4.5. Les différentes conceptions du SNI – évolution comparative

Les différentes conceptions de SNI ont des implications distinctes dans l’importance des politiques gouvernementales. De plus, ces définitions reposent sur plusieurs théories et signalent aussi des phénomènes empiriques différents. Suivant de près l’analyse de McKelvey (1991), on étudiera les conceptions de quatre auteurs très importants. Tous partagent une même croyance à propos de l’importance de la technologie. Malgré cela, ils divergent à propos de la typologie de celle-ci et aussi à propos de son degré d’importance. Ils diffèrent également en ce qui concerne le facteur déterminant le développement économique.

Selon Porter (1990b), les ressources existantes et la technologie ne sont plus les sources d’avantage comparatif, comme c’était le cas dans la théorie statique de David Ricardo. Par opposition, Porter soutient que le processus est dynamique et que, maintenant, ce sont les grandes entreprises qui créent l’avantage comparatif par le biais de l’innovation qui peut revêtir diverses formes, c’est-à-dire qu’elle peut être technique ou organisationnelle et qu’elle peut être radicale ou progressive. A partir de ces données, on peut conclure que le point charnière qui permet de comparer des entreprises et des pays est le changement technologique, en particulier, la productivité et la croissance. Toujours selon cet auteur, le seul concept de compétitivité, significatif au niveau national, c’est la productivité. De ce fait, le principal objectif d’une nation est alors d’atteindre un style de vie élevé et de plus en plus croissant pour ses concitoyens. La notion de SNI défendue par Porter prétend apporter une réponse à la question suivante: « Pourquoi les entreprises de certains pays sont-elles plus capables de produire des innovations consistantes que celles d’autres pays? » Dans une perspective plus large, le problème de Porter consiste à déterminer les raisons des différences internationales qui caractérisent le succès de certaines industries. Il évoque alors quatre facteurs qui interviennent dans ce domaine:

Donc, pour Porter, la notion de SNI est liée aux caractéristiques du contexte national dans lequel se développe l’activité des entreprises. En conclusion, le SNI désigne le cadre de développement de la stratégie des entreprises. Il existe plusieurs critiques faites à la notion de SNI de Porter. La définition implicite de technologie, défendue par cet auteur, est similaire à la conception traditionnelle de technologie selon laquelle celle-ci est vue comme des objets matériels et des plans. Bien que Porter fonde l’innovation sur le perfectionnement du concept de concurrence dynamique de Schumpeter, celle-ci est, selon lui, directement liée au coût et à la demande. Ce sont là les instruments analytiques-clés de l’analyse portérienne. Un autre problème posé par l’analyse de cet auteur consiste en l’excessive importance donnée aux marchés nationaux et aux respectives entreprises. Une autre critique adressée à Porter concerne le modèle de développement inégal du capitalisme. En résumé, le modèle explicatif de Porter est une tentative pour s’écarter des présupposés restrictifs de la théorie traditionnelle. En effet, sa théorie n’adopte plus les fonctions de production et la technologie comme des données, tout en défendant que les entreprises ne font que répondre aux prix des facteurs et à la demande. Au lieu de cela, Porter insiste sur le fait que les entreprises et les gouvernements doivent avoir la possibilité et le besoin de jouer un rôle actif en ce qui concerne la caractérisation de la situation générale de la concurrence.

La théorie de Freeman et Perez (1988) repose sur la transformation technologique et leur classification de la technologie est ici un point de départ logique : innovations de croissance - ce sont les petits changements issus des utilisateurs ou du procédé productif- qui représentent, en même temps, une importante source de croissance au niveau de la productivité ; innovations radicales – elles concernent la nouveauté et le développement discontinu. Il s’agit habituellement d’un tremplin pour de nouveaux investissements et de nouveaux marchés ; changements dans le système technologique – en associant l’innovation technique de croissance et radicale à l’innovation organisationnelle et de gestion ; modifications concernant le paradigme technico-économique – il s’agit des modifications au niveau du méta paradigme touchant tous les secteurs de l’économie et pouvant conduire à de nouveaux produits et de nouvelles industries.

