4.3. Naissance et diffusion du concept de SNI

Lorsque l'idée des SNI fut discutée pour la première fois, vers le milieu des années 80, personne n'aurait prévu l'ample diffusion qu'on vérifie aujourd'hui. En effet, l'OCDE, la Communauté Européenne (CE) et l'UNCTAD ont adopté le concept comme une partie intégrante de leur perspective analytique. La Banque Mondiale et le FMI ont été plus résistants à ce sujet, mais même là des changements se produisent. L' United States Academy of Science a adopté récemment le concept pour analyser la politique scientifique et technologique aux États-Unis. À son tour, la Suède a attribué au concept un statut légal, nommant une nouvelle institution gouvernementale ("ambetsverk") VINNOVA, qui concerne l'"Autorité pour les Systèmes de l'Innovation".

Lundvall et al (2002) se demandent pourquoi le concept se diffuse aussi rapidement parmi les chercheurs et les décideurs politiques. Une raison peut être que la macroéconomie standard a failli quant à la compréhension des facteurs sous-jacents à la compétitivité et au développement économique. Une autre raison évoquée est que ce concept offre un cadre permettant de comprendre les différences quant aux décision, prises par les institutions politiques et les analystes politiques.

Le concept de systèmes nationaux est controversé dans un contexte caractérisé par la globalisation. Il est important d’observer que la plupart des études empiriques sur la globalisation n’affaiblit pas cette notion de systèmes nationaux d'innovation, et, semblent indiquer que le niveau national continue à avoir son importance pour certaines activités (Archibugi et Michie, 1995; Cantwell, 1995; Patel, 1995).

Bien que le concept du SNI ait une origine récente, il est utile de faire une petite digression sur ses racines historiques. Le point de départ, le plus naturel, est l'analyse d'Adam Smith (1776) au sujet de la division du travail. Cette étude inclut non seulement la création de la connaissance directement liée aux activités productives, mais aussi les services spécialisés des chercheurs. Toutefois, A. Smith ne considérait pas l'innovation et la construction des compétences comme des activités indépendantes et systémiques. La discussion de ces thèmes prend racine dans l’analyse de Friedrich List (1841). Son concept de systèmes nationaux de production et d’apprentissage considère un vaste ensemble d'institutions nationales, y compris celles qui sont engagées dans l'éducation, ainsi que les infrastructures, de transport de personnes et de marchandises (Freeman, 1995a). L'analyse de List s’est centré sur le développement des forces productives au lieu de se fixer sur l'affectation de certaines ressources peu abondantes. List soulignait la nécessité de construire des infrastructures et des institutions. La version moderne des systèmes d'innovation ne s’appuie pas sur l'inspiration directe de List. Ce fut à peine quand le concept a été généralisé que Freeman et d’autres chercheurs adoptèrent List comme l'ancêtre intellectuel. Dans la version d'Aalborg du concept où le rôle du marché national pour les innovations a quelques liaisons avec l'argument de l'industrie naissante de List, toutefois l’inspiration vient de Linder (1961), au lieu de venir directement de List.

Comme on l’a déjà rapporté, la recherche sur les SNI surgit vers le milieu des années 80 7 . Le travail pionnier dans cette matière est dû à Cristopher Freeman, Bengt-Ake Lundvall et Richard Nelson qui abordèrent le thème des processus nationaux de l'innovation sur une forme systémique, avec toutefois des perspectives différentes. C. Freeman (1987) a introduit le concept de SNI pour décrire et interpréter la performance du Japon, le pays qui a le plus de succès quant à ce sujet dans l'après-guerre. Les études dans ce domaine ont été dirigées par deux groupes: le premier, mené par B.A. Lundvall (1992), a fait des recherches sur le contenu analytique de la notion de SNI; pour cela, il a observé les rôles joués par les utilisateurs, le secteur public et les institutions financières. Le deuxième groupe, coordonné par R. Nelson (1993), s'est fondé sur un ensemble d'études de cas nationaux pour décrire les principales caractéristiques des systèmes innovateurs des pays présentant des niveaux de revenu différents.

Selon Balzat (2002), bien que les frontières nationales, aussi bien géographiques que politiques, soient utiles, les processus d'innovation ne peuvent pas être strictement séparés entre les nations. Ceci parce que les activités de R&D sont de plus en plus affectées au niveau international, aussi bien en ce qui concerne le flux de connaissances que la mobilité des personnes et les échanges des biens et services. Les études confirment que les modèles de l'innovation diffèrent considérablement entre les nations. Cependant, ces différences sont moins accentuées entre les nations aillant des niveaux semblables de développement économique et entre celles qui ont des régimes politiques identiques. Les entreprises privées contribuent largement, mais pas exclusivement, à l'accomplissement économique d'un pays, étant donné que la performance innovatrice des organisations privées est fortement déterminé par le cadre institutionnel ainsi que par le degré de l'éducation de la population nationale. Il n'y a pas de doute que le secteur public accomplit un rôle important quant au stock du capital humain d'une économie. Toutefois, l'innovation n'est pas seulement le résultat de dépenses formelles de R&D. Appuyées sur la structure et sur les systèmes de l'innovation qu'ils implantent, les études confirment la vision d’un système d'innovation robuste qui ne peut être facilement transférée dans un autre système. Malgré cela, les travaux sur les SNI partagent l'opinion que les facteurs nationaux jouent un rôle fondamental dans le modelage de la transformation technologique. Parmi ces facteurs, certains sont institutionnels, comme l'éducation, le soutien public de l'innovation, etc. D'autres sont ancrés dans l'histoire comme la culture, la dimension et le langage. Ce qui est fondamental pour définir le SNI, c'est de savoir comment ces différentes parties interagissent.

Notes
7.

Pour aller plus loin sur la problématique des SNI, cf. Lundvall (1998, p. 418).