Conclusion générale du Chapitre (3)

Dans cette Conclusion, nous relevons les principaux résultats du troisième Chapitre et étudions les effets des chocs monétaires américains sur le Liban.

Les principaux résultats du Chapitre (3) peuvent être récapitulés dans les points suivants.

• A l’aide d’un modèle de l’économie libanaise, auquel nous avons ajouté deux facteurs étrangers distincts (le taux court US et le taux long US), nous avons étudié la transmission internationale des chocs monétaires américains à l’économie du Liban.
• Le modèle libanais que nous avons étudié est compatible avec la réalité, tant au niveau du revenu et des importations que des taux d’intérêt et des prix. Ainsi, un choc monétaire de taux d’intérêt (permanent) se traduit par une baisse très forte du revenu national, des exportations à court terme et des importations. Comme l’économie libanaise est très ouverte aux échanges et aux mouvements de capitaux, nous constatons que, même dans le modèle national en économie ouverte, l’international joue un rôle important.
• Le choc extérieur simulé à l’aide du taux des fonds fédéraux, signe d’un réchauffement dans l’économie américaine, exerce un effet significatif sur le Liban, puisque le revenu national, les exportations et l’indice des prix à la consommation augmentent. Les mêmes résultats sont obtenus dans le cas d’un choc de revenu US, qui entraîne un accroissement du revenu libanais. Ces résultats corroborent nos conclusions du Chapitre (2), selon lesquelles la hausse du revenu américain se transmet positivement aux pays du reste du monde.
• Les taux courts US exercent peu d’influence sur les taux courts du Liban. Ce résultat s’explique par le fait que les bons du Trésor libanais ne concurrencent pas directement les bons du Trésor américains (car les taux libanais n’augmentent pas suite à la hausse des taux US). Il s’explique aussi par la conjoncture économique intérieure du Liban, les taux courts étant liés à l’évolution du déficit budgétaire et au niveau de la dette publique. Ce résultat s’explique également par le pricing-to-market, conformément aux résultats du Chapitre (2) où nous avons montré que le taux d’intérêt étranger reste constant ou varie peu suite à un choc monétaire dans une grande économie ouverte comme celle des Etats-Unis (comme la parité de taux d’intérêt est vérifiée, le choc américain réduit le taux US par rapport au taux libanais, qui ne varie pas).
• Le choc extérieur simulé à l’aide des taux US à long terme montre que le revenu libanais diminue, avant d’augmenter. A son tour, le taux d’intérêt du Liban (qui diminue avant d’augmenter après un an) est très sensible aux variations des taux longs des Etats-Unis (alors qu’il ne l’est pas aux variations des taux courts). Cela montre que la transmission internationale du choc US à l’économie libanaise transite par les marchés financiers. Ce résultat corrobore nos avancées du Chapitre (2), ainsi que les résultats du Chapitre (3) portant sur les effets des deux chocs monétaires américains (mai 1966 et janvier 2001) sur les taux d’intérêt du Liban. La baisse transitoire en courte période du taux long s’explique par l’effet d’anticipation des agents économiques, qui achètent des titres domestiques en prévision de la hausse des prix des bons du Trésor (ce qui pousse le taux long à la baisse durant la première année).
• Le choc extérieur simulé à l’aide de la variation de la quantité de monnaie aux Etats-Unis ne donne aucun résultat exploitable. Nous avons contourné cette difficulté en identifiant deux chocs monétaires américains et en étudiant leurs effets sur l’économie libanaise.
• Les travaux de Friedman et Schwartz (1963) et de Romer et Romer (1989, 1994, 1997, 2000, 2002, 2003, 2004) mettent les bases de l’étude des chocs monétaires. Afin d’identifier ces chocs, deux méthodes sont possibles. La première est de simuler des chocs et d’étudier leurs effets sur l’économie en question. On parle dans ce cas de méthode économétrique (nous avons employé cette méthode dans la première Section de ce Chapitre). La deuxième méthode d’identification des chocs est de mesurer les changements dans la quantité de monnaie et d’étudier leurs effets sur le reste du monde. Dans ce cas, les changements imprévus dans la quantité de monnaie sont repérés par la méthode narrative (nous avons employé cette méthode dans la deuxième Section de ce Chapitre).
• Le choc monétaire américain de mai 1966 est un choc de crédit bancaire (plus précisément de la quantité de monnaie en circulation) récessif. Suite à ce choc, les taux d’intérêt US ont considérablement augmenté. Le choc de janvier 2001 est un choc de politique monétaire (appartenant aux chocs monétaires) expansionniste. Avec l’identification de ce choc, suite auquel les taux d’intérêt US ont considérablement baissé, nous avons complété les résultats de la littérature en mettant à jour la liste des chocs monétaires.