Tout comme pour Porter, la définition implicite de technologie, avancée par Freeman et Perez repose sur des objets matériels et sur l’information, même si les caractéristiques mentionnées ci-dessous incluent aussi des facteurs sociaux et organisationnels. En effet, la problématique essentielle est liée aux évolutions institutionnelles associées aux longues périodes. Les “ensembles” d’innovation et les modifications de paradigme sociotechnique mettent en oeuvre des technologies radicalement nouvelles qui redéfinissent les conditions d’efficacité économique, ainsi que les frontières des industries et des secteurs. Pour cela, ces technologies exigent une adaptation institutionnelle. De cette façon, ils définissent le SNI comme «un réseau d’institutions, qu’elles appartiennent au secteur public ou au secteur privé, dont les activités et interactions créent, stimulent, modifient et diffusent de nouvelles technologies». Un concept plus opérationnel est donné par Freeman pour caractériser le SNI japonais. Il comporte quatre caractéristiques:

D’autres facteurs d’ordre socio industriel, pouvant diverger selon les pays, sont aussi invoqués par Freeman. Ils impliquent le contexte économique, consensuelle ou conflictuelle, l’organisation du marché et du système de production et le rôle du gouvernement. Il s’agit d’institutions clefs et de formes d’organisation de la société. Ce sont des facteurs-clés, qui affectent la situation de la nation vis-à-vis de sa prédisposition à bénéficier ou non de nouvelles technologies. Quant à une analyse critique de cette perspective, nous pouvons dire que la théorie de Freeman ne se centre pas sur le capitalisme comme système, pas même sur les propres nations. Au lieu de cela, il prend comme point de départ analytique la transformation technologique radicale envisagée comme force vitale pour contrôler les modifications dans les nations. Cela impliquerait une sorte de déterminisme technologique, où la technologie est envisagée comme un processus associé, comme le moteur du progrès économique. Dans l’analyse de Freeman, les mécanismes existants, au sein des nations, concernant la production et la diffusion des innovations semblent liés aux actions individuelles. Autre point faible de l’analyse de Freeman: le fait de souligner systématiquement les coûts, supposément donnés et indubitables et les conditions d’offre, lorsqu’il fait la description des motifs de l’innovation.

Tout comme nous avons pu le constater dans l’analyse de Porter, décrite auparavant, Freeman et Perez se centrent sur les transformations de la structure de coûts des facteurs comme mécanisme fondamental explicatif des profonds changements dans la production. Le principal problème avec cet argument, c’est qu’ils considèrent les coûts comme un instrument d’évaluation, même s’il est dépendant de la technologie. En effet, les coûts et les prix ne sont pas donnés et ils ne sont pas non plus des instruments objectifs de mesure. En revanche, les conditions de demande et de distribution reposent partiellement sur les valeurs culturelles, les relations et les conventions sociales. La théorie de Freeman et Perez a un contexte économique limité en ce qui concerne le changement technologique, étant donné qu’elle ne tient pas suffisamment compte des différents acteurs qui peuvent appliquer des modes de calcul très diversifiés et des divers moyens pour évaluer et interpréter les coûts. Ils ignorent que les acteurs/agents ne considèrent pas seulement les coûts fournis, mais aussi les coûts escomptés et que les prévisions ont une qualité indéterminée. Ils tend à oublier l’objectif de chaque acteur/agent et le processus culturel et social de formation des coûts.

En résumé, cette analyse n’est pas dépourvue d’imprécisions en ce qui concerne les modalités qui influencent les variables institutionnelles, elles-mêmes peu hiérarchisées, le progrès technique et l’évolution des systèmes socio-économiques. De plus, la théorie est chargée d’un certain déterminisme technologique, comme nous l’avons déjà affirmé, et se penche plus sur les besoins structurels que sur les marges d’action autonome, les projets des acteurs/agents et les formes du processus d’innovation.

