1. La méthode d’identification

Dans le Chapitre (3), nous étudions la transmission internationale des chocs monétaires américains à l’économie libanaise. Une question se pose dans ce cadre. Quels sont les changements « exogènes » et « non-anticipés » dans l’offre de monnaie américaine pouvant être réellement interprétés comme des chocs monétaires ? Deux réponses peuvent être fournies à cette question. Une première réponse est de simuler des chocs et d’étudier leurs effets sur l’économie en question. Cette méthode est utilisée par un grand nombre de chercheurs pour l’étude de la transmission internationale des chocs monétaires. Nous avons retrouvé différentes versions de cette méthode tout au long de la thèse et dans la Section (I) de ce Chapitre. Une deuxième réponse est de mesurer les changements dans la quantité de monnaie et d’étudier leurs effets sur le reste du monde. Dans ce cas, la méthode utilisée n’est pas économétrique, et les changements imprévus dans la quantité de monnaie sont repérés par d’autres moyens.

Les travaux de Romer et Romer (1989, 1994, 1997), complétés par une série d’autres articles (2000, 2002, 2003, 2004), peuvent servir de cadre pour compléter ce travail. Malgré les critiques vis-à-vis de leur approche, les économistes sont unanimes sur l’importance de leurs résultats et sur le bien-fondé de leur méthodologie. Souvent, les critiques portent sur des aspects techniques ou économétriques, mais la méthodologie selon laquelle les chocs sont identifiés à partir des délibérations de la Réserve fédérale n’est pas sérieusement remise en cause.

Romer et Romer identifient les chocs monétaires comme étant des chocs exogènes de la politique monétaire. Ces chocs sont définis ainsi en se basant sur les comptes-rendus des réunions de la Fed, comptes-rendus dans lesquels les autorités monétaires évoquent un choc monétaire. Les chocs identifiés par Romer et Romer correspondent à des périodes « où la Réserve fédérale a décidé clairement d’utiliser les instruments à sa disposition pour essayer de créer une récession dans le but de contrôler l’inflation » 348 . Le recours à d’autres méthodes que celle de Romer et Romer pour identifier les chocs monétaires est aussi possible. Rudebusch (1995) affirme que, pendant certaines périodes, les changements exogènes dans la politique monétaire américaine peuvent être mesurés par les modifications du taux des fonds fédéraux. D’autres chercheurs, comme Cooley et Hansen (1989, 1997), King (1991) et Christiano et Eichenbaum (1995), affirment que toutes les variations de la quantité de monnaie en circulation reflètent des changements exogènes dans la politique monétaire américaine.

Quels sont les chocs identifiés par Romer et Romer ? Dans leurs travaux (1989, 1994, 1997, 2000, 2002, 2003, 2004), qui ne vont pas au-delà de 1996 dans leur article de 2004, Romer et Romer ont identifié sept contractions monétaires. Cependant, d’après Christiano, Eichenbaum et Evans (1998), il faut compléter la liste des chocs monétaires de Romer et Romer (qui exclut les contractions monétaires ne résultant pas d’une politique anti-inflationniste) en ajoutant deux autres chocs identifiés à l’aide de la même méthodologie. Il s’agit de la contraction du crédit bancaire de 1966 identifiée par Kashyap, Anil, Stein et Wilcox (1993) et de la contraction monétaire de 1988 identifiée par Oliner et Rudebusch (1996) 349 . Aussi, nous ajoutons à ces chocs le retournement soudain et non-anticipé en janvier 2001 du taux de la Réserve fédérale de 1% après une série de hausses successives (Stoleru, 2001).

Tableau (12) : Liste des chocs monétaires US
Episodes de Romer et Romer Source
Octobre 1947 Romer et Romer
Septembre 1955 Romer et Romer
Mai 1966 Kashyap, Anil, Stein et Wilcox (1993)
Décembre 1969 Romer et Romer
Avril 1974 Romer et Romer
Août 1978 Romer et Romer
Octobre 1979 Romer et Romer
Août 1988 Oliner et Rudebusch (1996)
Décembre 1988 Romer et Romer
Janvier 2001 Travail personnel 350

Parmi cette liste, nous allons retenir deux chocs monétaires (afin d’étudier leurs effets sur l’économie libanaise) : le choc de mai 1966 et le choc de janvier 2001.

