les mouvements de change 336 . Si nous supposons que le rôle des facteurs influençant la demande d’encaisses réelles est négligeable et que les paramètres (η) et (ε) sont identiques dans les deux pays, l’équation précédente s’écrit comme suit.

et = (mt – mt*) – (ηyt – ηyt*) + (εit – εit*) (2)

L’équation (2), qui suppose que l’écart de taux d’intérêt entre les deux pays est exogène, ne suffit pas pour justifier la forte volatilité du taux de change constatée dans la réalité. En effet, les écarts de taux d’intérêt représentent les anticipations des agents économiques, et ce problème ne peut être résolu qu’en introduisant les anticipations « rationnelles » dans l’analyse. Dans ce cas, le taux d’intérêt national, et par conséquent l’écart de taux d’intérêt, deviennent une variable endogène.

L’incorporation des anticipations rationnelles permet de rendre compte des déficiences du marché. Si la substituabilité entre les actifs financiers est parfaite, le rendement des titres de Nation est égal au rendement des titres d’Etranger, compte tenu bien-sûr des ajustements anticipés du taux de change. L’écart des taux d’intérêt nominaux entre les deux pays est égal à l’espérance anticipée de la variation du taux de change.

it – it* = E(et+j – et) (3)

[E(et+j – et)] désigne l’anticipation en (t) du taux de change (e) à la période (t + j). Notons (zt) la représentation des fondamentaux de l’économie (autres que le taux d’intérêt) déterminant le taux de change en (t).

zt = (mt – mt*) – (ηyt – ηyt*) (4)

En incorporant l’équation (3) dans l’équation (2), nous obtenons l’équation du taux de change actuel (et) où (θ) est égal au rapport [ε/(1 + ε)].

et = (1 – θ) zt + θEt et+1 (0 ≤ θ ≤ 1) (5)

En modifiant le taux d’intérêt national, et ainsi l’écart de taux d’intérêt entre les deux pays, le taux de change anticipé affecte la demande de monnaie. Le taux de change actuel dépend en conséquence, non seulement de l’état actuel de l’économie, mais aussi des anticipations des agents économiques sur l’état des périodes ultérieures.

Nous avons déjà précisé que, selon la logique des bulles spéculatives, plus la monnaie est surévaluée, plus la probabilité de l’explosion de la bulle est forte, donc plus la prime nécessaire pour couvrir le risque est élevée. Pour Taylor (1989), le nombre de couples (Et,Etet+1) correspondant à la condition d’équilibre pour des valeurs fixées de (zt) est infini. Il découle de l’équation (5) que, pour un niveau donné des fondamentaux de l’économie, tant que la valeur du taux de change actuel est couverte par une valeur équivalente du taux de change anticipé, n’importe quelle valeur de (et) correspond à l’équilibre. Par contre, toute valeur de (et) non liée aux fondamentaux de l’économie correspond à une bulle spéculative, car le taux de change s’éclatera seulement parce que les agents économiques s’attendent à son éclatement !

Graphique (40) : La bulle rationnelle
Notes
335.

Les exemples sont nombreux dans l’histoire de l’homme : la folie des tulipes aux Pays-Bas au 17ème siècle, le marché des enchères prestigieuses de chevaux aux Etats-Unis dans les années 1970, la crise de 1987, la crise des nouvelles technologies en 2000, etc.

336.

Plusieurs effets découlent de cette formalisation. En premier lieu, l’accroissement de la quantité de monnaie dans Nation provoque une hausse proportionnelle du taux de change. En deuxième lieu, la hausse du revenu réel domestique accroît la demande de monnaie nationale et réduit le niveau des prix, ce qui affecte en conséquence le taux de change, qui diminue. En troisième lieu, l’accroissement de l’écart de taux d’intérêt entre Nation et Etranger (hausse relative du taux d’intérêt national) provoque une baisse de la demande réelle de monnaie, et donne lieu par conséquent à une hausse du taux de change.