A l’image de ce qui se passe avec les théories de Porter et de Freeman, ici aussi, à propos du SNI, Lundvall insiste sur la nature dynamique de l’activité économique. En suivant Schumpeter, Lundvall envisage le processus économique comme étant à la fois créatif et destructeur. A l’opposé de Porter qui ne cherche qu’à savoir comment les entreprises d’une certaine industrie peuvent innover avec succès, Lundvall propose, à un niveau d’abstraction supérieur, de comparer les véritables différences nationales relatives à la capacité innovatrice et à la performance économique. Tout comme Nelson (1993), Lundvall prend en considération la transformation technologique comme étant un processus complexe, dynamique, cumulatif et incertain. Dans sa théorie, les interactions entre l’utilisateur et le producteur sont extrêmement importantes pour l’innovation. Par le biais de la relation réciproque, l’acheteur peut communiquer des besoins potentiels (demand-pull) et le producteur peut signaler des opportunités techniques (technology-pull). De telles relations permettent ainsi aux acteurs/agents d’apprendre et, par conséquent, d’innover.

Lundvall s’intéresse à l’importance d’aspects comme :

Contrairement aux idées néoclassiques à partir desquelles on considère les objets et les préférences des entreprises constants et l’information donnée, les contacts entre les entreprises, selon Lundvall, conditionnent leurs actions futures. Par conséquent, la clé pour comprendre les activités innovatrices renvoie aux actions et à l’organisation des entreprises et aux relations entre elles – “l’apprentissage interactif est au coeur du processus d’innovation». Malgré cela, Lundvall s’intéresse aussi “aux déterminants structurels de l’activité innovatrice” (Freeman et Lundvall, 1988).

Chaque pays est envisagé comme ayant son propre système d’innovation, fondé sur les institutions existantes, sur ces ressources propres, sur le développement industriel et sur les secteurs leaders. Dans la comparaison faite par Edquist et Lundvall (1993) entre les SNI suédois et danois, ils soutiennent que “les limites précises d’un tel système doivent être déterminées par une combinaison d’analyse théorique et historique”. Ce qui veut dire que cette théorie identifie deux composants essentiels et universaux des SNI, les institutions et la structure industrielle, mais elle ne signale pas un critère bien clair pour identifier les plus importants. Ici, les “institutions” se rapportent aussi bien aux règles formalisées, aux organisations qu’aux règles non formalisées ou normes. Les institutions sont jugées essentielles pour la régulation des activités économiques, y compris l’innovation. Les institutions les plus significatives en ce qui concerne le SNI englobent la régulation du marché de travail, le système monétaire, les règles pour la résolution de problèmes, l’expérience historique commune d’industrialisation, et ainsi de suite. Le système formalisé de recherche de la connaissance ou activité de R&D est une institution particulièrement importante. Le fondement institutionnel de telles activités de recherche implique que chaque pays a ses caractéristiques spécifiques et ses modèles de comportements.

En ce qui concerne la structure économique, Lundvall se laisse influencer par la tradition structuraliste française. Les liens en amont et en aval qui permettent aussi bien le learning-by-doing que le learning-by-using sont bien ancrés dans les relations micro-économiques entre entreprises. Cependant, la structure industrielle globale ne peut se borner à ces relations individuelles; toutefois, comme le soulignent Edquist et Lundvall, il existe dans la structure productive des secteurs-clés, ou “blocs de développement”. Ainsi que Porter (1990b) l’avait déjà mentionné, le raisonnement à retenir est celui qui démontre que les industries aillant le plus de succès sur les marchés internationaux sont aussi une source essentielle d’innovation dans l’économie nationale.

Comme nous l’avons déjà dit, la perspective micro-économique des interactions développées entre producteurs et utilisateurs est maintenant complétée par une perspective macro-économique qui est liée aux déterminants structurels, c’est-à-dire, “les blocs de développement”. Il y a quelques lacunes dans l’analyse de Lundvall. Par exemple, il n’existe pas de critère explicite pour expliquer comment les blocs de développement ou les institutions fondamentales apparaissent dans les pays. Bien qu’il s’agisse d’une des contributions les plus rigoureuses à propos du SNI, elle n’explique que très peu l’importance respective et les fonctions des institutions formelles et informelles et leurs règles d’évolution.

