1.1. Une petite économie ouverte

Bien avant l’élargissement du Liban par le Général Gouraud en 1920, le pays était une économie ouverte. Il y a 3 000 ans, les Phéniciens prenaient la mer pour aller en Perse et en Inde s’approvisionner en marchandises, qu’ils revendaient en Europe. Ils faisaient ensuite le chemin inverse, en ramenant des produits fabriqués dans le vieux continent, pour les revendre en Phénicie et dans d’autres régions du monde.

Le libre échange de marchandises et le libre mouvement des capitaux trouvent leurs origines dans le régime politique libanais du 19ème siècle, suite aux traités de 1800 entre la Porte et les grandes puissances européennes, notamment la France. Ces traités, renforcés par l’installation des industries lyonnaises de la soie dans la montagne libanaise et le recouvrement de l’indépendance politique du pays, ont ouvert la voie à l’économie libérale dans son expression moderne.

L’ouverture de l’économie libanaise s’est concrétisée dans les écrits de Michel Chiha (1891–1954). La pensée de cet économiste et grand homme d’Etat libanais a eu un impact très fort sur le fonctionnement du système politique libanais et sur les choix du Liban en matière de politiques macroéconomiques et financières. Michel Chiha défendait l’économie libérale. Pour lui, « les pays qui n’ont pas de richesses naturelles à tirer de leur sol, il faut leur donner la liberté économique pour richesse. Autrement, comment vivraient-ils ? » 382 . Il précise que cela « est le cas du Liban, de la façon la plus saisissante ; et c’est ce qui fait qu’ici, il faut défendre la liberté comme d’autres défendent leurs mines d’or, leurs gisements de pétrole, leurs plantations d’hévéas ou leurs champs de coton » 383 . Pour lui, « le premier capital des Libanais, en matière d’économie et de finance, ce n’est pas l’argent, c’est l’intelligence ; c’est l’intelligence et c’est la rapidité de mouvement. On ne traque pas la folie, on n’impose pas sans une modération extrême un capital comme celui-là. Il n’est pas un financier libanais pour ignorer que, sur dix Libanais, neuf vivent au-dessus de leurs moyens matériels en comptant sur leurs moyens intellectuels » 384 .

Chevallier (1971) qualifie les Libanais de « la couche des courtiers » 385 . Selon elle, les transformations politiques et économiques des 18ème et 19ème siècles ont forgé un discours ultra-libéral qui fait de la liberté la norme suprême et valorise l’initiative individuelle et le secteur privé. Chiha (1965) qualifie le Liban à son tour de « République marchande ayant une vocation particulière pour la liberté » 386 . Le « laisser faire, laisser aller » 387 de cet économiste est la devise de tous les gouvernements libanais depuis 1800. Après l’indépendance en 1943, cette formule est devenue la raison d’être du pays !

L’économie libanaise est ouverte quel que soit le critère de mesure de son ouverture. Pour Gaspard (2003), « l’économie libanaise est une économie ouverte et libre et seulement quelques prix sont directement régulés » 388 . La majorité des prix sont fixés en fonction des conditions du marché.

L’ouverture de l’économie libanaise est soutenue souvent par des mesures de libéralisation. C’est le cas, par exemple, de la politique d’espace aérien ouvert (« Open-Skies policy ») adoptée par le gouvernement libanais en 2002 ou de la loi sur la libre importation d’essence et de médicaments votée en 2004. C’est aussi le cas du régime de secret bancaire total institué au Liban depuis 1956.

Mais l’ouverture de l’économie libanaise n’a pas que des bienfaits. Le Liban est vulnérable à un certain nombre de chocs réels et extérieurs, comme les effets régionaux des variations du prix du pétrole, les développements politiques dans la région, etc.

De même, la structure monopolistique de l’économie libanaise entrave la libre concurrence comme nous verrons plus loin dans cette Section. La concurrence est imparfaite dans beaucoup de secteurs. Associée à la forte dollarisation et au régime de change fixe, la concurrence monopolistique donne lieu au PtM.

Notes
382.

Chiha (1946), page 122.

383.

Chiha (1965), page 12.

384.

Chiha (1946), page 133.

385.

Chevallier (1971), page 238.

386.

Chiha (1965), page 197.

387.

Chiha (1965), page 107.

388.

Gaspard (2003), page 52.