La persistance de la déviation du taux de change réel à la PPA

Dans la littérature, deux explications de la persistance de la déviation du taux de change réel à la PPA sont fournies. L’explication la plus courante est la rigidité des prix. D’après cette hypothèse, les chocs monétaires affectent immédiatement le taux de change nominal, qui affecte à son tour le taux de change réel si le niveau des prix reste constant (Svensson et Wijnbergen, 1989), (Obstfeld et Rogoff, 1995). La deuxième explication est le PtM. Ce phénomène est compatible avec les résultats d’Engel (1993), de Knetter (1993) et d’autres chercheurs, qui ont montré que les déviations à la loi du prix unique sont importantes. Les premiers modèles de PtM développés étaient des modèles d’équilibre partiel (Dornbusch, 1987), (Krugman, 1987), (Marston, 1990). Ensuite, des modèles d’équilibre général sont apparus (Betts et Devereux, 1996, 1999, 2000, 2001), (Chari, Kehoe et McGrattan, 1998).

En supposant que les prix sont rigides pour une période seulement (les mouvements de change réel tiennent alors pour une seule période), les modèles PtM de Betts et Devereux (1996, 1999, 2000) n’expliquent pas la persistance des mouvements du taux de change réel. Chari, Kehoe et McGrattan (1998) utilisent un modèle de « local currency pricing » (LCP) pour expliquer la volatilité du taux de change et la persistance de la déviation du taux de change réel à la PPA. Leur modèle ressemble au modèle de Betts et Devereux (2000), mais avec certaines caractéristiques particulières. Ils supposent que le degré de LCP s’élève à 100%, que la production nécessite du capital, et que les prix résultent de contrats échelonnés où les durées de vie des prix et des déviations du taux de change réel sont plus longues que la rigidité exogène des contrats. Ils étudient le cas des Etats-Unis et de l’Europe, et produisent des simulations de chocs à l’agrégat monétaire. Leurs résultats sur la persistance des taux de change réels sont les suivants. L’auto corrélation du taux de change réel s’élève à 0,83. Dans le cas d’un indice de référence (les prix sont établis pour un trimestre et ne sont pas échelonnés), il n’y a pas de persistance. Dans le cas d’un échelonnement de 6 groupes préétablissant leurs prix pour 6 trimestres, il n’y a pas suffisamment de persistance. Quant aux réponses impulsives du taux de change réel, la persistance finit lorsque la rigidité des prix exogènes imposés finit. Quand le contrat arrive à terme, les entreprises ajustent leurs prix, et le prix global s’ajuste complètement à son niveau d’équilibre de long terme. Chari, Kehoe et McGrattan concluent que, « dans le cas de contrats échelonnés, il n’y a pas de persistance » 337 . L’hypothèse selon laquelle l’échelonnement des contrats est une troisième explication (de plus de la rigidité des prix et du PtM) des déviations du taux de change réel à la PPA est rejetée.

Au lieu du simple modèle de LCP, Bergin et Feenstra (2000) développent un modèle de pricing-to-market. Pour eux, bien que des déviations à la loi du prix unique se produisent dans les modèles LCP, la structure de préférence ne permet pas à ces modèles de produire un vrai PtM. Cette même structure empêche les contrats échelonnés d’avoir un effet. Le modèle de Bergin et Feenstra (2000) est une extension du modèle d’Obstfeld et Rogoff (1995) intégrant le PtM et la rigidité des contrats. La combinaison du PtM et de l’échelonnement des contrats de prix provoque une persistance importante, qui va au-delà de la rigidité exogène imposée 338 . Toutefois, le degré d’ouverture progressif d’une économie limite la persistance du taux de change réel à la PPA car, d’après Bergin et Feenstra, « la présence de produits étrangers permet à l’indice domestique des prix de s’ajuster plus rapidement aux chocs monétaires » 339 . De même, une plus grande persistance des taux de change réels accroît la sur-réaction et, ainsi, la volatilité du taux de change.

D’après Obstfeld et Rogoff (2000, b), les modèles de Chari, Kehoe et McGrattan (1998) et Bergin et Feenstra (2000) ne prennent pas en considération les coûts d’échange et « n’essaient pas de formaliser le PtM, mais supposent implicitement que celui-ci existe, ce qui signifie que les coûts d’échange sont aussi implicites » 340 . Dumas (1992) développe un modèle prenant en compte « explicitement » les coûts d’échange, et montre que ces coûts provoquent une persistance de la déviation du taux de change réel, même lorsque la concurrence est pure et parfaite et/ou les prix sont flexibles. Mais Obstfeld et Rogoff (2000, b) montrent que le modèle de Dumas n’est pas conforme à la réalité empirique.

Pour Hausmann, Panizza et Rigobon (2004), la différence entre la forte volatilité des taux de change des pays émergents et celle, plus modérée, des pays industrialisés, s’explique en partie par l’ampleur des chocs nominaux et réels. Pour ces chercheurs, la principale cause de cet écart est le « revirement » permanent de la volatilité des taux de change dans les pays industrialisés.

En somme, la rigidité des prix et le PtM accroissent la volatilité du taux de change. La persistance de la déviation du taux de change réel à la PPA ne peut être expliquée par la rigidité des contrats ou l’ampleur des chocs, mais la combinaison du PtM et de l’échelonnement des contrats de prix donne lieu à une persistance importante, qui va au-delà de la rigidité exogène imposée.

Notes
337.

Chari, Kehoe et McGrattan (1998), page 7.

338.

La théorie des contrats échelonnés stipule que lorsqu’un contrat arrive à terme, les entreprises hésitent avant d’augmenter leurs prix car elles risquent de perdre une partie de leurs parts de marché, alors que d’autres concurrents maintiennent leurs prix dans des contrats toujours en cours.

339.

Bergin et Feenstra (2000), page 3.

340.

Obstfeld et Rogoff (2000, b), page 39.