Nelson et Winter (1982) ont développé l’idée de processus évolutifs au sein des économies capitalistes. Selon ces auteurs, les routines dans les entreprises agissent comme des “gènes” relativement durables. La concurrence économique mène à certaines routines avec “succès” et celles-ci peuvent être transférées vers d’autres entreprises. Il s’agit d’une théorie évolutive Lamarckienne. Plus tard, Nelson (1987) veut identifier “les caractéristiques essentielles du changement technique dans les économies capitalistes”. Les trois éléments fondamentaux de sa théorie de changement technique sont: un mécanisme qui “introduit des nouveautés dans le système”, pouvant se traduire en des conséquences imprévisibles; une compréhension des processus sous-jacents à la sélection de technologies pourra nous permettre d’expliquer le choix de telle solution technique plutôt qu’une autre ; les conséquences de phénomènes contingents.

La constante existence d’options de développement réalisables implique que le système n’atteint jamais un état d’équilibre. Le processus reste dynamique mais il n’atteint jamais un taux optimum. Nelson soutient que la plus grande partie de la technologie se déplace, éventuellement, de la propriété privée pour devenir un bien public. De ce fait, c’est la société, en général, qui va en profiter. Cependant, la prospérité en soi ne garantit pas que la technologie soit disponible pour tous. La définition de technologie adoptée par Nelson implique que celle-ci se trouve incorporée dans les relations sociales de l’entreprise (Nelson 1981). La connaissance implicite, la compétence de travail et de gestion et d’autres connaissances fondées sur les personnes sont alors des attributs fondamentaux pour le changement technologique, notamment, pour les changements spécifiques au sein des entreprises.

En analysant le SNI des États-Unis, Nelson (1988) finit par identifier “trois caractéristiques évidentes du SNI dans les économies capitalistes” : la privatisation d’un grand nombre de technologie nouvelle qui aboutit à la sélection du marché et au profit de la création de technologie; la nature évolutive du changement technique, en particulier ses différentes sources et le processus de gaspillage qui, inévitablement, en découle; la fonction des forces de marché, en rapport avec l’objectif de sélection.

Nelson dit que ces caractéristiques sont bien présentes dans les économies capitalistes, contrairement à ce qui se passe dans les économies de planification centrale. En plus des entreprises et d’autres parties de la structure industrielle, Nelson souligne aussi le rôle des laboratoires de recherche et des universités. Cependant, dans son travail sur le SNI des États-Unis, Nelson (1988) se concentre sur le secteur de R&D. Plus tard, il a évolué en envisageant le système d’innovation d’une façon plus vaste que le système traditionnel de R&D. Les éléments de ce système d’innovation intègrent, désormais, le caractère et l’efficacité du système d’éducation et de formation de la nation, les relations de travail, les caractéristiques des institutions financières et la forme d’organisation et de contrôle des entreprises. Ces institutions sont essentielles, aussi bien pour produire que pour divulguer la connaissance.

Comme nous avons pu le constater, Nelson insiste sur l’importance du contexte pluraliste de l’innovation. Cependant, la nature, l’extension et la rigidité de la concurrence technologique continuent d’êtres peu claires. Nelson et Winter (1988) suggèrent que des mécanismes fondamentaux pour la sélection de technologie peuvent être les achats gouvernementaux et le marché. Néanmoins, d’autres recherches dans le domaine des sciences sociales insistent sur d’autres mécanismes de sélection, comme la lutte entre groupes afin de définir ou interpréter la technologie. Le procédé de sélection est, par conséquent, plus multidimensionnel que celui présenté dans le travail de Nelson. Ainsi, bien que les définitions de technologie de ces quatre auteurs diffèrent les unes des autres, tous soulignent systématiquement le rôle dynamique de l’innovation dans l’économie.

