5.3.4. Démonstration à partir des analyses économétriques de la croissance

Le but principal des analyses économétriques de la croissance est de fournir une méthode pour tester directement les effets de l’éducation sur la productivité. Par exemple, Arrow (1973) a observé que l’utilisation de données macroéconomiques serait une manière de tester les arguments de la théorie du signal, bien qu’il ait révélé un certain scepticisme sur la fiabilité de ce type d’approche empirique. Les travaux actuels permettent de mieux comprendre à quel moment et dans quelles domaines ce pessimisme se justifie. Ici, on passe en revue les problèmes les plus importants relatifs à la mesure des effets de la croissance de l’éducation au niveau macroéconomique.

Divers ouvrages très connus dans ce domaine adoptent des positions très diverses sur l’importance de l’éducation. Une des contributions les plus connues et influentes dans la littérature empirique sur la croissance est celle de Mankiw, Romer et Weil (1992) ou MRW. Les estimations pour un pays de l’OCDE, peuvent être utilisés pour montrer l’importance potentielle de l’éducation. Prises à la lettre, ces estimations impliquent que si l’investissement en capital humain (en % du PIB) augmente d’un dixième, la production par travailleur augment de 6%; si l’investissement en capital humain double, le produit par travailleur pourra augmenter de près de 50%.

Comme l’a souligné Temple (1999a), des résultats de ce type semblent assez suspects, dans la mesure où toutes les analyses économétriques de la croissance ont en commun un nombre déterminé de problèmes statistiques importants. Dans le contexte présent, un des inconvénients de la plupart des études de régression est que ceux-ci se concentrent sur un grand échantillon qui inclut les pays moins développés, ainsi que les pays de l’OCDE. Ainsi, on doit faire attention quand on retire des conclusions pour la politique de l’OCDE basée sur des échantillons qui sont généralement constitués par des pays en développement.

Les chercheurs ont généralement utilisé des deux spécifications principales dans la modélisation de la croissance et de l’éducation. Dans la première, qui est aussi la plus générale, le chercheur calcule une relation de croissance à partir de variables de contrôle et du niveau initial d’une mesure d’éducation, comme le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire ou (de préférence) le nombre moyen d’années de scolarité. L’idée sous-jacente est que le stock de capital humain peut influencer la croissance dans une variété de modes, notamment en affectant la capacité du pays à adapter la technologie provenant de l’extérieur. Dans la seconde formulation, on utilise l’évolution du niveau de scolarité atteint, et non son niveau absolu pour expliquer l’accroissement dans la population.

Nous retrouvons typiquement un effet de la scolarité qui est grande et estimé de forme précise, du moins quand le produit initial par travailleur est aussi inclus comme variable explicative (Barro, 1991). Il n’est pas encore toute à fait clair que ces résultats soient applicables aux pays de l’OCDE.

Dans un travail intéressant, Englander et Gurney (1994) estiment des équations de croissance, mais avec une limitation de l’échantillon aux pays de l’OCDE. Dans les quatre séries de régressions, trois comprennent des variables représentatives du capital humain, en règle général, les taux de scolarité restreints à l’école primaire et au secondaire. Ces variables dénotent un «ajustement» relativement bon, mais sont encore loin d’être fiables.

Une autre étude intéressante qui présente des résultats pour un échantillon de pays de l’OCDE est celle de Germmell (1996). Cette étude souligne les problèmes d’utilisation des taux de scolarisation et établit d’autres indicateurs alternatifs de capital humain basés sur les résultats obtenus dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Pour un échantillon de 21 pays de l’OCDE, il constate une corrélation entre le nombre de personnes ayant un diplôme de l’enseignement supérieur et la croissance subséquente. Il obtient aussi des preuves que l’investissement humain, dans les pays de l’OCDE, est positivement lié au pourcentage de la population active avec un enseignement secondaire.

