2. La transmission internationale du choc de 1966 à l’économie libanaise

Le Liban a connu dans les années 1950 une croissance inédite et exceptionnelle 408 . Ce succès s’explique par diverses raisons, notamment l’adoption d’un régime économique libéral sans aucune restriction au transfert de capitaux. Au moment où les grands pays industriels restreignaient les mouvements de capitaux, les investisseurs libanais et étrangers étaient capables de transférer leurs fonds librement, vers le Liban et à partir du Liban. Les choix économiques des pays de la région ont contribué à leur tour au succès de l’économie libanaise. Les pétrodollars, en hausse suite à l’accroissement de la production et à l’augmentation jusqu’à 50% de la part des pays du Golf dans les bénéfices nets des sociétés pétrolières, ont trouvé au Liban un refuge, ainsi qu’une plate-forme pour les transactions et les investissements (alors que dans les autres pays « socialistes » de la région, les activités du secteur privé étaient délimitées). Dans les années 1950, les activités de transit (maritime, terrestre et aérien) ont connu une expansion importante, et des milliers d’étudiants, d’hommes d’affaires, de journalistes, etc. arabes et occidentaux ont choisi le Liban comme lieu principal pour vivre et pratiquer leurs activités professionnelles. Les sociétés pétrolières arabes et occidentales choisirent également Beyrouth comme siège de leurs entreprises. Le Liban devint un pays touristique par excellence, ainsi qu’un centre international pour le commerce et la création intellectuelle. La loi du secret bancaire total, votée par le Parlement libanais en 1956, renforça la place financière de Beyrouth en attirant davantage de dépôts et d’investissements étrangers.

La structure ouvertement libérale de l’économie libanaise, ainsi que la place régionale de Beyrouth, rapprochèrent l’économie libanaise des pays du Golf, très liés politiquement et économiquement aux Etats-Unis. Elle rapprocha également l’économie libanaise de celle des Etats-Unis. Par exemple, deux sociétés américaines parmi les plus grandes aux Etats-Unis ont mis en place les infrastructures gigantesques des raffineries Zahrani. Les Américains contribuèrent également à l’installation du circuit « tube line » amenant le pétrole saoudien à travers la Jordanie et la Syrie jusqu’au Liban. Les sociétés américaines spécialisées dans la production pétrolière créèrent des filiales à Beyrouth et gérèrent leurs opérations à partir du pays des cèdres. Les Américains offrirent une aide militaire et économique substantielle au pays en 1958, sur fond de crise politique, régionale et intérieure.

Les effets de la croissance des années 1950 s’allongèrent dans les années 1960 : création de la Banque du Liban (banque centrale) en 1964, création de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, réglementation du secteur bancaire, hausse des dépôts bancaires, entrées de capitaux, nouveaux investissements, etc.

C’est dans ces circonstances très favorables à l’économie libanaise que le choc monétaire américain de 1966 a eu lieu. Ce choc a eu des effets négatifs sur la croissance économique et les taux d’intérêt. Il a affecté également la structure des échanges commerciaux du pays et le taux de change 409 .

Ces éléments, notamment les effets de la transmission internationale des chocs monétaires américains au Liban, sont méconnus dans la littérature économique. Les économistes et analystes évoquent souvent la crise de 1966, en l’attribuant à la faillite de la Banque Intra à l’automne de cette année-là. Mais leur raisonnement ne va pas plus loin. En effet, la faillite d’Intra est en très grande partie la conséquence du choc américain récessif de 1966, qui a poussé les taux d’intérêt internationaux à la hausse comme nous verrons plus loin.

Notre analyse de la transmission internationale du choc monétaire américain de 1966 au Liban essaye d’expliquer un épisode très important de l’histoire économique libanaise. Cet épisode est resté jusqu’à présent un grand dilemme. La réponse réside pour nous dans les effets de la transmission internationale du choc américain sur le Liban.

Dans cette partie, nous étudions, en utilisant les modèles théoriques des Chapitres (1) et (2), les effets du choc monétaire américain de 1966 sur les variables réelles et monétaires libanaises : taux d’intérêt, revenu national, balance courante, taux de change.

Notes
408.

Cette croissance fut interrompue quelques mois en 1958 suite à une crise politique intérieure à caractère régional. Un accord entre les différentes composantes du pays, ainsi que l’élection du Général Fouad Chéhab à la tête de l’Etat, mirent un terme à la crise.

409.

La situation économique s’améliora par la suite, en dépit des effets de la crise de 1966, de la faillite de la Banque Intra et de la guerre israélo-arabe de juin 1967. Les investissements affluèrent de nouveau vers le pays des cèdres : IDE occidentaux et arabes, ouverture de nouvelles agences des banques internationales, création de nouvelles sociétés financières (parmi lesquelles trois sociétés japonaises, une banque espagnole ...), etc.