Le tableau qui suit (Tableau 4.1.), élaboré à partir de McKelvey (1991), fait une synthèse des différentes conceptions de la technologie et du changement technologique:

Tableau 4.1 Conceptions de technologie et de changement technologique
 
Conceptions
de
Technologie

L’utilisation
efficace
dépend de
Critère de
sélection
de la technologie
pertinente

Nature du
changement
technologique

PORTER

Information
type
«blueprint»

Compétence de
l’entrepreneur
ou du manager
Demande
du marché
et coûts
(données)

Créé/amené
simplement
par les acteurs/agents

FREEMAN
Classement
Taxonomique,
qui inclut la
science et les
institutions

Adaptation
Socio-
-institutionnelle

Demande
et coûts
(données)

Cycles longs

LUNDVALL
Interactive,
à base de
connaissance et
incorporée
dans des
routines
Poussée
technologique et
traction par le
marché, structure
du système de
R&D

Coûts de marché
donnés et succès
sur les marchés
mondiaux

Accumulation
incrémentale et
cycles longs

NELSON

De différents
types de la
science aux
connaissances
tacites et aux
routines

Adoption par les
routines viables
et compétences

Structure des
coûts, routines
et culture

Sélection
évolutionniste
(concurrence)
et mutation
(search)

Source : M. McKelvey ,(1991), p. 135.

In fine, on peut se demander: qu’est-ce que le SNI? Pour les quatre auteurs, le SNI apporte quelque chose de plus que les aspects quantifiables des systèmes nationaux de R&D. Le système de R&D, qu’il soit financé par les entreprises ou par le gouvernement, est un élément important de la capacité des nations à innover et divulguer de la technologie; cependant, il ne décrit ni explique toutes les différences qui existent entre elles.

Les différentes conceptions de SNI sont résumées dans le Tableau 4.2:

Tableau 4.2 Quelques approches concurrentes des systèmes nationaux d’innovation

PORTER
Impossibilité d’analyser les différences générales entre nations,
mais seulement les industries qui réussissent dans un pays.
Le système national renvoie à l’environnement qui soutient l’activité
d’innovation dans les entreprises, la concurrence sur le marché domestique,
la structure industrielle, etc.
Objet empirique : comparaison des industries.

FREEMAN
Une technologie radicalement nouvelle promeut l’innovation sociale
et institutionnelle à une échelle nationale.
Autrement, l’innovation serait incrémentale et simplement technologique.
Objet empirique : comparaison des nations,
quant à leurs capacités à mettre au point et diffuser des institutions sociales.

LUNDVALL
Le système national renvoie à l’économie nationale,
mais l’accent est mis sur l’importance des relations et interactions au sein
des blocs de développement.
Le système national d’innovation est formé par les institutions pertinentes
et les structures industrielles.
Objet empirique : le développement historique des institutions
et des structures de production dans différents pays.

NELSON
Le système national renvoie à l’économie macroéconomique
Les différences de structures industrielles (telles que les besoins de
l’industrie en science et technologie, le caractère public ou privé de la
technologies) et les différences dans l’organisation des institutions
(spécialement du système de R&D )
expliquent en quoi les systèmes nationaux d’innovation diffèrent.
Objet empirique : les différences institutionnelles entre les pays.

Source: M. McKelvey ,(1991), p. 136

A leur tour, Niosi et al (1993), pour définir un SNI, commencent par faire des recherches sur les blocs qui le constituent. Ils prennent chez Nelson (1982) l’énumération de ses éléments et posent, ensuite, les questions suivantes:

Pourquoi le concept de SNI implique-t-il que les éléments systémiques des économies nationales soient plus importants que les éléments au sein de la nation? Quels sont les éléments technologiques systémiques dans les économies nationales? Nous pouvons dégager ces indications : premièrement, il y a les facteurs déterminants du marché et des ressources naturelles (consommateurs identiques, revenus et préférences et une base similaire de ressources) ; deuxièmement, fondé sur le travail de Von Hippel (1987), Lundvall (1988) a souligné le fait que la relation utilisateur / producteur et d’autres types de collaborations informelles dans l’économie sont bien plus fréquentes que les interactions internationales ; troisièmement, les interdépendances fondées sur la technique ont tendance à survenir dans les économies nationales, tout au moins pendant une première période de diffusion.