Un des inconvénients de la plupart des études internationales est l’existence de différences significatives dans la nature et la qualité des études dans divers pays, ce qui peut compromettre l’utilité des comparaisons internationales. Même les paramètres, tels que la durée d’une année scolaire, peuvent varier de manière surprenante d’un pays à l’autre. Un ensemble de données alternatives qui permettraient de dépasser ces problèmes, dans une certaine mesure, ont été introduits par Hanushek et Kimbo (2000). Ils proposent de mesurer la connaissance éducationnelle, en utilisant les résultats des tests internationaux d’évaluation de compétences cognitives en mathématiques et en sciences. Les résultats montrent que l’éducation a un effet significatif sur la croissance, même si l’échantillon qu’ils utilisent inclut des pays moins développés. Les possibilités d’application aux pays de l’OCDE ne sont donc pas encore tout à fait claires.

L’approche théorique de la littérature macroéconomique consacrée à l’éducation et à la croissance a suscité un certain nombre de critiques, émises notamment par des économistes du travail. Un argument utilisé par Topel (1999) est celui que l’effet mesuré du niveau initial de capital humain est trop important pour être crédible. Une dernière critique concerne le présupposé que les fonctions de rendement traditionnelles captent globalement les rendements sociaux de l’éducation, qui peuvent devenir trop étroits à la vision des bénéfices potentiels de la croissance.

Commençant par Pritchett (1996), les chercheurs observent les implications des fonctions classiques de rendement de travail pour les analyses internationales. Si la formation d’un individu contribue directement à sa productivité, telle qu’elle est postulée par les économistes du travail, alors nous devrions espérer observer une corrélation entre l’évolution de la production par travailleur et le niveau moyen des études atteintes. En plus, il devrait être possible de détecter cet effet, bien que le niveau initial de formation puisse déterminer ou non la croissance.

Cet argument a déplacé le centre de la recherche pour les régressions qui mettent en rapport la croissance avec l’évolution de degré d’études atteint, au lieu de son niveau absolu. Diverses études bien connues ont estimé que cette corrélation était, de façon surprenante, faible. Cela a été le cas de Benhabib et Spiegel (1994) et Pritchett (1996) qui sont arrivés à cette conclusion pour un grand échantillon de pays. Benhabib et Spiegel trouvent des corrélations statistiquement significatives entre le niveau de formation et la croissance pour le meilleur 1/3 d’échantillon, mais ne trouvent pas de liaison entre ces deux variables pour un échantillon plus grand. Une des raisons est peut-être l’effet de valeurs aberrantes, comme on peut le voir chez Temple (1999b, 2000). Krueger et Lindahl (1999) soutiennent que les erreurs de mesure suscitent un autre problème important. La difficulté réside dans le fait que la spécification basée sur la fonction de production (comme c’est le cas chez Benhabib et Spiegel) cherche, en général, à expliquer la croissance au moyen de l’évolution du niveau de formation, mais un test des différences premières applicables à la variable éducation amplifiera les effets de chaque erreur de mesure des données. Pour soutenir cet argument, Krueger et Lindahl analysent la corrélation existante entre deux indicateurs différents de l’évolution du nombre d’années d’études, qui ont été utilisés dans la littérature sur ce thème. La corrélation est assez faible pour suggérer que l’évolution moyenne du niveau de formation n’apporte pas n’importe quelle information. En conséquence, les régressions quant à l’évolution de l’éducation pour expliquer la croissance, auront tendance à sous évaluer son importance.

La raison pour envisager l’erreur de mesure comme une indication importante de tous ces exercices a été assez renforcée par les travaux détaillés de Fuente et Domenech (2000). Leur travail concerne seulement les pays de l’OCDE. S’inspirant de sources nationales et de valeurs plus récentes réunies par l’OCDE, Fuente et Domenech établissent un ensemble de données nouvelles et plus fiables pour le nombre d’années d’études dans les pays de l’OCDE. Dans leurs travaux empiriques, ils observent une corrélation positive entre l’évolution de la production et le niveau d’études, d’après des estimatives et des tableaux avec des effets constants par pays et dans le temps. Cela corrobore l’idée que l’absence d’effets observés dans les recherches antérieures est due à des erreurs de mesure.

