4.11. Convergence, divergence et systèmes nationaux d’innovation

Ces dernières années, on a pu constater une augmentation des multinationales et de la collaboration internationale entre les entreprises. De cette façon, selon ces auteurs, (Niosi et al ,1993) si cette tendance persiste, elle peut limiter l'utilité du concept de SNI et le rendre dépourvu de sens. En d’autres termes plus généraux, cela aboutira à une convergence des pratiques sur le plan mondial. De toute façon, la convergence et la divergence ont toujours été présentes au sein du système mondial, et c’est à partir de cette tension que les systèmes d’innovation sont nés. Les tendances pour la convergence ont été, par exemple, la chute de la proportion de travailleurs employés dans le secteur de l’agriculture survenue avec l’industrialisation, celle-ci ayant été accompagnée par une augmentation des revenus per capita. Cependant, tout récemment, les dépenses de R&Den pourcentage du PNB ont augmenté (tout au moins jusqu’au début des années 80) au fur et à mesure que le revenu per capita des pays augmentait. De la même façon, la proportion des dépenses en R&D au sein de la balance des paiements technologiques a augmenté avec le revenu per capita.

Malgré ces tendances convergentes, banales en ce qui concerne la majeure partie des pays, un certain nombre de caractéristiques sont spécifiques à chaque pays, comme par exemple, le fait que certains soient forts en technologie et dans le commerce. Cette spécificité ne peut pas être expliquée par l’attribution de facteurs, mais il est raisonnable de penser qu’elle est causée par la configuration institutionnelle spécifique du pays, et le caractère particulier de connaissances que ces institutions possèdent. Pour les auteurs, le concept de SNI continuera à avoir un sens si, en même temps que les tendances convergentes (par exemple la globalisation internationale), on continuera à vérifier des tendances divergentes qui continuent à maintenir l’hétérogénéité et les asymétries locales et nationales. Ainsi, il est souhaitable de rappeler que les SNI ont commencé par être très différents en ce qui concerne leurs structures institutionnelles, et qu’ils interprètent de façon différente les mêmes tendances croissantes qui sont observées à l’échelle mondiale. Par conséquent, bien que les tendances convergentes puissent continuer, on peut toujours s’attendre à ce que les disparités entre les différents SNI subsistent par rapport aux tendances actuelles d’internationalisation.

Dans un autre travail, Niosi et Bellon (1994), en partant de la définition de Niosi et al (1993), s’intéressent à l’ouverture des SNI mais aussi à leur degré d’interaction. Ainsi, ces deux éléments – interaction et ouverture – indiquent un certain degré de convergence entre les SNI. Par le biais de l’adoption de routines extérieures et de technologie étrangère, les SNI convergent partiellement de façon asymptotique.

Pour ces auteurs, la convergence sociale et scientifique renvoie aux dimensions spécifiques du processus de rattrapage, à travers lequel les nouvelles nations industrialisées se rapprochent des plus évoluées. Cependant, l’ouverture est accompagnée d’un accroissement au niveau de la coopération internationale et de la concurrence entre les entreprises des différents gouvernements nationaux, ce qui a pour conséquence d’accélérer le changement technologique et d’augmenter le risque d’exclusion des flux internationaux de technologie des pays qui ne participeront pas au processus. En outre, elle facilite une croissance en ce qui concerne la spécialisation. Alors, nous pouvons argumenter que le degré d’ouverture des économies détermine l’imitation scientifique et technologique, ainsi que la convergence susceptible de survenir dans les systèmes les plus ouverts, et, en même temps, le processus de divergence et d’exclusion dans les systèmes les plus fermés. Comme le soulignent les auteurs, la convergence ne signifie pas uniformité et elle coexiste avec une relative diversité et avec l’exclusion.

Il y a de plus en plus d’auteurs qui affirment que la connaissance technologique et scientifique a tendance à devenir globale. Ceci implique que, par le biais des laboratoires de R&D des multinationales, la technologie est facilement produite et divulguée, indifférente aux frontières nationales. De la sorte, les SNI deviendraient moins importants. Toutefois, la technologie peut être créée et divulguée par d’autres mécanismes, en plus de ceux qui sont inclus dans la théorie de la globalisation. C’est le cas, par exemple, des alliances techniques internationales qui créent une technologie nouvelle et perfectionnée à travers des projets de recherche conçus et exécutés au-delà des frontières nationales. Le transfert international de technologie, parmi les pays développés, a augmenté (depuis les années 70, du XXe siècle), ce qui se traduit par une plus grande convergence. De plus, le commerce international de biens et services de haute technologie a augmenté de façon marquée. Quant à la connaissance scientifique de base, celle-ci a fortement augmenté ces dernières décennies à cause du déplacement de scientifiques et d’étudiants de pays en pays. Pareillement, la recherche scientifique est produite de forme globale et divulguée à la même échelle. De ce fait, les théories de la globalisation assument quelques unes des hypothèses : tendance vers des biens et des services plus homogènes; déplacement massif de l’industrie; dérèglement total de la production ; marchés à capitaux parfaits; acquisition de toute la technologie par les corporations multinationales.