Enfin, il existe des facteurs déterminants et des liens politiques, tels que les politiques de la science et de la technologie sont, en fin de compte, typiquement nationales.

L’État joue très souvent un rôle de leadership, aussi bien au niveau de la direction (militaire versus civil) qu’au niveau du rythme d’innovation technologique. Dans le SNI, les liens entre les unités sont divers: flux financiers, la première place étant occupée par le financement public de l’innovation, mais on y trouve aussi le financement privé et l’investissement en capital, liens légaux et politiques, avec les règles de propriété intellectuelle, les normes techniques et de la politique technologique d’achats appliqués aux entreprises nationales et encore un certain degré de coordination de l’État entre les unités; flux technologiques, scientifiques et de formation dirigés vers le marché national, et les collaborations et interactions scientifiques et techniques; flux sociaux, avec des innovations organisationnelles se diffusant d’entreprises en entreprises ; flux de personnes, principalement des universités vers l’industrie, mais également d’entreprise en entreprise. Les auteurs construisent la définition suivante:

‘“Le SNI est un système d’interaction d’entreprises publiques et privées (grandes et petites), d’universités et d’agences gouvernementales pour parvenir à la production de connaissance scientifique et technologiques à l’intérieur des frontières nationales. L’interaction entre ces unités peut être technique, commerciale, légale, sociale et financière, en ayant comme objectif le développement, la protection, le financement ou la régulation d’une nouvelle science et technologie ”.’

Les auteurs soulignent encore qu’il existe certaines difficultés concernant le concept de SNI, notamment: quel est le degré nécessaire de cohérence et d’interaction entre unités pour qu’il y ait un SNI? Les collaborations et les transferts internationaux de technologie, tout comme l’investissement direct étranger sont de plus en plus importants. Ils ne mettent pas en cause toutefois la notion de SNI.

Niosi, J. et Bellon Bertrand (1994) parlent du concept de SNI inséré dans le contexte de la globalisation croissante des activités scientifiques et technologiques. Ils adoptent la définition de synthèse de Niosi et al (1993), mais ils affirment que tous les SNI, jusqu’à un certain degré, sont ouverts, et que les liens entre les systèmes nationaux et la dynamique de leur interdépendance constituent des éléments fondamentaux, pour que l’on comprenne leurs caractéristiques nationales. Selon ces auteurs, certaines conclusions s’imposent dès lors.

La première est d’ordre théorique. Les réseaux internationaux se développent à partir des SNI. Les systèmes d’innovation sont de plus en plus complexes et inter reliés avec des niveaux d’activités innovatrices intégrées aussi bien au niveau régional, national qu’international. Cependant, même si l’internationalisation augmente, elle n’élimine pas pour autant les réseaux locaux et nationaux; toutefois, celle-ci modifie son fonctionnement et, ceci bien que certaines activités, qui auparavant étaient régionales et nationales, soient maintenant transférées vers des réseaux internationaux. Ensuite, il faut souligner qu’aujourd’hui les SNI sont liés par le biais des politiques domestiques des États nationaux. Néanmoins, si ces systèmes internationaux continuent à se développer, les États nationaux deviendront de plus en plus incapables de jouer leur rôle, ce qui renferme une grande implication politique. En effet, les politiques nationales de la science et de la technologie encourageront la coordination internationale dans le domaine de la science et technologie, ou alors, disparaîtront simultanément, en ne laissant aux forces du marché que le rôle de coordination de la production d’innovations. C’est alors que les États supranationaux, tels que la Communauté Européenne, par exemple, seront capables de garantir la stabilité des systèmes internationaux de science et technologie. Il faudra alors des politiques internationales pour régler et soutenir les activités innovatrices internationales. Les auteurs concluent sur une note méthodologique en disant que les indicateurs statistiques ont besoin d’être perfectionnés, aussi bien au niveau des stocks que des flux, des balances de commerce technologique, des parts de marché et des comparaisons nationales, régionales et internationales. Toujours selon ces auteurs, actuellement, la plus grande partie des statistiques sont nationales et, par conséquent, sont incapables de suivre et de capter la complexité du processus d’innovation tel qu’il est couramment structuré.