Plus récemment, Bassanini et Scarpeta (2001) ont rendu plus opérationnelle la base de données établie par De la Fuente et Domenech et ont fait des estimations de l’effet éducation pour la période 1971-1998 pour 21 pays membres de l’OCDE, utilisant à cet effet l’estimateur de moyenne. Basé sur cet estimateur, l’estimation obtenue fournit une «élasticité» de 0.6 pour la production per capita observée due à une variation du nombre d’années d’études. Pour une durée moyenne d’études d’à peu près 10 ans, qui constitue la moyenne de l’échantillon, une année d’études additionnelle ferait monter la production per capita de 6%.

Engelbrecht (1997) obtient aussi des effets importants de l’éducation sur la croissance dans les pays membres de l’OCDE. Son modèle empirique tient compte des effets des dépenses de R&D et est évalué à partir des statistiques sur l’enseignement de Barro et Lee (1993) pour la population âgée de 25 ans ou plus. Les résultats incitent à penser que la croissance de la productivité est associée au nombre moyen d’années d’études.

Dans un ensemble différent d’estimations, Engelbrecht confirme l’idée que le niveau de formation produit un certain rôle dans le rattrapage technologique; il constate que la productivité croît plus rapidement dans les pays où le niveau moyen d’études est beaucoup plus élevé.

Globalement, ces études indiquent qu’il existe une corrélation entre l’évolution de l’éducation et la croissance, corrélation du même type que la plupart des économistes du travail espéraient observer. Cette constatation est rassurante, mais laisse en suspense un certain nombre de questions.

L’une d’entre elles concerne l’interprétation des résultats passés qui relie la croissance au niveau des connaissances initiales, au lieu du changement dans les connaissances. Il n’existe pas d’études de la croissance relative aux pays de l’OCDE dans lesquelles ces deux hypothèses pourraient agir ensemble. Cette omission est peut-être inévitable, étant donné la petite dimension de l’échantillon, mais elle ne doit pas nous amener à sous estimer ce que le capital humain peut produire du rattrapage technologique ou contribuer à la création d’idées nouvelles ; dans un cas comme dans un autre, on peut vérifier une relation entre le niveau d’éducation et la croissance.

L’effet du niveau d’éducation initial continue à avoir de l’intérêt pour une autre raison. L’étude des relations entre le changement dans la production et le changement dans l’éducation continue à être quelque peu incertaine, étant donné que la relation de cause à effet va de la production (ou de la production anticipée) à l’éducation, et non le contraire. Dans une large mesure, le niveau moyen d’éducation à long terme est créé par l’action des pouvoirs publics. Il semble donc plausible, qu’au fur et à mesure que la production et les recettes fiscales grandissent, les gouvernements affectent les ressources pour l’éducation, de manière à ce que le niveau de connaissances grandisse.

Les estimations macroéconomiques, ont un autre avantage, celui d’analyser les effets indirects de l’éducation, surtout ceux qui s’expriment par des investissements. Ces effets surgissent dans le modèle adopté par Mankiw, Romer et Weil (1992) et peuvent avoir une plus grande importance. Les méthodes de croissance endogènes bi sectorielles, comme celles qui ont été examinés par Barro et Sala-I-Martin (1995), présentent, en général, une situation stable dans laquelle la relation capital humain/capital physique est en équilibre. Une conséquence immédiate de ceci est que la montée du niveau d’éducation aura, éventuellement, une augmentation correspondante dans le stock du capital physique.

En ce moment, il est important de savoir que les analyses économétriques et de comptabilité de croissance, en utilisant l’investissement en capital comme une des variables déterminantes, peuvent sous estimer l’incidence totale d’une montée du niveau d’éducation sur la production par travailleur. L’amplitude probable de cet effet et de ses répercutions sur le bien-être continuent à être incertaine.