3. Les SI - systèmes d'innovation

3.1. Considérations génériques

Selon Bruno Amable (2001), la notion de Système d'Innovation (SI) réunit diverses tentatives d'incorporer des éléments institutionnels dans l'analyse économique du changement technique, l'architecture des systèmes scientifiques, l'origine de l'innovation technologique. Le point commun de départ à l'ensemble des investigations quant au SI s'inscrit dans le refus de la conception de l'innovation comme un processus de décision individuel indépendant de l'environnement pour se baser sur une conception d'auteurs insérés dans diverses institutions. Selon les études des systèmes d'innovation, on considère des systèmes plus ou moins larges depuis des systèmes très simples basés sur des intersections minimes entre les agents du processus d'innovation, jusqu'à des systèmes qui considèrent une vaste gamme d'influences sur le comportement des agents économiques. Cette indétermination relative pose, fondamentalement, un problème théorique de délimitation du système. L'approche en termes de systèmes d'innovation est importante, parce que cela permet de surmonter une vision déjà dépassée (système de changement technique qui se déroule dans une séquence linéaire et une vision strictement économique qui à peine voyait l'innovation comme le résultat d'un investissement d'entreprises) et parce que cela réintègre l'innovation dans l'économie (et dans la société). Un des problèmes évoqués antérieurement concerne la délimitation des frontières du système. En effet, il s'agit d'une question importante pour situer l'analyse des SI, soit strictement dans le domaine de l'analyse de mutation technique ou alors dans le contour des analyses institutionnelles plus généralistes de l'économie.

Pour Keith Smith (1998), il existe trois sources conceptuelles de l’approche des SI :

  • la prise des décisions économiques émerge des fondements institutionnels ;
  • l’avantage compétitif (des nations) se consolide sur la spécialisation des économies;
  • la connaissance technologique résulte de l'apprentissage interactif, ce qui renvoie à des "bases de connaissance" distinctes en fonction des agents.

Pour Amable (2001), le premier élément est significatif, parce qu'il permet d’insérer l'ensemble des recherches sur les systèmes nationaux d'innovation (SNI) dans la ligne des études institutionnalistes sur l'économie. Le deuxième élément souligne la contribution des SI en termes de compétitivité externe et de spécialisation industrielle dans l'analyse des trajectoires nationales. Le dernier élément intègre les approches en termes de SI dans l'économie évolutionniste.

Les origines des SI se situent au carrefour de l'économie de changement technique et de l'analyse des politiques techniques. Ainsi, il ne faut pas considérer comme étrange l'importance conférée aux institutions directement associées au processus d'innovation et à l'accumulation de connaissance, qui se trouvent assujettis à l'influence des politiques publiques. Toujours selon Amable, "La conception fondamentaliste du SI reste concentrée autour des activités strictement scientifiques. C'est cette conception qui est la plus répandue, rassemblant les activités communément et explicitement liées à l'innovation".

Lundvall (1992) distingue deux conceptions différentes des SI:

  • la conception « stricte » qui se limite aux domaines de la science, de la recherche, de la technique et dans certains cas, l'éducation;
  • la conception « large » qui s'étend à toutes les structures économiques et institutionnelles affectant le système de production et d’innovation.

Ainsi, la conception stricte n’étudie que le système scientifique et technologique. De cette façon, elle sous estime les facteurs déterminants et les conséquences de l'innovation en dehors de ce domaine. Les partisans de cette conception tendent à diminuer l'importance des institutions et l'influence "macroéconomique", et, à privilégier les chaînes d'intersection plus localisées, régionales ou intersectorielles.

La conception large, en étudiant les facteurs déterminants d'innovation, incorpore les influences qui ne sont pas seulement liées au domaine de la science et de la technologie. Cette approche permet d’intégrer la culture, les coutumes, les traditions nationales, les législations, etc. Il est alors plus adéquat de parler d'un système national d'innovation (SNI) au lieu d'un système local construit autour de certains réseaux ou de certaines entreprises.

L'approche élargie des SI a des répercussions sur le type de travaux empiriques. L'hypothèse la plus importante indique que les différences structurelles nationales ont un rôle dans la façon d’aborder l'innovation, la compétitivité, la spécialisation du secteur et la croissance. Cela implique, du moins, un raisonnement en deux étapes:

  • la technologie, ou plus généralement, l'accumulation des connaissances ou de compétences, est organisée de façon différente, selon les pays;
  • l’innovation, et plus généralement, le changement technique et l'accumulation de connaissances, sont les principaux facteurs qui influencent la compétitivité des entreprises, des secteurs, des régions et des nations.

La conception que nous partageons (conception large) sera celle que nous développerons plus loin quand nous nous pencherons sur les SNI. L’idée des SI est très récente, c’est après les années 80 que nous assistons à son apparition. Elle s'enracine dans les travaux de Freeman (1987), Lundvall (1992) et Nelson (1993). Plus récemment Edquist (1997) a défini le SI comme "tous les importants facteurs économiques, sociaux, politiques et organisationnels et autres qui influencent le développement, la diffusion et utilisation des innovations". Cela signifie que les SI concernent les facteurs déterminants des innovations, et non seulement ses conséquences (en termes de croissance, emploi, conditions de travail, etc.). Il a caractérisé l’apparition de l'idée des SI en neuf dimensions. De celles-ci, peut-être la plus importante, est celle qui retient que les innovations sont normalement interprétées comme le résultat de l'apprentissage, qui est interactif (entre les organisations). Dans cette approche, en effet, les entreprises sont créées, généralement, par des innovations isolées. Une autre importante caractéristique est celle qui stipule que les institutions sont considérées comme des éléments fondamentaux dans toutes les conceptions du SI (nous verrons cet aspect plus loin).