Sur-réaction (avec/sans retard d’ajustement) ou hausse instantanée du taux de change ?

Sur le graphique (59), nous pouvons voir clairement que la hausse du cours de la livre a commencé suite au choc monétaire américain. Nous voyons aussi que le taux de la livre a sensiblement augmenté, avant de diminuer graduellement et se stabiliser 16 mois plus tard à 3,17 livres pour un dollar. La contraction monétaire américaine a provoqué la dépréciation de la livre conformément aux avancées de la littérature. Elle a entraîné aussi la sur-réaction du taux de change conformément à la thèse de Dornbusch (1976). L’hypothèse de Stockman et Obstfeld (1985), selon laquelle le taux de change dans une petite économie ouverte augmente sensiblement suite à un choc monétaire, est vérifiée. En revanche, la suite de leur raisonnement, où la monnaie diminue légèrement après la sur-réaction, n’est pas tout à fait exacte dans le cas du Liban. En effet, la baisse du cours de la livre à partir d’octobre 1967 était importante (de 3,22 à 3,17 en juillet 1966, en passant par 3,13 en janvier et février 1968).

Il n’y a pas eu dans le cas libanais de retard d’ajustement. La sur-réaction du taux de change a duré pendant environ 15 mois (entre avril 1966 et juillet 1967). Mais cette sur-réaction s’est produite « instantanément ». Le cas libanais s’inscrit exactement dans la lignée de Dornbusch (1976) et concorde avec les travaux de Kalyvitis et Michaelides (2000) et Faust et Rogers (2002). En effet, les taux d’intérêt libanais ont réagi quelques semaines plus tard au choc restrictif américain comme nous avons déjà vu, et c’est à cause de cette réaction que l’hypothèse du retard d’ajustement est rejetée dans le cas libanais.

En rejetant l’hypothèse du retard d’ajustement, nous soutenons que le cas de la livre libanaise ne concorde pas avec les nouveaux développements théoriques et les résultats économétriques obtenus pour certaines devises (le yen, le mark, la livre italienne, le franc français, la livre sterling, le dollar, etc.), comme le défendent Jang et Ogaki (2001), Eichenbaum et Evans (1995), Evans, (1994), et Lewis (1995).

Sur un autre plan, la sur-réaction du taux de la livre rejette les résultats d’Obstfeld et Rogoff (1995), pour qui le taux de change s’ajuste instantanément à sa valeur d’équilibre (sans sur-réaction).

Un dernier point mérite un éclaircissement. D’après les développements précédents, nous pensons que le choc monétaire américain a provoqué non seulement une dépréciation « nominale » de la livre, mais aussi une dépréciation « réelle » parce que les prix étaient rigides. Cette dernière supposition nous semble fondée car, à la fin de décembre 1966, c’est-à-dire 8 mois après le choc monétaire américain, l’indice des prix à la consommation au Liban (voir tableau 43) a augmenté seulement de 2,7% (contre 3,0% en 1965). Ce n’est qu’en 1967 que les prix se sont ajustés au choc de crédit US (hausse des prix des importations) et que l’IPC a augmenté de 3,7% (avant de diminuer de 0,7% en 1968). L’hypothèse de rigidité des prix peut être également défendue à l’aide de l’indice global des prix (voir tableau 42). Cet indice, qui s’élevait à 97,3 fin 1965 (en hausse de 0,9% par rapport à 1964) et à 100 fin 1966 (en hausse de 2,8% par rapport à 1965), est passé fin 1967 à 104,5, soit une hausse de 4,5%.

Graphique (59) : Le cours de change entre septembre 1964 et novembre 1968

En somme, le choc de 1966 a perturbé pendant des mois la croissance. Il a provoqué une crise de liquidité dans le pays, contribué à la faillite de la plus grande banque de la place (et à la panique bancaire qui a suivi), et mené à une modification dans la structure des échanges commerciaux. Il a donné aussi lieu à la hausse des taux d’intérêt, et a conduit à la sortie de capitaux et à la forte volatilité du taux de change.