Si ces arguments se confirment, les SNI tendront à disparaître ou bien leurs frontières seront de plus en plus discréditées au fur et à mesure que les fluxes des unités innovatrices internationales deviendront plus importants que ceux des unités nationales.

Lundvall (2000) a abordé cette question. Il se demande: est-ce qu’il est utile d’étudier les SNI dans un monde où l’autonomie des États/Nation est en train d’être minée par les processus de globalisation?

Il discute trois dimensions au sujet de la façon dont les systèmes nationaux peuvent converger ou diverger. La première se rapporte au PNB per capita, la deuxième avec le degré de spécialisation et la troisième avec l’arrangement institutionnel. Spécialement en ce qui concerne la troisième dimension, l’auteur travaille avec la définition ample de SNI. Une des principales raisons des différences des SNI, réside, dans son esprit, dans les personnes et la compétence constructive. La façon dont les personnes sont formées, détermine comment elles vont agir dans le développement de nouvelles idées, et la dynamique spécifique nationale des marchés de travail déterminera le mode de diffusion et d’utilisation de la connaissance par les entreprises, localisées dans une nation donnée. Aujourd’hui, on peut affirmer que, contrairement à la part scientifique des SNI qui est devenue croissante, «globalisée», les systèmes d’éducation et les marchés de travail restent plus fermés et spécifiques à la nation. Il existe diverses préoccupations politiques associées à la convergence et à la divergence des SNI :

Un aspect politique spécial résultant de la diversité institutionnelle, est l’idée qu’il existe un unique chemin avec une «bonne pratique» de faire certaines choses (organisations des transports, éduquer les personnes, régulariser les industries, ). Cette idée est en contradiction avec la notion de système, elle tend à nier le fait que le contexte systémique ait un effet important sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas.

On doit souligner que la plupart des modèles de croissance des nations, à l’exception de ceux inspirés par Schumpeter, fonctionnent avec des données agrégées au niveau national et laissent peu d’espace pour l’impact de la dispersion et de la diversité. Généralement, ces modèles renvoient à une économie fermée, et comme telle, ils négligent l’importance pour la croissance économique des relations avec le reste du monde. Donc, les modèles de catching-up (rapprochement) de croissance économique ont été plus conduits par l’observation empirique que par des inspirations théoriques. Dans cette analyse de rapprochement (catching-up), on retient que les différences de productivité et de déséquilibre sont des facteurs de croissance économique. Les différences de productivité à l’intérieur des secteurs et entre ceux-ci peuvent être envisagées comme des sources potentielles pour la croissance économique. Le développement capitaliste a créé, de par sa nature (à travers l’innovation) et alimente (au moyen de l’imitation) ces différences. C’est en se basant sur cette perspective de déséquilibre que Schumpeter soutient que le capitalisme ne peut exister sans innovation (Lundvall, 1997). Alors que la diversité est traitée comme une chose peu commode dans les modèles néoclassiques, elle est vue comme un élément clef quand on prétend expliquer de nouvelles combinaisons et l’innovation dans la tradition économique évolutionniste. Dans cette perspective, les frontières nationales peuvent être envisagées comme une catégorie spéciale de barrières à convergence. Ces barrières peuvent être vues selon deux perspectives différentes. Pour le courant économique principal, le point central se base sur le fait que les fluxs de marchandises, capital, travail et connaissance circulent mieux à l’intérieur qu’à travers les frontières nationales. L’autre perspective considère que ces barrières reflètent les interdépendances systémiques entre les variables et que les interactions à l’intérieur du système peuvent stimuler la capacité d’innover (Lundvall, 2000).

Le rapprochement, qui semble se produire seulement pour un certain nombre de pays et dans une période donnée, indique qu’il n’existe pas une cause simple et automatique dans les processus de croissance. La capacité d’absorption (Abramovitz, 1994) sociale a été utilisée comme terme de rapprochement global de la capacité nationale pour observer de nouvelles technologies et de meilleures techniques de gestion pratiques. Ce concept englobe la qualité des ressources humaines envisagées comme un facteur clef, mais aussi y compris d’autres facteurs, comme le degré d’ouverture au reste du monde et des infrastructures, comme les institutions et règles qui appuient le changement et la construction de compétences.