  • La première caractéristique de ces deux chocs est qu’ils permettent d’étudier les effets des deux composantes des chocs monétaires (définis dans le Chapitre 1), c’est-à-dire l’offre de monnaie et la politique monétaire 351 (le choc de 1966 est un choc d’offre de monnaie, le choc de 2001 est un choc de politique monétaire faisant partie des chocs monétaires tels que nous les avons définis).
  • La deuxième caractéristique de ces deux chocs est qu’ils portent sur des périodes assez éloignées dans le temps (environ 35 ans séparent le premier du second).
  • La troisième caractéristique de ces deux chocs qu’ils sont de nature différente 352 .
  • La quatrième caractéristique de ces deux chocs est qu’ils permettent d’étudier les deux grands cas de figure traités dans cette thèse (le PCP et le PtM).
  • La cinquième caractéristique de ces deux chocs est qu’ils ont eu lieu dans des régimes de change différents (change flottant pour le premier, fixe pour le second).
  • La sixième caractéristique de ces deux chocs est qu’ils varient dans des directions différentes (le premier est récessif, le second est expansionniste).

Autrement dit, le choc de 1966 nous permettra d’étudier les effets d’un choc monétaire américain « récessif » sur le Liban en régime de change « flottant » et de vente dans la monnaie du pays du producteur (PCP). L’intégration du choc de 2001 dans la liste des chocs monétaires nous permettra à son tour d’actualiser la liste des chocs monétaires américains et d’étudier les effets d’un choc monétaire US sur l’économie libanaise après 1996. Ce choc est important, car il permet, d’une part d’étudier les effets d’un choc monétaire américain « expansionniste » sur le Liban en régime de change « fixe » et de PtM, d’autre part d’isoler les effets de la reconstruction et de la dette publique. En effet, en janvier 2001, la reconstruction était belle et bien finie et la croissance avait atteint son niveau d’équilibre. De même, l’endettement public ne dépassait pas les 23 milliards de dollars et ne pesait pas lourdement encore sur les décisions des autorités monétaires et des investisseurs. Nous reviendrons sur les chocs de 1966 et 2001 plus loin et examinerons de près leurs principales caractéristiques.

Tableau (13) : Les caractéristiques des deux chocs monétaires US
Choc Caractéristiques


Mai 1966
Choc de crédit bancaire (plus précisément de quantité de monnaie en circulation)
Récessif
Régime de change flottant au Liban
Vente dans la monnaie du pays du vendeur (PCP)


Janvier 2001
Choc de taux d’intérêt (plus précisément de politique monétaire appartenant aux chocs monétaires)
Expansionniste
Régime de change fixe au Liban
Vente dans la monnaie du pays de l’acheteur (PtM)

Plusieurs hausses ou baisses non-anticipées du stock de monnaie peuvent donner lieu à un seul choc monétaire. Romer et Romer (2004) précisent que « par exemple, en réaction à une hausse du niveau d’inflation, le FOMC peut ne pas seulement augmenter le taux des fonds fédéraux immédiatement, mais continuer à le relever durant ses réunions ultérieures » 353 .

Notons que les chocs de Romer et Romer, identifiés à partir des taux d’intérêt directeurs, couvrent en grande partie les décisions de modification de la quantité de monnaie en circulation. Romer et Romer (2004) précisent que « les procédures opérationnelles de la Réserve fédérale sont une source importante de nos chocs identifiés. Dans plusieurs parties de notre échantillon, la Réserve fédérale a accordé une importance considérable à des mesures quantitatives lors de la mise en place de sa politique. Très souvent, les préoccupations de la Fed concernant la mesure de la quantité de monnaie l’ont poussée à fixer les taux d’intérêt différemment de ce qu’elle aurait fait si elle avait uniquement pris en considération les anticipations de revenu et d’inflation. Cela est sûrement la cause principale de la volatilité de nos séries de chocs pendant la période d’objectifs de réserves non-empruntées entre 1979 et 1982 et, dans une moindre mesure, pendant la période d’objectifs partiels de la quantité de monnaie au début des années 1970 » 354 .

Notes
348.

Romer et Romer (1989), page 14.

349.

Romer et Romer (1989) justifient l’exclusion du choc de crédit bancaire de 1966 de leur liste de chocs monétaires par le fait que « l’intention proclamée de la Réserve fédérale n’était clairement pas de réduire la demande agrégée, mais plutôt de prévenir les variations extérieures dans la demande agrégée qu’elle a cru qu’elles se produiront » (page 17).

350.

« Choc » repéré également par Stoleru (2001), Suarez (2001), etc. mais non analysé en tant que tel.

351.

Les chocs d’offre de monnaie résultent : soit du crédit, soit de la quantité de monnaie hors politique monétaire, soit du taux d’intérêt à moyen et long termes. Les chocs de politique monétaire résultent : soit du taux d’intérêt directeur, soit de l’offre de monnaie en circulation.

352.

Puisque le premier est un choc d’offre de monnaie, et le second est un choc de politique monétaire.

353.

Romer et Romer (2004), page 14.

354.

Romer et Romer (2004), page 15.