2.2. Les effets du choc monétaire américain sur le revenu national du Liban

Entre 1950 et 1965, la masse monétaire a été multipliée par 3, en passant de 200 millions de livres en 1950 à 590 millions de livres en 1965. Cette hausse, couplée à une inflation très faible et proche de zéro, reflète l’importance de la croissance de l’économie libanaise avant le choc de 1966. Durant la même période, les dépôts bancaires sont passés de 259 millions de livres en 1951 à 1 585 millions de livres en 1963. D’après les statistiques du FMI, les dépôts en devises étrangères ont été multipliés par 8 entre 1945 et 1961, et sont passés de 54 millions de livres en 1945 à 452 millions de livres en 1961. Une partie de cet accroissement est due à la loi du secret bancaire de 1956, l’autre partie est due au contexte économique régional et au développement des services bancaires et financiers au Liban comme nous avons déjà vu. A titre d’exemple, la « valeur » des chèques compensés est passée de 52,4 millions de livres en 1943 à 3 617 millions de livres en 1963. Le « nombre » de chèques est passé, à la même période, de 5 millions à 803 millions, soit une hausse de 1 596%.

Tableau (37) : L’évolution de l’activité bancaire
Année Dépôts
(millions de LL)
Avances
(millions de LL)
1951 259 318
1956 483 564
1960 1 069 966
1963 1 585 1 333

Le choc du crédit bancaire US a provoqué une baisse du revenu national libanais. Ce résultat est conforme aux avancées de Kim (2001), qui montre que les chocs monétaires restrictifs américains se transmettent négativement aux autres pays du monde. La transmission internationale du choc monétaire américain au Liban correspond également au résultat de Mackowiak (2003), qui montre qu’un choc monétaire américain affecte les revenus des pays émergents dans le même sens où il affecte le revenu US.

Suite au choc américain et à la crise de liquidité en 1966, le total des crédits accordés aux résidents libanais a baissé de 2 259 millions de livres en 1966 à 2 158 millions en 1968, soit une diminution de 4,5%. A leur tour, les crédits au secteur privé ont baissé de 2 700 millions en septembre 1966 à 2 260 millions en 1967. Dans un pays comme le Liban, où l’activité économique est intimement liée aux prêts bancaires, les crédits accordés reflètent largement l’activité économique. D’après Iskandar et Ouwaïss (2002), durant la même période, « le revenu national a diminué en passant de 3 460 millions de livres libanaises en 1966 à 3 443 millions de livres en 1967, pour augmenter ensuite jusqu’à 3 861 millions de livres libanaises en 1968 » 422 . La croissance négative de 0,49% en 1967, due à la transmission internationale du choc monétaire américain à l’économie libanaise, n’a pas duré longtemps. Une fois que les effets de ce choc sur le Liban eurent disparu, la croissance reprit et le revenu national enregistra en 1968 une hausse de 12,14%.

Les effets du choc américain se sont ressentis dans le secteur bancaire, qui contribuait pour plus de 35% du revenu national. Le bilan consolidé des banques est passé de 4 990 millions de livres en septembre 1966 (avant la crise de liquidité) à 4 100 millions de livres fin 1967. Comme les taux d’intérêt avaient augmenté à l’étranger, beaucoup d’investisseurs ont retiré leurs avoirs auprès des banques libanaises pour les placer sur d’autres places financières. Suite au choc monétaire américain, les dépôts ont diminué de 20,1%, et sont passés de 3 230 millions en septembre 1966 à 2 580 millions en décembre 1967. A leur tour, les crédits au secteur privé ont diminué, et sont passés de 2 700 millions en septembre 1966 à 2 260 milliards fin 1967.

Tableau (38) : Les effets du choc monétaire US sur le revenu national au Liban
En millions de LL 1966 1967 1968
Revenu national 3 460 3 443 3 861
Crédits au secteur privé 2 700 2 260 2 450
Dépôts 3 200 2 580 2 945
Bilan consolidé des banques 4 990 4 100 4 665

Sources : Publications du FMI et de la banque mondiale

Graphique (55) : L’évolution du revenu national suite au choc monétaire US (en millions de livres libanaises)
Graphique (56) : L’évolution de l’activité bancaire entre 1966 et 1968 (en millions de livres libanaises)

La transmission du choc de 1966 à l’économie libanaise a eu lieu à travers le marché mondial des capitaux. La hausse du taux d’intérêt international, qui a réduit la demande de consommation et d’investissements aux Etats-Unis comme nous avons déjà vu, s’est transmise à l’économie libanaise. L’étude du cas libanais en 1966, où le régime de change est flottant et où les entreprises domestiques et internationales adoptent la vente dans leur propre monnaie, correspond aux résultats de Kim (2001), mais aussi aux résultats des modèles inter-temporels de Svensson et Wijnbergen (1989) et d’Obstfeld et Rogoff (1995). En effet, malgré la détérioration de la balance commerciale libanaise avec les Etats-Unis dans les mois qui ont suivi le choc de 1966 (nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante), l’effet des variations de cette balance dans la transmission du choc monétaire américain est modeste. En premier lieu, parce que la réaction de la balance courante libanaise était légère. En second lieu, parce que les exportations libanaises ne représentaient que le quart des importations entre 1965 et 1967, et ne pouvaient pas alors affecter le revenu national provenant majoritairement des services (comme le montre le tableau 39), notamment ceux des secteurs bancaire et financier. Le canal principal de la transmission internationale du choc US est le taux d’intérêt international qui a provoqué la baisse de la production nationale.

Tableau (39) : La part des services dans le PIB du Liban
Année 1965 1966 1967
Part des services dans le PIB 423 67,1% 67,0% 68,4%
Part des autres secteurs dans le PIB 29,9% 30,0% 31,6%
Total 100% 100% 100%

Le cas du Liban confirme les propos de Kim (2001), notamment le fait que, contrairement aux avancées du modèle MFD (où le revenu étranger augmente suite à un choc restrictif dans Nation), un choc restrictif dans une grande économie en régime de change flottant et PCP exerce un effet négatif sur le revenu étranger. Le cas libanais correspond également à la thèse de Kim et Roubini (2000), qui montrent que les chocs économiques (comme par exemple la variation du taux directeur de la Fed) affectent le revenu étranger. Le cas libanais montre aussi la pertinence du raisonnement de Kollmann (1999), qui évoque la possible baisse des encaisses réelles domestiques et étrangères suite à un choc dans une grande économie. Le ratio de liquidité bancaire au Liban a diminué de 38% en septembre 1966 par rapport à son niveau en janvier 1966. De même, le rapport « actifs bancaires liquides / dépôts bancaires » est passé de 26% en mars 1966 à 13% en août 1966. Pour Kollmann, la baisse des encaisses réelles provoque la hausse du taux d’intérêt et par conséquent la contraction du revenu national. Le cas libanais confirme par ailleurs les conclusions de Schmidt (2004), selon qui, en régime de change flottant et PCP, un choc monétaire non-anticipé dans une grande économie accroît le revenu étranger.

Notes
422.

Iskandar et Ouwaïss (2002), page 59.

423.

Les services comprennent l’habitat, les transports, les télécommunications, le commerce, les services financiers et bancaires, les services hospitaliers, et l’éducation.