3.13. Bref aperçu des diverses approches des systèmes

Nous mettons ici en évidence les étapes historiques de construction des différents systèmes d’innovation.

Comme on le sait, les SI possèdent deux dimensions, interdépendantes et qui se développent conjointement : la structure économique du système et l’arrangement institutionnel. Le cadre input/output fait une première approche pour cartographier la structure économique. De cette façon, ils peuvent être usés comme instrument dans l’analyse des SI pour dessiner la base structurale de l’innovation. Pour Lundvall, la matrice d’innovation « peut être vue comme un important pas dans la direction d’une approche intégrée par l’analyse des SI ».

Une autre ancienne approche est celle des « blocs de développement », tels qu’ils ont été définis para Dahmén (1950). Ce sont des séquences de complémentarités qui, à travers des ensembles de tensions structurelles ou des déséquilibres, peuvent amener une situation équilibrée (Dahmén, 1989). L’idée de base sous-jacente est que les nouvelles opportunités, engendrées par l’innovation, peuvent ne pas être matérialisées, c’est-à-dire être converties en activité économique jusqu’à ce que les ressources, capacités et marchés de produit puissent opérer. Chaque innovation crée ainsi une « tension structurelle », qui rend le progrès possible lorsqu’elle est résolue, pouvant produire de nouvelles tensions qui, si elles ne sont pas résolues, pourraient interrompre le processus. Alors que l’analyse input/output est statique, le concept dynamique de Dahmén représente une des premières tentatives d’application d’analyse schumpétérienne. En effet, elle incorpore la notion de déséquilibre et se centre sur le rôle de l’entrepreneur. Le produit du système, en plus de s’agrandir au long du temps, varie aussi de caractère et de contenu.

Beaucoup plus tard, surgit une troisième approche qui est amplement connue comme Systèmes Nationaux d’Innovation (Freeman, 1988 ; Lundvall, 1988, 1992 ; Nelson, 1988,1993 ; et autres). Celle-ci est l’approche que nous analyserons plus dans le prochain chapitre. Le cadre dépasse l’analyse du système input/output pour englober non seulement les industries et les entreprises, mais aussi d’autres acteurs et des organisations liées aux domaines de la science et de la technologie, ainsi qu’à la politique technologique; l’analyse est faite au niveau national. Les activités de R&D, le rôle des universités, des laboratoires de recherche et des agences gouvernementales sont les composantes d’un système national global, de même que leurs relations qui sont à prendre en considération. En raison de la dimension et de la complexité du système, l’insistance sur l’analyse empirique dans les études effectuées est principalement statique, quoique rien n’empêche qu’elle puisse être plus dynamique.

L’autre approche est celle du « diamant » de Porter décrite dans le livre qui a été publié en 1990 (l’Avantage Compétitif des Nations). Les quatre côtés du diamant sont les conditions factorielles (capacités, technologies, etc.), les conditions de recherche et surtout la « recherche compétente » représentée, par exemple, par les clients techniquement sophistiqués, les liaisons avec les industries de support et en rapport, et la stratégie des entreprises, structures et concurrence. Chaque activité économique est vue, fondamentalement, comme une industrie, mais fait partie aussi d’une grappe d’activités et d’agents au lieu de se réaliser de façon isolée. Dans l’espoir d’éclairer ce sujet, Porter souligne fortement le rôle de la concurrence parmi les acteurs dans les industries et supprime les interactions non mercantiles de l’industrie. De cette façon, la définition du système est plus étroite que celle de l’approche des SI. À nouveau, le principal foyer est statique ou dans une analyse de statique comparative.

Une contribution semblable est représentée par les « systèmes sectoriels d’innovation » (Breschi et Malerba, 1997 ; voir aussi Malerba et Orsenigo, 1990, 1993, 1995). La définition de système est inscrite dans l’ « Industrie » ou dans le « Secteur ». Mais au lieu de se centrer sur l’interdépendance au sein des grappes de l’industrie, les systèmes sectoriels d’innovation reposent sur l’idée que les différents secteurs ou industries fonctionnent sous divers régimes technologiques, lesquels sont caractérisés par des combinaisons spécifiques d’opportunité et technologiques, de degré d’accumulation de connaissance technologique et de caractéristiques des connaissances fondamentales de base. Ces régimes peuvent se modifier au long du temps, rendant l’analyse dynamique, ou se centrer sur les relations de concurrence entre les entreprises et considérer expressément le rôle de la sélection d’environnement.