Pour Abramovitz (1994), il existe plusieurs raisons possibles pour qu’un pays avec une basse productivité puisse atteindre un pays avec une productivité élevée. Les raisons sont celles-ci:

Abramovitz classifie ces restrictions en deux types de groupes «limitations de convergence technologique» et «capacité sociale». La première est mise en rapport avec le fait que la technologie n’a pas un impact homogène sur des contextes différents. La deuxième se préoccupe de la définition de capacité sociale, telle qu’elle a été formulée par Ohkawa et Rosovsk (1973). Celle-ci comprend les caractéristiques générales des systèmes nationaux, tels que le niveau de l’éducation, le capital social, l’infrastructure financière et les institutions économiques et politiques qui rendent possible la croissance économique.

Un autre facteur déterminant du rapprochement (catch-up) est la nature externe (flux d’entrée de capitaux provenant des autres pays). C’est par exemple le cas de l’Irlande dont les taux de croissance relativement élevés seraient difficilement concevables sans l’investissement dans les industries de haute technologie de capital externe, principalement les États-Unis.

Les dépenses nationales en R&D de l’Irlande se situent en bas de la moyenne communautaire, mais sont en train de croître rapidement ; à leur tour, les fluxs d’entrée d’investissement direct ont été plus élevés que la moyenne communautaire. Ainsi, la façon dont les systèmes nationaux interagissent avec le reste du monde, devient de plus en plus importante. Les croissantes «externalités» (spillovers) sont globales au lieu de nationales, ce qui fait que la capacité d’absorption nationale est plus importante, surtout pour les pays en retard. Cette discussion nous conduit à des considérations sur les sources de rapprochement (catching-up). Dowrick (1994) suggère que les effets d’externalités sont des sources importantes de croissance pour les pays de moyen et élevée production, mais ne le sont pas pour les pays de basse production. Cela est dû à l’absence d’infrastructures de «convergence technologique» et «capacité sociale» dans ces derniers pays pour faire un usage d’effectif de ce qui devrait être un bien public. D’autres sujets peuvent devenir obsolètes dans la littérature économique. C’est le cas par exemple des explications au sujet du «change d’inégalité» et de l’«impérialisme». Les «externalités» sont généralement vues comme quelque chose de mauvais dans les «nouvelles théories de la croissance», étant donné qu’elles peuvent baisser le montant de R&D exécuté par les entreprises en raison de quelques connaissances que celles-ci obtiennent pour être atteintes librement, réduisant de manière significative les stimulations pour que celles-ci investissent. Dans ces théories, la R&D augmente la connaissance et, ainsi de suite, l’innovation technologique, laquelle à son tour stimule la croissance. Cependant, il existe un manque d’attention relativement à d’autres facteurs, comme les institutions, les facteurs organisationnels, les conditions locales, etc., qui peuvent être aussi des facteurs importants pour la croissance. Les nouvelles théories de croissance confient trop dans la nature endogène du changement technologique pour l’élimination d’importantes «externalités».

Le travail sur ces paradigmes technico-économiques et les vagues longues de Freeman et Perez est aussi intéressant, parce qu’il montre que le type de capacité d’absorption sociale peut être différent dans des périodes historiques distinctes, reflétant en cela les caractéristiques du paradigme technico-économique prédominant (Perez, 1998). Par exemple, Freeman soutient que la diffusion du nouveau paradigme technico-économique est vulgairement caractérisée par la divergence au lieu de la convergence, aussi bien en termes d’élargissement de la dissemblance du rendement que de l’élargissement des hiatus de rendement entre les systèmes nationaux (Freeman, 2000).

Des travaux récents de l’OCDE sur la nouvelle économie soulignent également des tendances de croissance divergente entre ces pays, comme le modèle dominant dans les années 90 (OCDE, 2000b; OCDE 2000c). La période de rapprochement de 1950 à 1970 semble avoir été un processus unique, aussi bien en termes locaux (à l’intérieur de l’OCDE), qu’historiquement.

Le travail de Fagerberg et al (1994) ajoute une dimension intéressante à l’analyse de rapprochement. Cela indique qu’en moyenne, dans la dernière décennie, il y a eu une convergence entre les nations européennes ; pour les régions européennes, l’histoire est différente. Ici la connaissance de base des régions est importante pour expliquer pourquoi les différences de rendement restent constantes ou s’amplifient (Cappelen, Fagerberg et Vespagen, 1999).