4.4. Les systèmes nationaux d’innovation dans les pays en voie de développement

Les politiques et programmes du SI qui permettent à un pays de perfectionner sa capacité technologique et innovatrice sont déjà mis en oeuvre dans les pays développés. Mais, récemment, ces façons de faire sont analysées dans les pays en voie de développement. Comme on le sait, il y a déjà quelque temps que nous nous éloignons de la conception linéaire de l’innovation, pour nous déplacer vers la conceptualisation des interactions complexes qui se nouent dans un système d’innovation.

Actuellement, comme beaucoup de chercheurs l’ont observé, le développement économique et industriel qui a du succès est étroitement associé à la capacité d’une nation pour acquérir, absorber et diffuser des technologies modernes. Alors que dans les économies développées le système d’innovation a un rôle de maintien ou d’amélioration du niveau de croissance et de compétitivité existantes, les pays en développement affrontent la tâche de chercher à s’approcher des plus développés (catching-up). Dans ce contexte, il devient important de considérer le rôle des institutions scientifiques dans le contexte de la création et de l’amélioration de la capacité d’absorption d’un pays.

Comme Albuquerque (1999) l’a souligné, « la science n’est pas seulement une simple conséquence du développement industriel et technologique initial. Ce n’est pas une conséquence naturelle de tel processus ; au contraire, un certain niveau de capacité scientifique est une condition préalable pour un tel développement. Quand ce développement est vérifié avec succès, il modifie et perfectionne dynamiquement le rôle de la science et sa relation avec la technologie ». Cette relation entre la science et la technologie peut être vue de deux façons. Premièrement, l’entreprise scientifique sert de « dispositif ou de mise en lumière » signalant les chemins du développement technologique qui sont spécialement adéquats aux pays moins développés. Deuxièmement, l’infrastructure scientifique peut fournir la base de connaissance nécessaire aux industries clefs pour réaliser la croissance.

L’approche du SNI est plus pertinent que certains contextes qui conceptualisent le développement technologique en termes d’inputs (financement de la science) et outputs (publications et brevets). Alors que l’approche input/output offre des pistes statistiques et considère le modèle linéaire de développement technologique (la science conduit à des perfections technologiques, qui, à leur tour, conduisent à des améliorations industrielles), l’approche du SNI souligne les dimensions dynamiques des politiques, des institutions ou agents qui partagent le flux de connaissance à l’intérieur des frontières ou industries nationales. De plus, la perspective des SNI donne un cadre plus réaliste aux processus de développement, parce qu’elle voit les efforts d’innovation comme étroitement inter reliés aux grandes politiques macroéconomiques et éducationnelles. Cette approche systémique est également plus adéquate pour les décideurs politiques, puisqu’elle permet d’identifier les liens forts et les liens faibles à l’intérieur de toute organisation. En général, comme Nelson et Rosenberg (1993) le soutiennent, les études de cas d’approche du SNI suggèrent que les efforts académiques et publiques peuvent aider, mais pas remplacer les efforts des entreprises, que le développement du capital humain au moyen de l’éducation et de la formation est fondamentale pour accélérer la capacité d’absorption, et que les politiques doivent être conçues pour promouvoir la compétitivité internationale.

Quelques uns (Juma et al, 2001) soutiennent que l’on doit envisager le concept du SNI dans les pays en voie de développement (PVD) : « la politique technologique doit être démystifiée. Elle n’a pas seulement besoin d’être une affaire pour les pays développés, ni être envisagée comme une espèce non nécessaire et un gaspillage luxueux pour les pays pauvres ». Dans le contexte des pays en développement, on peut, en particulier, souligner que ce concept est en profonde contradiction avec les théories économiques néoclassiques de la croissance. En effet, Lundvall (1997) soutient que l’innovation démarre avec les processus d’apprentissage interactifs et que ceux-ci n’opèrent pas dans les marchés. Il remarque que cette divergence avec les théories néoclassiques change la mise en lumière de la création innovante et les choix d’apprentissage.

Selon Balzat et Hanusch (2003), il y a trois tendances dans la littérature sur les SNI : les études orientées vers la politique, qui se préoccupent de mettre en avant les conditions d’une ambiance favorable à la création de l’innovation (voyons le cas des « benchmarkings studies ») ; les contributions pour formaliser le concept de SNI à travers des modèles descriptifs (exemple Liu et White, 2001) ou analytiques (exemples, Furman et al, 2002, Porter et Stern 2002, etc. ) ; et les études sur les SNI dans les pays de bas et moyen niveau des développement. Les deux premières tendances seront décrites plus loin ; la dernière est analysée succinctement : cette troisième tendance de recherche se penche sur les SI des pays hors du groupe des nations très industrialisées, englobant les pays en développement, les pays de l’Est, ainsi que les nouveaux pays industrialisés de Asie.

L’idée d’analyser ces pays n’est pas nouvelle. Nelson (1993) avait déjà abordé ce sujet. Cependant, les études, depuis cette époque, sont assez rares. Récemment, on a cherché à remplir cette lacune. Par exemple, en prenant le Brésil et la Corée du Sud comme deux cas représentatifs, Viotti (2002) s’occupe des modèles d’innovation dans les pays moins développés.

La transformation de l’organisation des activités innovatrices dans les anciens pays socialistes dans l’Europe Centrale et Orientale est analysée par Radosevic (1999), alors que le succès innovateur des économies en voie de développement en Amérique Latine et en Asie est examiné par Alcorta et Peres (1998) et par Intarakumnerd et al (2002). Dans ces études, on donne beaucoup d’importance, non seulement au stade de développement et au fonctionnement des SI, mais aussi à l’importance du concept des SNI. Ce dernier thème est envisagé de manière très controverse à la lumière de la structure fragmentée de la plupart des systèmes analysés. Ils ne rejettent pas l’importance du concept des SNI dans l’étude qu’ils font sur les pays Latino-Américains. À son tour, Radosevic soutient que la croissance des pays d’Europe Centrale et Orientale est fondamentalement mise en rapport avec le surgissement des SI, mais, malgré cela, il n’est pas encore possible de parler de systèmes nationaux ou régionaux de l’innovation dans ces pays. Viotti (2002) réfute l’utilité du concept de SNI dans le cas des pays technologiquement en retard, parce que ceux-ci sont très différents des pays industrialisés. Avec cette critique, il présente comme alternative la notion de système d’apprentissage national. Cette distinction est, selon Balzat et Hanusch (2003), très forte. En effet, le concept de SNI n’exclut pas la considération des processus d’apprentissage. Au lieu de cela, les processus d’apprentissage ont toujours été une activité primordiale dans n’importe quel SNI (Lundvall, 1992).