Les obstacles à la concurrence

Les obstacles à la libre concurrence au Liban sont nombreux. Entre autre, le coût élevé du crédit bancaire qui touche les petites et moyennes entreprises (PME). Selon l’étude, « au Liban, les établissements avec moins de 10 travailleurs représentent approximativement 90% de tous les établissements » 402 . Le peu de crédit octroyé par les banques (la moitié des placements des banques libanaises vont aux bons du Trésor et aux euro-obligations du gouvernement) va à 10% seulement des entreprises, qui bénéficient à leur tour de la plus grande partie des recettes du marché. Bien que le Liban n’ait jamais souffert d’un manque de capitaux, en témoignent la position de la balance des paiements souvent excédentaire et le libre mouvement des capitaux, « l’accès au capital n’a pas été relativement facile ou bon marché, comme le montrent le niveau des taux d’intérêt sur les emprunts et la commodité ou difficulté d’accès au crédit » 403 . Le taux d’intérêt moyen sur les crédits au secteur privé dénommés en livres libanaises s’est élevé, pour la période allant de janvier 2000 jusqu’en décembre 2002, à 17,3%. A son tour, le taux d’intérêt moyen sur les crédits en dollars s’est élevé à 10,6% pour la même période. Le taux d’intérêt moyen pondéré sur tous les crédits, en livres libanaises et en dollars, s’est élevé à 11,6%, soit un taux d’intérêt réel de 11%. Gaspard affirme que « ce taux d’emprunt est très élevé dans une économie où le taux de croissance annuel moyen durant les trois dernières années a été seulement de 1,2% » 404 .

Le manque d’investissement touche aussi les PME à cause du capital nécessaire pour mettre en place une nouvelle activité ou créer une nouvelle société. Le tableau (32) étudie les montants engagés par les entreprises fraîchement installées entre 1998 et 2000 pour financer leurs investissements dans différents secteurs industriels.

Tableau (32) : Les besoins en capital et main-d’œuvre des sociétés nouvellement créées

Activité économique
Capital par établissement (milliers de $) Travailleurs par établissement Capital par travailleur
(milliers de $)
Fabrication de :
Produits alimentaires et boissons
Textile
Cuir et chaussures
Mobilier et matériel en bois
Papier
Produits chimiques
Produits non métalliques
Produits métalliques
Machines et équipements
Bijouterie
Autres produits

336
140
69
68
245
187
358
105
146
152
486

10
14
6
7
8
6
8
6
9
8
11

33
10
11
9
32
31
43
17
15
19
46
Moyenne 203 8 25

Source : Gaspard (2003), page 45

Les petits établissements sont également freinés par les barrières administratives et légales. Selon l’étude, les lois commerciales sont restées inchangées depuis le mandat français. Ces lois sont obsolètes dans le contexte économique actuel et ne permettent pas de répondre aux défis des problèmes modernes, comme la banqueroute, la responsabilité limitée, les instruments de dette, etc. C’est le cas, par exemple, de la loi sur les « agences exclusives », qui délimite la concurrence entre les importateurs et maintient les prix à un niveau plus élevé de ceux pratiqués au niveau d’un marché parfaitement compétitif 405 .

Deux autres facteurs sont de grande importance aussi : le système de « wasta » (pistonnage) et le manque d’effectifs dans les tribunaux. Ces deux éléments accroissent la discrimination de prix et compliquent l’accès des investisseurs au marché. Selon Gaspard, « plusieurs entreprises impliquées dans des affaires légales attendent souvent plusieurs années avant l’obtention d’un jugement, et d’autres années passent aussi à chaque niveau si l’affaire fait l’objet d’un appel et si elle est ensuite envoyée à la Cour de Cassation » 406 .

La grande concentration des entreprises dans certains marchés est un autre obstacle à la concurrence. Dans le marché de la téléphonie mobile, par exemple, deux sociétés possèdent tous les attributs d’une structure oligopolistique. L’étude de l’état de la concurrence décèle la complicité au niveau des tarifs proposés. La valeur de ces tarifs est exorbitante (13 centimes de dollars la minute plus un abonnement mensuel de 25 dollars, 35 centimes de dollars la minute pour les cartes prépayées ; comparé à 3 à 8 centimes la minute dans les autres pays de la région) 407 . De même, dans le secteur de l’électricité, la privatisation en vue de séparer le secteur en différentes activités (émission, distribution, collecte) n’a pas eu lieu. Une seule compagnie (EDL), très mal gérée et souffrant d’une série de problèmes administratifs, légaux et financiers, contrôle l’intégralité du secteur au pays des cèdres.

Un autre obstacle à la libre concurrence est le circuit routier dans le pays. Malgré les efforts déployés par les autorités publiques durant les 15 dernières années, la construction de nouvelles routes n’a pas résout les problèmes de circulation et d’accès aux zones rurales. Cela explique en partie la forte concentration des entreprises libanaises dans les zones urbaines, notamment autour des grandes villes, comme Beyrouth, Saïda, Tripoli et Zahlé. Les difficultés de transport limitent la baisse des coûts et entravent l’installation des usines et sociétés libanaises dans des zones lointaines, malgré le fait que le coût de la main d’œuvre et le prix d’achat de terrains dans ces régions sont considérablement inférieurs aux niveaux rencontrés dans les zones urbaines. Par exemple, pour la période allant de janvier 2000 jusqu’en décembre 2002, le prix moyen du mètre carré s’élevait à 11 dollars à Hermel, à 274 dollars à Saïda, et à 2 056 dollars dans le Grand Beyrouth (de 375 à 3 575 dollars, selon les régions). Cela n’a pas empêché les entreprises de s’installer dans le Grand Beyrouth et à Saïda, et peu d’entreprises ont délocalisé leurs opérations au Hermel, malgré les incitations fiscales proposées par le gouvernement. Selon Gaspard, les entreprises arbitrent entre, d’une part les incitations fiscales, les prix de terrains et les coûts de la main d’œuvre, d’autre part les coûts attachés au transport et aux communications avec les clients et fournisseurs. Ces derniers l’emportent largement sur les premiers, à cause notamment du circuit routier et du coût de l’essence.

Notes
402.

Gaspard (2003), page 14.

403.

Gaspard (2003), page 40.

404.

Gaspard (2003), page 40.

405.

D’après la loi libanaise, les produits importés sous un contrat d’« agence exclusive » entre un importateur libanais et un fournisseur étranger ne peuvent être négociés au Liban qu’à travers l’agent exclusif. Un projet de loi est en discussion actuellement au Parlement libanais. Ce projet prévoit l’abandon de la protection légale dans un délai de 5 ans.

406.

Gaspard (2003), page 48.

407.

Dans le secteur de la téléphonie mobile, les tarifs mensuels comportent une partie fixe payée par l’abonné quelle que soit la durée de ses appels, et une autre partie variable sur les appels composés et messages envoyés. Cela sans parler du forfait initial payé par l’abonné pour l’obtention de son numéro de téléphone.