• La forte dollarisation de l’économie libanaise a poussé les autorités monétaires, par peur du flottement, à adopter un régime de change fixe en vue de réduire le pass-through aux importations. En conséquence, les prix nominaux sont devenus rigides. Cela a permis aux vendeurs de pratiquer la discrimination de prix et de vendre en PtM. La vente dans la monnaie du pays de l’acheteur au Liban résulte alors du comportement des autorités monétaires, soucieuses de contrer l’inflation importée.
• Les rigidités structurelles sont la cause première de la nature monopolistique de l’économie libanaise. Une grande partie des marchés a une structure monopolistique ou oligopolistique où quelques vendeurs seulement dominent le marché et exercent une influence considérable sur le prix de vente.
• La transmission internationale du choc monétaire américain de 1966 à l’économie libanaise, qui a eu lieu dans un environnement de PCP et de change flottant, corrobore les résultats du Chapitre (2). Suite à la contraction du crédit bancaire aux Etats-Unis, le revenu national du Liban a baissé. A son tour, le taux d’intérêt a augmenté à cause de la hausse du taux d’intérêt international et des sorties de capitaux. La balance commerciale s’est détériorée durant la première année, avant de s’améliorer plus tard conformément à la thèse de la courbe en (J). Quant au cours de la monnaie, il a augmenté (dépréciation de la livre libanaise). Les résultats du Chapitre (3) confirment les conclusions théoriques du Chapitre (2), selon lesquelles la transmission internationale du choc monétaire US à l’économie libanaise est due à la hausse internationale du taux d’intérêt (d’où le rôle des marchés de capitaux), et non pas à la détérioration (et ensuite l’amélioration) de la balance commerciale comme le défendent les modèles à la Mundell–Fleming.
• La transmission internationale du choc monétaire US à l’économie libanaise permet enfin de comprendre pourquoi il y a eu une crise de liquidité au Liban en 1966. Nos résultats lèvent le voile aussi sur la faillite de la Banque Intra et interprètent cette énigme à la lumière de la théorie économique en finance internationale. Il ressort du Chapitre (3) que la crise de liquidité de 1966 est principalement due à la contraction de la quantité de monnaie aux Etats-Unis, qui a donné lieu à la hausse des taux d’intérêt américains et internationaux. Cette crise de liquidité s’est manifestée par la cessation de paiements de plusieurs banques au Liban, dont Intra. Voilà pourquoi cette dernière a fait faillite !
• Pourquoi, dans le cas du Liban, les importations ont augmenté suite au choc monétaire US de 1966, alors que le revenu a diminué (alors que, dans le cas des Etats-Unis, les importations diminuent lorsque le revenu national diminue) ? Cette situation s’explique par le facteur « prix » (et non pas par le facteur « revenu » comme c’est généralement le cas dans une grande économie comme les Etats-Unis). Par ce résultat, nous complétons la littérature, notamment les effets de la transmission internationale des chocs monétaires à la balance courante étrangère.
• La contraction monétaire américaine a provoqué la dépréciation de la livre, conformément aux avancées de la littérature. Elle a entraîné aussi la sur-réaction du taux de change à la Dornbusch. L’hypothèse de Stockman et Obstfeld (1985), selon laquelle le taux de change dans une petite économie ouverte augmente sensiblement suite à un choc monétaire, est vérifiée. En revanche, la suite de leur raisonnement, où la monnaie diminue légèrement après la sur-réaction, n’a pas eu lieu dans le cas du Liban. Une autre preuve que le cas libanais correspond à la sur-réaction à la Dornbusch est le fait qu’il n’y ait pas eu dans le cas libanais de retard d’ajustement. La sur-réaction s’est produite « instantanément ».
• A partir de 1998, l’économie était dans une phase de récession. Fin 2000, la croissance était au plus bas (le taux de croissance réel du PIB a atteint 4% en 1996 et 1997, 3% en 1998, 1% en 1999 et 0% en 2000). En même temps, le déficit budgétaire et la dette publique continuaient d’augmenter, relevant les taux d’intérêt intérieurs en livres libanaises et en devises. Rien ne laissait espérer une amélioration de la situation (récession économique mondiale, pas d’investissements étrangers, sortie de capitaux, forte détérioration des finances publiques, etc.). C’est dans ces circonstances très défavorables à l’économie libanaise que le choc monétaire américain du 3 janvier a eu lieu. Ce choc affecta très positivement les variables réelles et nominales de l’économie libanaise, et donna lieu fin 2001 à une hausse de 1,5% du PIB réel.
