5.6. L’économie de la connaissance

5.6.1. Généralités

L’idée que la production et la distribution de connaissance ont des caractéristiques spéciales, non compatibles avec les schémas théoriques prédominants dans l’économie traditionnelle, n’est pas nouvelle. En effet, divers auteurs avaient déjà attiré l’attention sur cela ; parmi eux il y a Arrow (1962), qui a démontré les limites de l’économie standard et des institutions qui la soutiennent. L’idée n’est pas originale, dans la mesure où la connaissance a un rôle important dans l’économie, comme l’ont souligné A. Smith et F. List . L’idée schumpétérienne d’innovation s’est par ailleurs en effet amplement diffusée au début des années soixante.

Quelle est alors la raison pour qu’actuellement on en revienne à ce thème et on lui attribue autant d’importance ?

Il y a diverses raisons, aussi bien théoriques qu’historiques et politiques. Nous en évoquons quelques-unes. Comme l’a suggéré Dosi (1996), les principes fondamentaux d’analyse économique ne sont pas facilement applicables à la création et à la distribution de connaissances.

D’un autre côté, on a enregistré dans les dernières années des changements essentiels dans le mode de production et de diffusion de la connaissance. Ceci est attesté par la nouvelle dynamique existante entre la formation de la connaissance tacite en rapport avec la connaissance codifiée, par l’accroissement de l’importance relative de la connaissance et encore par une accélération du processus d’apprentissage. Tout cela affecte l’économie globale et demande une nouvelle redéfinition des institutions existantes dans notre société. Par ailleurs, les thèmes politiques importants de la période, comme la globalisation de l’économie, le sous développement des pays pauvres, la polarisation croissante dans les pays riches et la défense de l’environnement, ne peuvent pas être banalisés et compris sans une remise en question de l’économie où l’aspect principal est mis dans la connaissance et dans l’apprentissage.

L’économie de la connaissance est passible de deux interprétations. D’un côté, on peut affirmer que les compétences et les qualités humaines sont au cœur du développement de n’importe quelle société et, comme tel, l’accent doit être mis sur l’apprentissage et sur la connaissance dans n’importe quelle formation socio-économique. L’autre perspective réfère une nouvelle ère historique – l’économie basée sur la connaissance, l’économie d’apprentissage ou la société d’information – où l’économie se trouve plus fortement et directement enracinée dans la production, dans la distribution et l’usage de la connaissance, que dans une autre période de temps antérieure. Les deux perspectives sont importantes. L’économie de la connaissance, à son tour, peut être aussi vue de deux façons, d’ailleurs non exclusives. Elles peuvent être trouvées de manière plus ou moins «pures» dans la littérature sur les systèmes d’innovation et dans la société d’information. Ces deux visions se reflètent, également, dans l’importance relative de la connaissance dans l’économie et encore dans des modèles théoriques, tels que les modèles de croissance économique. D’un autre côté, nous pouvons considérer un secteur à part chargé de la production de la nouvelle connaissance ou de la conservation et de la distribution d’information. Ce secteur peut englober le système éducatif, les universités, les instituts de recherche et les politiques gouvernementales de la science et de la technologie, ainsi que les fonctions de R&D dans les entreprises. Un autre prisme d’analyse est celui qui envisage la création et la diffusion de la connaissance comme étant incrustées et émanant de la routine de la vie économique et assumant des manières d’apprendre - en faisant (learning–by–doing), apprendre – en utilisant (learning–by–using), et apprendre – interagissant (learning–by–interacting). Dans cette perspective, l’organisation globale de la société et de l’entreprise devient importante. Aucun des théoriciens de cette matière ne souscrit entièrement une de ces optiques, quoiqu’on peut affirmer que l’analyse de Nelson et Rosenberg (1993), au sujet du système national d’innovation (SNI), se situe plus près de la première contribution et que l’étude de Freeman et Lundvall (1992) est plus proche de la seconde formulation (OCDE, 1996).