5.3. Éducation et croissance

On suivra ici le travail de Temple (2000) relatif aux effets de l’éducation et du capital social sur la croissance dans les pays de l’OCDE. On n’aborde pas toutefois la formation professionnelle. Celle-ci, de par sa nature, varie assez d’un pays à l’autre et, dans le cas du secteur industriel, elle est étroitement liée aux stratégies de production. Les comparaisons internationales sont pour cela plus difficiles. Quand on pense à l’éducation, aussi bien les économistes théoriques qu’empiriques ont généralement adopté une vision chez stricte des bénéfices de celle-ci. Cette vision est intégrée dans un contexte plus élargi, ce qui est important pour formuler des options de politique globale.

Comme on le sait, l’éducation contribue fortement aux performances des individus comme au développement global des sociétés. Quand on pense en termes politiques, on doit avoir dans l’esprit que l’éducation a des bénéfices significatifs sur le bien-être qui ne sont pas mis en évidence par les modèles et par les données. Ces profits peuvent inclure des effets sur la santé publique, l’environnement et la participation politique de la communauté (voir OECD, 1998; Behrman et Stacey 1997 et Wolfe et Haverman 2000).

Même les bénéfices de l’éducation qui sont directement appropriés par les individus (bénéfices privés) ne sont pas toujours bien saisis par la théorie économique et par l’analyse empirique. Il est probable que l’éducation ait autant un bénéfice immédiat dans la consommation qu’un effet à long terme dans la satisfaction avec la vie, tout le reste étant constant (ceteris paribus). Le problème réside ici dans le fait d’avoir beaucoup plus de difficultés à mesurer le bien être (concept subjectif) d’une manière significative, que la production de biens et services.

Dans un travail innovateur, Blanchflower et Oswald (2000) ont estimé des coefficients avec des «équations de bien-être» qu’ils ont mis en rapport avec les caractéristiques des individus. Ils ont découvert que la connaissance éducationnelle est associée à un plus grand bien-être, même quand on contrôle les rendements de la famille. De telles découvertes ont des implications significatives pour la politique éducative. Par exemple, il est possible qu’un élargissement de l’éducation d’un individu ait un effet sur le bien-être des autres. Dans ce cas, les individus tendent à sous investir dans l’éducation du point de vue de la société. D’un autre côté, l’éducation peut affecter le « bien-être » parce qu’elle influence les perceptions du statut d’un individu par rapport aux autres. Dans ce cas, les résultats peuvent sous estimer l’effet de bien-être d’une expansion de l’éducation. Étant donné que l’on sait peu de choses sur ces effets, on suivra la littérature spécialisée qui analyse les conséquences de l’éducation sur la productivité. Un point de départ naturel est celui du bénéfice direct, c’est-à-dire la différence que l’éducation d’un travailleur crée en termes de productivité. Considérant quelques présupposés, examinés plus loin, on peut estimer l’influence de l’éducation sur la productivité en utilisant des différentiels de salaire entre travailleurs, lesquels varient selon les niveaux éducationnels. Quand on compare avec d’autres mesures, le produit par heure travaillée est habituellement le meilleur guide pour le bien être. D’autre part, le bénéfice d’un surcroît de productivité horaire peut inciter les individus à travailler moins d’heures.

Il est difficile de capter les externalités dues á l’éducation en utilisant des données micro. Toutefois on a fait des progrès significatifs, et cela sera vu plus loin. Les externalités sont également une motivation importante pour visualiser la relation entre l’éducation et la croissance, au niveau des pays. On fera une analyse synthétique des travaux théoriques au sujet des relations entre l’éducation et la croissance. (Pour une synthèse plus détaillée et rigoureuse, voir l’étude de Aghion et Howitt, 1998). On prétend maintenant savoir si les modèles classiques fortifient l’idée que l’éducation dégage, généralement, un rôle fondamental dans la croissance. On se pose, à ce sujet, certaines questions: peut-on conférer à l’éducation un fondement théorique solide du point de vue économique? Dans quelle mesure les hypothèses nécessaires sont-elles plausibles? Est-ce que les modèles permettent de capter les effets de l’éducation ?