• La transmission internationale du choc monétaire américain de 2001 à l’économie libanaise, qui a eu lieu dans un environnement de PtM et de change fixe, corrobore les résultats du Chapitre (2). Suite à la baisse non-anticipée du taux d’intérêt US, le revenu national du Liban a augmenté. A son tour, le taux d’intérêt a baissé malgré les pressions considérables de la dette publique et du déficit budgétaire, et en dépit de la contraction de la masse monétaire, des sorties de capitaux et de la dégradation du solde de la balance des paiements. Cette baisse est due à la diminution du taux d’intérêt mondial. Le déficit de la balance courante s’est accru la première année conformément au modèle de la courbe en (J), mais les exportations ont considérablement augmenté en 2001. Ce résultat correspond aux avancées théoriques de la transmission internationale des chocs monétaires en PtM, sauf que, dans le cas libanais, la réaction des échanges au choc US a été rapide. Nous avons montré dans le Chapitre (3) que la hausse des importations (qui sont liées au revenu dans le cas du Liban) et le PtM ont affaibli la courbe en (J). Le choc monétaire américain a provoqué une appréciation de la livre libanaise par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux du Liban. Ce résultat est évident étant donné que la livre suit de près les variations du dollar.
• Le résultat de la transmission internationale du choc monétaire américain au taux d’intérêt nominal libanais en PtM ne concorde pas avec les avancées de la littérature. La thèse selon laquelle la parité de taux d’intérêt, vérifiée, entraîne une baisse du taux d’intérêt nominal US par rapport au taux d’intérêt nominal libanais, qui ne varie pas, ne s’est pas produite (les taux libanais ont sensiblement réagi au choc US en diminuant). Ce résultat modifie les résultats théoriques, d’autant que les pressions intérieures sur les taux étaient à la hausse. Autrement dit, la transmission internationale du choc US au taux d’intérêt libanais était très forte pour pouvoir le réduire, malgré les pressions à la hausse de ce taux. Le cas libanais montre que le taux d’intérêt nominal à l’étranger diminue (et ne reste pas constant) suite à un choc monétaire dans une grande économie en PtM.
• Le cas libanais permet également d’aboutir à une conclusion différente de celle de la littérature de la transmission internationale des chocs monétaires au taux d’intérêt réel à l’étranger en PtM. Au lieu d’augmenter légèrement, le taux d’intérêt réel du Liban a diminué suite au choc US.
• Les deux résultats selon lesquels les taux d’intérêt, nominal et réel, du Liban diminuent suite à un choc monétaire US en PtM mettent en relief le rôle des marchés financiers internationaux dans le processus de transmission. Ainsi, en PtM comme en PCP, l’ouverture d’une économie sur le reste du monde conditionne la nature des effets des chocs monétaires étrangers sur les taux intérieurs. Ce point n’a pas été exploré dans les études théoriques du PtM. Le cas libanais fournit un complément à la recherche sur le pricing-to-market.
• La hausse du revenu libanais suite au choc monétaire US corrobore les résultats de la littérature, selon lesquels le revenu étranger (libanais) augmente suite à un choc expansionniste dans Nation (Etats-Unis). Avec la hausse du taux de PtM (s), la transmission des variations du dollar au taux de change nominal effectif faiblit. Le PtM accroît la corrélation entre les revenus, US et libanais, qui augmentent. Ce mécanisme est dû à l’effet qu’exerce la consommation mondiale (en hausse suite au choc US) sur les productions, américaine et libanaise.
• Comme le taux de PtM (s2) pratiqué par les entreprises libanaises est proche de (1), les prix libanais à l’exportation ont légèrement augmenté. Cette faible hausse n’était pas suffisante pour détourner la demande étrangère des produits libanais. C’est pourquoi, sous l’influence de la hausse du revenu américain, le revenu libanais a augmenté suite au choc US. Ce résultat corrobore les avancées de la littérature sur la transmission internationale des chocs monétaires en cas d’asymétrie des modes de fixation des prix à l’exportation.
• Comme le taux de PtM (s2) pratiqué par les exportateurs libanais est proche de (1), et tenant compte du fait que le taux de PtM (s1) pratiqué par les exportateurs américains au Liban est aussi proche de (1), le cas du Liban corrobore les avancées selon lesquelles, suite à un choc en PtM dans Nation (Etats-Unis), la balance courante d’Etranger (Liban) enregistre un accroissement de son déficit.
• La combinaison du PtM et de la rigidité des prix a accru la réaction du taux de change nominal effectif de la livre, qui s’est considérablement dépréciée en terme « effectif » suite au choc monétaire US. Comme les prix nominaux sont rigides (car préétablis et vendus en PtM), les variations du taux de change effectif ont été régies par les variations du taux de change nominal. De même, le PtM explique la sur-réaction du taux de change en janvier 2001. Ces résultats corroborent les avancées la littérature sur la transmission internationale des chocs monétaires au cours de change en PtM.