Malerba, dans un travail de 2002, définit les systèmes sectoriels de production et d’innovation comme un ensemble de produits nouveaux et existants pour certains usages et comme un groupe d’agents qui effectuent des interactions de marché et en dehors de lui pour la création, la production et la vente de ces produits. Les agents qui composent le système sectoriel sont les organisations et les agents individuels. Les organisations peuvent être des entreprises (par exemple, les utilisateurs, producteurs et fournisseurs des inputs) ou bien d’autres types d’entités (universités, institutions financières, agences gouvernementales, etc.), et elles englobent des sous unités de grandes organisations (exemple : les départements de production et de R&D) et des groupes d’organisations. À leur tour, les agents sont caractérisés par des processus d’apprentissage spécifiques, des compétences, des besoins, des objectifs, des structures organisationnelles et des comportements. Ils interagissent au moyen de processus de communication, d’échange, de coopération, de concurrence et leurs interactions concernent les institutions.

La notion de système sectoriel de production et d’innovation s’inscrit essentiellement dans la théorie évolutionniste et dans certains aspects de l’approche des systèmes d’innovation. Cela part du concept traditionnel du secteur utilisé dans l’Économie Industrielle. Il souligne aussi bien interactions marchandes que non marchandes, et se centre sur les processus de transformation du système et ne considère pas les frontières sectorielles comme stables.

Une autre définition de système est construite autour du concept de systèmes locaux industriels, tel qu’ils sont représentés dans l’étude d’Anna Lee Saxenian (1994) au sujet de l’industrie électronique dans Silicon Valley en Californie, au long de la route 128 dans le Massachusetts. Ici, la définition du système est fondamentalement géographique. L’accent est mis sur les différences, la culture et la concurrence, qui conduiraient à des différences entre deux régions au niveau de la hiérarchie et de la concentration, de l’expérimentation, de la collaboration et de l’apprentissage collectif, qui, à leur tour, provoqueraient des différences dans la capacité d’adaptation aux circonstances mutables dans les technologies et dans les marchés. Ici, l’analyse est dynamique, mais pas dans le sens formel.

Finalement, nous avons l’analyse sur la notion de systèmes technologiques (Carlsson, 1995, 1997). Ce concept rassemble à ceux des « blocs de développement », étant donné qu’il est désagrégé et dynamique. En effet, il existe plusieurs systèmes technologiques dans chaque pays (ce qui diffère alors du SI) 5 , qui se développent au long du temps, notamment le nombre et type de secteurs, les institutions, les relations entre eux variant dans le temps.

Les limites nationales ne constituent pas non plus nécessairement les frontières du système. En outre, la définition du système ce centre sur des technologies génériques avec des applications globales dans beaucoup d’industries, se détachant, en cela, de toutes les autres approches.

L’approche des «systèmes sociaux d’innovation et de production» (SSIP) est une tentative de dépasser la distinction entre les conceptions de systèmes d’innovation au sens strict et au sens ample. Il s’agit d’une approche d’ensemble de l’économie qui ne se limite pas seulement aux domaines de la science et de la technologie quand il s’agit d’analyser les institutions pertinentes. En examinant les institutions susceptibles d’influencer le développement économique, nous pouvons ébaucher les caractéristiques de ce que l’on peut désigner, par analogie avec la littérature d’inspiration néo-schumpétérienne, un «système social d"innovation» (Amable et al, 1997). Cette manière d’aborder le sujet ne met pas en lumière, dans sa construction théorique, les aires scientifiques et technologiques comme le font les approches élargies des SI mais les institutions importantes liées á la création technologique. Toutefois, cette approche accorde une place spéciale à l’innovation et à la technologie, parce que la compétitivité technologique et, plus généralement, l’insertion dans la division internationale du travail est de bons indices révélateurs de l’ensemble d’interactions entre les structures institutionnelles et les évolutions macroéconomiques. Ils considèrent six sous-systèmes : science, technologie, industrie, système éducatif, relations de travail et système financier, pour analyser la diversité des économies modernes. Au lieu de considérer les fonctions d’un système, l’approche des SSIP examine les inter- liaisons entre les institutions, les formes organisationnelles, les règles qui opèrent à l’intérieur de chaque sous-système. Le concept de référence est ici celui de la complémentarité institutionnelle. Celle-ci signifie que chaque arrangement institutionnel dans un certain domaine renforce son extension ou son fonctionnement au moyen d’autres arrangements institutionnels dans d’autres aires/domaines. Ils cherchent à comprendre de quelle manière certaines configurations à l’intérieur des sous-systèmes se renforcent mutuellement et confèrent une cohérence à l’ensemble en oubliant d’analyser les différences nationales au sein de chaque domaine. De cette façon, ils préfèrent utiliser les termes «systèmes sociaux d"innovation» et «système d"innovation et de production» que «systèmes nationaux d’innovation».

Notes
5.

Carlsson et al (2002, p. 236) envisage le SNI comme un ensemble de systèmes technologiques sectoriels ou régionaux.