Une des contributions les plus proéminentes et influentes fût le travail de Lucas (1988), qui s’appuie sur les travaux plus anciens de Uzawa (1965). Dans ces modèles, le niveau de production dépend du stock de capital humain. À long terme, une croissance soutenue est possible si le capital humain peut croître sans limites. Ceci complique l’interprétation de la conception de capital humain de Uzawa – Lucas en termes de variables qui sont généralement utilisées pour mesurer les connaissances éducationnelles, comme les années de scolarité. Pour ces auteurs, la notion de «capital humain» semble être plus intimement liée aux connaissances qu’aux habilités (savoir-faire) acquises au moyen de l’éducation. Une manière de mettre en rapport le modèle de Uzawa-Lucas avec les données est de suggérer que la qualité de l’éducation peut s’accumuler au long du temps (Bils et Klenow, (2000). Ainsi, les connaissances transmises aux enfants d’aujourd’hui sont supérieures à celles qui existaient en 1950 ou 1900, ce qui approfondira les contours de la productivité pour chacune de ces générations. De cette façon, même si les connaissances éducationnelles sont constantes au long des années, le stock de capital humain pourra augmenter de manière à induire les niveaux croissants de production. Cette argumentation conduit encore à des difficultés au niveau de l’éducation universitaire. Certains secteurs peuvent exister dans lesquels les connaissances acquises ont aujourd’hui un plus grand effet sur la productivité qu’avant (médecine, informatique et peut-être l’économie), mais dans d’autres où les diplômes sont moins professionnalisés, cet argument est moins convaincant. Dans le cas de l’enseignement primaire et secondaire, où les savoirs de base sont mis en avant, il devient encore plus difficile de soutenir l’idée qu’une amélioration dans la qualité des études crée une croissance durable. Finalement, ces modèles n’indiquent pas, en général, comment on peut perfectionner la qualité des études. Les individus peuvent augmenter le stock de capital humain, ou de connaissances, en affectant certain de leur temps à cette activité.

Une classe alternative de modèles souligne plus les stimulations dont les entreprises disposent pour créer de nouvelles idées. Les modèles de croissance endogène, soutenues par l’étude de la R&D, conduisent au résultat que, le taux de croissance dépend, en partie, du niveau de capital humain. Le présupposé est que le capital humain est un facteur clef dans la production de nouvelles idées.

Par contraste avec le modèle de Uzawa-Lucas, celui de Romer (1990) montre qu’il est possible qu’un surcroît ponctuel du stock de capital provoque une accélération indéfinie du taux de croissance. Effectivement, dans beaucoup de modèles de croissance endogène, le capital humain doit dépasser un certain seuil pour que l’innovation survienne.

Dans la plupart des modèles de croissance avec R&D, le stock de capital humain est considéré comme étant a priori exogène. Des travaux plus récents, comme ceux d’Acemoglu (1997) et Redding (1996), relâchent ce présupposé et analysent ce qui arrive quand les personnes peuvent choisir et investir dans leur éducation ou dans la formation pendant que les entreprises investissent en R&D. Pour certaines valeurs des paramètres, il est possible de rencontrer des équilibres multiples, étant donné que les motivations des travailleurs pour investir dans le capital humain, et celles des entreprises pour investir en R&D, sont interdépendantes. Ces modèles suggèrent qu’à un niveau acquis, des augmentations d’investissements en éducation ou en formation peuvent induire une augmentation dans les dépenses de R&D et vice-versa.

Un autre aspect intéressant des modèles de croissance récentes consiste à suggérer que les individus peuvent sous investir dans leur formation. Rustichini et Schmitz (1991) analysent cet argument en détails. Ils présentent un modèle dans lequel les individus répartissent leur temps entre la production, la recherche originale et l’acquisition des connaissances. Chaque individu sait que, s’il acquiert des connaissances à travers les études, il peut augmenter sa productivité dans les recherches suivantes, mais étant donné qu’il n’a pas la perception claire des avantages de la recherche, il tend à lui dédier peu de temps, par rapport au résultat socialement bon. Rustichini et Schmitz calibrent un modèle simple, et découvrent que, bien que l’intervention politique ait un effet peu décisif sur le temps dédié aux études, elle peut avoir un effet appréciable sur les taux de croissance.

Récemment, Romer (2000) a observé que les modèles de croissance tirée par la R&D, pourraient éclairer les responsables de la politique de l’éducation. Il a remarqué que, dans les modèles référés antérieurement, la croissance est déterminée par la quantité de moyens dédiés à R&D et pas seulement par les personnes qui leur sont affectées. Dans un modèle plus général et plus réaliste, l’augmentation des dépenses en R&D se traduira, d’une certaine façon, par la totalité des moyens consacrés à la recherche, et ainsi de suite, en fonction de la croissance.

En guise de synthèse on reprendra l’analyse de Temple (2000). Ces modèles sont significatifs pour plusieurs raisons:

  1. Le capital humain est une ressource importante pour la création de nouvelles idées et ceci justifie la thèse selon laquelle l’éducation est une déterminante essentielle des taux de croissance, même à long terme.
  2. Parfois, ces modèles admettent le résultat suivant : les conséquences du «laissez faire» conduisent à une croissance plus réduite de ce qui est socialement bon.
  3. Ces modèles suggèrent que les responsables politiques ont des options diverses pour augmenter le niveau de production: non seulement des subventions pour la R&D qui sont difficiles de mettre en pratique, mais aussi des subventions pour certains types d’éducation. Globalement, ces modèles suggèrent que la politique éducative est une des premières à considérer, quand on prétend saisir les facteurs déterminants de la croissance.