Pour sa part, N. M. Wijnberg (1994) redéfinit le concept de SNI en affirmant qu’il s’agit de politiques qui touchent le développement industriel au lieu de le faire en fonction d’acteurs ou de réseaux. Afin de définir le SNI et de façon à permettre des comparaisons et la formation d’un cadre d’hypothèses évolutives qui puissent conduire simultanément à des recommandations politiques, l’auteur prend comme point de départ le modèle de Structure/Gestion et Performance, modèle amplement utilisé en Économie Industrielle. Celui-ci fait la distinction entre des caractéristiques structurelles d’une industrie donnée, notamment le niveau de concentration ou le poids des barrières à l’entrée, et les caractéristiques de gestion de l’entreprise au sein de l’industrie, en particulier le comportement des investisseurs en R&D. Bien que ce modèle soit populaire et qu’il continue à être une référence pour les études empiriques, d’autres auteurs, surtout ceux qui préfèrent les modèles évolutifs, utilisent des modèles de cycle de vie schumpetériens pour décrire les régularités fondamentales du développement industriel.

A cet égard, deux contributions peuvent être spécifiées. La première s’intéresse au développement de la structure industrielle au fil du temps, alors que la deuxième accentue plus le développement technologique. Selon la première contribution, le concept de cycle de vie du produit se confond avec les idées schumpetériennes à propos de l’innovation et de la capacité de l’entreprise. La deuxième contribution est très proche de la première mais, comme nous l’avons déjà dit, elle souligne l’importance de la technologie et de sa gestion. Ces deux contributions peuvent être retrouvées dans les travaux de M. Gort et S. Klepper sur les modèles de cycle de vie des innovations, ainsi que dans le travail mené par B. H. Klein (1991). Cependant, une différence essentielle peut être établie entre les caractéristiques de l’industrie, telles que leur taux de concentration, le poids des barrières à l’entrée, le type prépondérant d’innovation et le choix stratégique des entreprises par rapport à leur comportement face au risque. Les autorités publiques peuvent changer chacun de ces aspects. Elles peuvent utiliser la politique de concurrence ou la politique industrielle pour modifier ou prévenir des changements au niveau des caractéristiques industrielles. Elles peuvent utiliser les lois sur la propriété intellectuelle, des programmes pour subventionner des genres particuliers d’innovation et organisation institutionnelle qui puissent faciliter les contacts entre la recherche de base et l’industrie. Nous avons donc là des exemples de la façon dont les gouvernements peuvent influencer le type prépondérant d’innovation. Quant à la tendance à assumer le risque, celle-ci peut aussi être modifiée à travers un système de pénalités et d’encouragements, notamment via les lois sur des brevets qui apportent des bénéfices principalement aux innovateurs audacieux, ou encore la réduction d’impôts en ce qui concerne les pertes subies par le chef d’entreprise ayant adopté un comportement à risque. Tous ces aspects sont indirectement affectés par les politiques publiques quant à la sélection de l’environnement. Les gouvernements «refaçonnent» la sélection de l’environnement de par les achats publics ou la subvention de certains biens.

La différence la plus banale parmi les théories du commerce international et du développement industriel se rapporte à la distinction entre les pays qui réservent leurs marchés domestiques pour leurs propres industries et ceux qui les encouragent à pénétrer les marchés extérieurs. La substitution des importations est normalement associée à des tarifs élevés sur les importations et sur les subventions accordées aux entreprises. Quant à la stratégie de promotion des exportations, normalement, celle-ci bénéficie d’un traitement préférentiel, qui se traduit par des subventions et par de meilleurs taux d’échange, entre autres. La première stratégie peut mener à un environnement protectionniste; la deuxième peut mener à un environnement très compétitif parmi les industries nationales. Donc, le SNI “consiste en un ensemble de politiques qui influencent les caractéristiques structurelles, le type prépondérant d’innovation dans certaines industries, le degré d’aversion pour le risque des entreprises de ces mêmes industries et la sélection de l’environnement au sein duquel ces industries vont se développer.” (N. M. Wijnberg, 1994)