1.2.3. Typologie d’activités innovatrices

L’innovation gère un impact de plus en plus important dans nos vies. Nous pouvons aimer ou non, mais nous ne pouvons ignorer (Freeman, 1995a) son influence. Comme il existe fréquemment une certaine indifférenciation entre les concepts d’invention et d’innovation, il nous paraît pertinent de présenter quelques indications sur le sujet.

La distinction entre ces concepts a été introduite par Schumpeter en 1912 (voir Schumpeter 1951). En la prenant comme référence, Freeman et Soete (1997) proposent les définitions suivantes : une invention est une idée, une ébauche ou un modèle pour un schéma, produit, processus ou système nouveau ou amélioré. Les inventions ne conduisent pas nécessairement aux innovations techniques. En fait, la plupart des inventions n’y conduisent pas. Une innovation au sens économique se vérifie à peine quand s’effectue la première transaction commerciale englobant le nouveau produit, processus, système ou schéma, quoiqu’on puisse aussi utiliser le mot pour caractériser le processus global.

Comme Freeman l’a indiqué, le processus d’invention était différent du processus d’innovation. En effet, ce n’est qu’au XIXe siècle, dans les années 70, que surgissent, dans l’industrie, les premiers laboratoires spécialisés en R&D. Dans ce cadre, dans lequel s’écoule une période de turbulence, depuis l’innovation jusqu’à l’application sociale, émerge, avec un rôle fondamental, la figure de l’entrepreneur. La professionnalisation de la R&D opère avec rapidité. Ainsi, au début de la deuxième Guerre Mondiale, il existait déjà un nombre remarquable de laboratoires de recherche et des organisations munies de caractéristiques semblables. Dans les pays développés, ce type d’institutions fonctionnait sous la tutelle des gouvernements ou en fonction de l’initiative privée.

Schumpeter distingue cinq types d’innovation :

Schumpeter envisage le processus d’innovation comme discontinu et incertain. Intervient ici la notion de cycle économique. Dans son œuvre Business Cycles (1939), Schumpeter accepte la périodicité des « cycles longs » de Kondratiev, en suggérant une nouvelle explication : la dynamique de l’innovation comme déterminante du comportement cyclique du système économique.

Pour Schumpeter, les « grappes », irrégulières, de l’innovation sont essentielles pour le développement. L’initiative de l’entrepreneur innovateur se traduit dans l’exploitation du potentiel du flux discontinu des inventions. L’introduction de ces inventions dans le marché (innovations) va créer de nouvelles opportunités de profit, attirant une grande parcelle d’investisseurs dans les nouveaux secteurs en expansion. En conséquence, un « boom » économique aura lieu. Comme le développement de la concurrence, les marges de profit créées par l’innovation se réduiront progressivement, en diminuant la propension à l’investissement et à la croissance économique. Mais avant l’arrivée de n’importe quel équilibre, le processus s’initie à nouveau, dû à un nouvel essor d’innovations (Freeman C., et al 1982). Dans ce contexte, le processus de diffusion de l’innovation apparaît lorsque l’hypothèse des innovations de base ou radicales devient claire et engendre des super profits, en remplaçant les vieux produits et processus.

En se basant sur les travaux de Kondratiev, Schumpeter définit quatre phases de la longue « vague » : prospérité, récession, dépression et récupération. La partie supérieure du cycle (point d’inflexion) est donnée à l’origine par la disparition des profits du monopole relatifs à l’introduction de l’innovation, après que le produit ou le processus se soit généralisé, à cause des imitateurs. La partie inférieure du cycle surgit après la « destruction créatrice » provoquée par la dépression. Pour Schumpeter, la récupération se vérifie définitivement, lorsque surgissent les nouveaux biens de consommation, les nouvelles méthodes de production et les nouveaux marchés et transports, mais aussi des nouvelles formes d’organisation industrielle. La conception de Schumpeter se basait sur l’approche historique et l’apparition de l’innovation de manière discontinue, se concentrant sur certains secteurs et n’étant pas distribuée dans toute la structure industrielle. Schumpeter devinait l’existence distincte des innovations radicales et des innovations de deuxièmeordre (« incrémentielles »), tout comme celle de la séquence : invention → innovation → diffusion . Toutes ces propositions furent postérieurement développées.

En transposant le concept d’innovation à un niveau « macro », nous pouvons obtenir d’autres typologies. Freeman et Perez ont proposé une taxonomie sur les innovations, utilisée aussi dans l’OCDE (1988; 1992), qui intègre quatre niveaux :

Ces auteurs (Freeman et Perez) préfère le terme paradigme technico-économique au lieu du « paradigme technologique » utilisé par Dosi (1984,1988), parce que les changements en cause dépassent de loin les trajectoires d’ingénierie spécifiques du produit ou du processus. Ils effectuent la structure des coûts des facteurs, les conditions de production et de distribution au long du système.

