Au moins la moitié des marchés du Liban peuvent être considérés comme ayant des structures monopolistiques ou oligopolistiques. L’étude des données sur la taxe sur la valeur ajoutée montre que 58% des marchés font partie de cette catégorie. Les marchés en question représentent selon Gaspard « un total de chiffre d’affaires de 8 milliards de dollars, soit à peu près 40% du chiffre d’affaires total estimé dans tous les marchés » 396 .
De même, l’étude montre que 30% des entreprises libanaises sont parfaitement monopolistiques ou oligopolistiques. Par exemple, 71% du marché du gaz liquide en bouteille est contrôlé par une seule firme, et 88% du marché de l’eau minérale est contrôlé par trois compagnies. Les trois plus grandes banques du pays (avant la fusion entre les banques Audi et Saradar) détiennent le tiers des dépôts de la clientèle, et les cinq plus grandes banques disposent de la moitié de ces dépôts.
Deux exemples surprenants sont celui du traitement des métaux où trois firmes contrôlent entièrement le marché, et celui des pesticides et autres produits agrochimiques où une seule firme contrôle 60% du marché.
A leur tour, à peu près 5% des agriculteurs exploitent près de la moitié de la superficie totale cultivable du pays, alors que la moitié des agriculteurs n’exploite que 8%. Le tableau (30) présente la répartition de l’agriculture en domaines d’exploitation pour la période allant du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998. Le nombre total d’agriculteurs exploitant des domaines agricoles s’élevait à 195 000, et la dimension exploitée à 2,5 millions de dunums 397 . Dans ce tableau, chaque agriculteur est associé à un seul domaine. Ainsi, le nombre total d’agriculteurs est égal au nombre total de domaines 398 .
Nombre d’agriculteurs | Domaines d’exploitation |
Niveau supérieur : 1% 5% 10% 20% |
25% 47% 58% 73% |
Niveau inférieur : 10% 50% 75% |
0,4% 8% 22% |
Source : Gaspard (2003), page 25
Il ressort aussi d’après l’étude que les marchés libanais pratiquent une politique restrictive au niveau de la fixation des prix de vente. Les prix pratiqués dans la plupart des marchés sont supérieurs de 10% du niveau d’un marché compétitif. Ce résultat s’appuie sur une comparaison du prix local des produits importés avec leur prix dans leur pays d’origine. L’augmentation significative de la demande de produits de luxe, aux dépends de la demande de produits de masse, montre l’importance de l’effet de la concurrence monopolistique sur le partage des revenus. En effet, la moitié de la population dispose de 21% du revenu national, alors que 10% de la population bénéficie de 39%.
Le tableau (31) soulève les marchés à forte concentration. Cette forte concentration implique, d’après Gaspard, « un comportement monopolistique et oligopolistique, avec la vraisemblance d’une collusion entre les entreprises et la mise en place de pratiques restrictives, qui conduisent à une hausse des prix et une baisse de l’investissement par rapport aux niveaux pouvant être atteints en cas d’une plus libre concurrence » 399 .
Activité économique | Nombre d’établissements | Chiffre d’affaires du marché (millions de $) |
Industrie : Boissons non alcoolisées Eau minérale Papiers hygiéniques et cartons Pesticides et autres produits agroalimentaires Savon Détergents et produits de ménage Ciment et chaux Matériaux Ingénierie mécanique générale Eléments pour appareils électriques Réparation d’ascenseurs électriques |
10 5 16 5 19 2 16 88 3 5 13 |
172 27 109 95 89 61 75 225 249 61 21 |
Commerce : Fuel liquide Poussins et autres animaux Fuel solide et gazeux et autres produits Huiles minéraux Gaz liquide en bouteilles |
218 4 14 23 5 |
169 43 107 89 33 |
Services : Location de produits électroniques (ordinateurs) et produits sanitaires Activités similaires |
19 9 |
38 115 |
Source : Gaspard (2003), page 35
La discrimination de prix pratiquée par les commerçants, industriels, professionnels, etc. est l’un des résultats marquants de l’étude. Des secteurs entiers, comme les avocats, les consultants, les mécaniciens, les électriciens, les plombiers, etc. font de la discrimination. Selon Gaspard, « les consommateurs libanais finissent par payer différents prix pour le même produit » 400 . La discrimination de prix est liée plus au revenu de l’acheteur qu’à des critères objectifs de commercialisation et de vente ! Gaspard précise que « les prix de vente et tarifs sont souvent fondés sur le revenu ou niveau de richesse du client tels que perçus par le vendeur » 401 . Ainsi, les résidents des quartiers chics payent par exemple deux fois plus que les résidents d’autres quartiers pour l’installation de nouveaux tuyaux électriques dans leur immeuble ou la réparation de leur voiture.
Gaspard (2003), page 63.
Le dunum, instrument de mesure agricole au Liban, est l’équivalent de 1 000 mètres carrés.
Notons que le tableau (30) ne prend pas en considération le fait que l’économie libanaise est ouverte aux importations agricoles de toute direction et que les produits agricoles sont rapidement périssables. Ces deux facteurs atténuent le caractère monopolistique de l’agriculture, d’autant que les chiffres présentés ne font pas la distinction entre les différents secteurs et produits agricoles.
Gaspard (2003), page 36.
Gaspard (2003), page 57.
Gaspard (2003), page 57.