5.3.3. La comptabilité de la croissance

Comme nous l’avons vu, les ouvrages des économistes de travail fournissent assez d’enseignements au sujet des rendements des individus dans le domaine de l’ éducation. Toutefois, ces études ne fournissent pas d’information sur les autres facteurs de la croissance globale. La comptabilité de la croissance partage fondamentalement les surplus de productivité en deux composantes, l’une qui peut être expliqué par l’augmentation des moyens mis en pratique et l’autre, le «résidu», qui capte les mutations d’efficacité, reflétant partiellement les changements dans la technologie. Pour expliquer l’évolution de la production, le changement dans la quantité de chaque input est pondéré par son produit marginal qui est représenté par sa rémunération dans le marché. Ainsi, pour analyser la contribution de l’évolution du niveau de formation, le chercheur sépare la main d’œuvre des niveaux de scolarité et fréquemment d’autres caractéristiques disponibles, comme l’âge et le sexe. Les modifications du nombre d’employés à chaque niveau de scolarité sont alors pondérées par leurs produits marginaux et évalués par le rendement moyen associé à chaque niveau d’études, ce qui fournit l’évolution globale en forme d’indice de main d’œuvre «efficace» ou ajustée en fonction de la qualité. Cette méthode permet, en dernière analyse, de quantifier la proportion de la croissance de production qui peut être directement attribuée au surcroît de connaissances éducationnelles.

Griliches (1997) a fait une synthèse de la littérature spécialisée et a mis en évidence deux principaux présupposés. Premièrement, on assume que les différences de rémunération observées dans le marché correspondent raisonnablement aux différences de produit marginal. Deuxièmement, on admet dans les calculs que les différences dans les rendements de marché en accord avec le niveau de scolarité, sont imputables aux études et non à d’autres facteurs, telles que les capacités innées ou l’environnement familiale qui peuvent être mises en corrélation avec les études.

Les exercices de comptabilité de la croissance varient amplement quant à la variété avec laquelle ils séparent les facteurs liés à la main d’œuvre. Les études dans lesquelles on a procédé à une séparation détaillée par niveau de scolarité se limitent presque toutes au cas des Etats-Unis. Un exemple important à ce niveau est l’étude de Gollop et Fraumeni (1987). Ils constatent que, pour la période de 1948-79, le facteur main d’œuvre contribue à peu près 1/3 à l’augmentation de la valeur globale, que mesure de ce facteur considère aussi bien les heures travaillées que la qualification de la main d’œuvre. Les changements dans l’indice global de qualité de la main d’œuvre sont basées sur une évolution de la composition du nombre total d’heures travaillées par âge, sexe, niveau d’instruction, catégorie professionnelle et profession. Ces auteurs observent également qu’une modification favorable dans la qualité de main d’oeuvre est responsable, pour à peu près 1/10, de l’augmentation de la valeur ajoutée, ou pour à peu près 1/5 du résidu de productivité qui subsiste après la comptabilisation de la contribution à la croissance du capital physique.

Le niveau d’analyse de la population active a connu aussi des changements importants dans les autres pays de l’UE au cours des derniers cinquante ans. Englander et Gurney (1994) observent que l’enseignement supérieur en particulier s’est développé rapidement dans de nombreux pays, membres depuis 1960. D’autres travaux ont besoin de confirmer ces tendences (OCDE, 1998; et OCDE 2000a, 2000b). Les études plus connues et qui saisissent l’évolution de la situation dans les dernières années dans un certain nombre de pays, sont celles de Maddison (1987, 1991). Celui-ci soutient qu’au XXe siècle, le niveau de formation a eu des améliorations régulières dans six pays qu’il a analysés (États-Unis, France, Japon, Pays-Bas, République Fédérale d’Allemagne et Royaume-Uni). Une implication sous-tend qu’il est peu probable que les changements de tendance dans les connaissances éducationnelles fournissent une explication satisfaisante pour la transition de l’Europe d’une situation de croissance rapide pendant l’«âge d’or» (1950-73) vers une décroissance de la productivité après 1973. Parmi les études les plus récentes, figure celle de Jorgenson et Yip (1999) qui ont procédé il y a peu de temps à un exercice de comptabilité de croissance détaillée pour les pays du G-7, et ont présenté des estimations d’amélioration de la qualité de main-d’œuvre pour 1960-95. La séparation de ces auteurs est plus fine que celle adoptée par Maddison, et il est alors plus difficile de mesurer le rôle de l’éducation dans l’évolution d’indice global de la qualité de la main-d’œuvre. On peut alors se demander, dans quelle mesure, les différences de niveaux de formation expliquent la variation du PIB par habitant, dans les divers pays membres de OCDE. Les recherches empiriques autour de ces théories de ce type commencent à apparaître. Woessman (2000) analyse cette stratégie en détail. En partant de l’hypothèse que le rendement privé des études capte un effet véritable d’éducation sur la productivité, l’analyse de cet auteur conduit malgré tout à penser que les niveaux de formation représentent un élément fondamental de la variation de production dans les pays membres de l’OCDE.