À leur tour, Nelson et Winter ont préféré utiliser le concept de trajectoires naturelles pour décrire ce nouvel encadrement. Dosi, (1984, 1988), a cherché à systématiser les caractéristiques les plus importantes du processus de production des innovations, aboutissant à sept faits stylisés, déjà assez consacrés, à savoir :

  1. Le rôle, de plus en plus important, du moins au XXe siècle, des facteurs scientifiques dans le processus d’innovation ;
  2. La complexité de plus en plus grande des activités de R&D, ce qui implique plus de projections à long terme pour les entreprises, et leur institutionnalisation ;
  3. Une corrélation significative entre les efforts de R&D et l’« output » innovateur dans divers secteurs industriels et le manque de corrélations claires, visibles dans les comparaisons sectionnaires entre divers pays, les modèles de marché et les modèles de recherche et l’« output » innovateur;
  4. Une quantité appréciable d’innovation et de perfectionnement introduits résulte du learning-by-doing, et learning-by-using;
  5. Malgré la croissante institutionnalisation, les activités de R&D ont une nature incertaine, ce qui joue contre la possibilité de connaître par anticipation l’ensemble des trajectoires technologiques;
  6. Le changement technique n’arrive pas par hasard, pour deux raisons : en premier lieu, les directives de rénovation technique sont fréquemment définies par la situation où se trouvent les technologies déjà utilisées ; en deuxième lieu, les progrès technologiques des entreprises et organisations, dépendent, entre autres choses, des niveaux technologiques déjà atteints ( on peut dire qu’il existe des facteurs cumulatifs);
  7. L’évolution des technologies au long du temps montre quelques régularités significatives, ce qui permet de définir le « parcours » de changement, en rapport avec les caractéristiques technologiques et économiques des produits et des processus.

Selon Freeman, (1984), une révolution technologique pure doit avoir les caractéristiques suivantes :

D’autres auteurs, (Dosi et Orsenigo, 1988), énumèrent les « aspects généraux du progrès technique ». Ils sont ici exposés, parce qu’ils présentent certaines idées très intéressantes :

Edquist (2001) commence par souligner que la plupart des travaux dans ce contexte s’est centré initialement sur le changement technologique, et non sur l’innovation.

De façon à identifier les éléments déterminants et, par conséquent, réussir à délimiter les frontières du système, il devient nécessaire de saisir ce qu’est l’ « innovation » actuelle. On peut dire que les différents types d’innovation doivent avoir des déterminants divers. Par exemple, les processus d’innovation organisationnelle possèdent d’autres facteurs déterminants en plus des technologiques. À leur tour, les innovations de produit ont aussi d’autres facteurs/éléments décisifs. Nous devons alors séparer les innovations en catégories. De là, la nécessité des taxonomies des innovations (Edquist, 2001) (voir Figure 1.1).

Pour Edquist, en effet les innovations sont de nouvelles créations avec une signification économique, généralement effectuées par les entreprises (ou, parfois, par les individus). Celles-ci peuvent être des marques nouvelles, mais elles sont plus fréquemment des combinaisons d’éléments existants. Il s’agit, selon Edquist (2001), d’une question au sujet de ce qui est produit et comment il est produit par les entreprises 2 .

Figure 1.1 Taxonomie de l’innovation de processus et de produit selon Edquist
Innovations
Innovations de processus Innovations de produits
Technologique Organisationnel Biens Services

Source : Nahlinder, Johanna, 2002, p.26

Les innovations de produit peuvent concerner des biens ou services. Les innovations de processus peuvent être technologiques ou organisationnelles. Dans une deuxième phase, certaines innovations de produit sont transformées en innovations de processus. Ceci concerne les « produits d’investissement », c’est-à-dire des produits qui ne sont pas pour l’investissement immédiat.

Dans la taxonomie d’Edquist (2001), les biens et les innovations de processus technologique sont des innovations du type « matériel ». Les processus organisationnels et les services sont « intangibles ». Il est fondamental de considérer les innovations tout aussi intangibles, parce qu’elles sont de plus en plus importantes pour la croissance économique et l’emploi.

Une autre taxonomie apparaît dans le Manuel d’Oslo (OECD, 1997) qui est une sorte de guide de l’OCDE pour recueillir et interpréter les données sur l’innovation technologique. Ce manuel se centre sur les innovations technologiques de produits et de processus (Technological Product and Process Innovations- TPP). Les innovations technologiques de produits et de processus comprennent les technologies de nouveaux produits et de processus déjà implantées et les améliorations technologiques significatives dans ces produits et processus.

Les innovations TPP ont été instaurées, lorsqu’elles ont été introduites dans le marché (innovation de produit) ou usées au sein du processus de production (innovation de procédure). L’entreprise innovatrice TPP est celle qui opère déjà avec une technologie nouvelle ou qui a effectué des améliorations technologiques significatives dans les produits et dans les processus pendant la période en analyse. L’inclusion du mot « technologique » constitue une démarcation par rapport à certains changements qui ne sont pas considérées comme technologiques. Les TPP doivent avoir un objectif de perfectionnement dans le « dégagement » du produit. Cela exclut les améliorations et innovations organisationnelles.

Dans la taxonomie d’Edquist, les TPP sont des innovations de produit (biens ou services) ou innovations de processus technologiques, (Figure 1.2) lesquelles sont objectives et non subjectives. Le concept TPP est restreint au changement technologique, ne prenant pas en compte le changement organisationnel. La terminologie est également différente. Ainsi, le Manuel d’Oslo considère les zones grises, dans la Figure 1.2, comme des innovations technologiques, alors que dans la taxonomie d’Edquist, celles-ci correspondent à un type d’innovation de processus.

Figure 1.2 Comparaison entre la taxonomie d’Edquist et le concept TPP du Manuel d’Oslo
Innovations
Innovations de processus Innovations de produits
technologique Organisationnel biens services

Source : Nahlinder, Johanna, 2002, p. 26

Notes
1.

Les deux premières modalités ont retenu, sans aucun doute, la plus grande part de l’attention des chercheurs. Voyons à titre d’exemple Perez (1983) et (1988).

2.

Pour plus de détails, consulter Edquist (1997).