7.1. Un survol des travaux passés

Bien qu’il existe des preuves de l’effet du capital humain sur la croissance économique,(voir les chapitres antérieurs) les études spécifiques au sujet d’un pays sont rares. Pour l’économie portugaise, on a les travaux de Pina et St. Aubyn (2002), Dias (1992) et Teixeira (1997), qui estiment la contribution du capital humain à la croissance économique. Teixeira (1997) et Pina et St.Aubyn (2002) concluent qu’il existe une relation statistiquement significative de long terme entre l’output et le capital humain : le capital humain apparaît comme une variable importante pour expliquer la croissance économique au Portugal. Nunes, Marta et Valério (1989) soulignent que le problème réel sous-jacent au faible développement du Portugal, par rapport à d’autres économies européennes, pendant la période de 1833 à 1995, est associé à la faiblesse de l’éducation de base et technique, ainsi qui à l’absence d’initiative des entreprises. Ces facteurs suggèrent alors que l’inefficacité du système éducatif, ( manque d’ingénieurs et gestionnaires capables ), a contribué au retard du Portugal pour cette période. Teixeira, (1997, 1998) a fait la première tentative, à notre connaissance, pour estimer des séries temporelles de capital humain pour le Portugal. Utilisant une méthodologie semblable à celle de Barro et Lee (1993), l’auteur a estimé un temps moyen de scolarité pour la population portugaise, pendant la période de 1960 à 1992. Teixeira effectue des appréciations basées sur des spécifications logarithmiques et linéaires de l’évolution de l’ensemble du progrès technologique (mesuré par la productivité totale des facteurs), du stock de capital humain (mesuré par les années moyennes de scolarité de la population adulte) et de la capacité d’innovation ou du stock de connaissances (mesuré par la dépense cumulée de R&D). Elle conclut, qu’il existe une relation structurale de long terme entre la productivité, les années moyennes de scolarité (de la population adulte) et la capacité d’innovation. Sans tenir compte des différences possibles dans la qualité de l’éducation, au long des trois décennies considérées et des autres formes d’acquisition de capital humain (par exemple la formation professionnelle, l’apprentissage par l’expérience, etc.), ils montrent qu’au Portugal, entre 1960 – 1991, le stock de capital humain, peut expliquer entre 40 à 79% de la croissance de productivité du pays, ce qui est significatif. Pina et St.Aubyn (2002) ont effectué une tentative pour apprécier l’influence du capital humain et du capital public sur la croissance, comme cela a été fait également par Dias (1992). Ces auteurs suivent la méthodologie de la fonction de production, ont déterminé des « élasticités » pour le capital humain et public. Ils utilisent des données, provenant des Comptes Nationaux Portugais, pour la période de 1977 – 2001. Pour étudier comment les diverses formes de capital humain ont un impact sur toutes les activités, et, pour attribuer une signification précise au terme «public», ils divisent l’économie en deux secteurs : le secteur manufacturier et le secteur public. Le produit agrégé est mesuré par la Valeur Ajouté Brute aux prix du marché. L’emploi est mesuré en unités homogènes. Ils adoptent l’approche de l’inventaire permanent de Santos (1984) et Freitas et Amaral (1994) pour calculer les stocks de capital sectoriel et agrégé.

Tout comme dans ces deux études, ils désagrégent la formation brute de capital fixe (FBCF) en équipements, habitation et autres édifices et appliquent l’approche de l’inventaire permanent pour obtenir des stocks de chacun de ces trois types de biens de capital. Quant au capital humain, ils suivent le travail de Teixeira (1997), qui fournit des séries temporelles annuelles pour le capital humain de 1960 à 1992, en l’actualisant. Outre ceci, ils adoptent une conception plus large du capital humain considérant, non seulement, les données relatives à l’éducation formelle, mais aussi celles relatives à la formation. Ils comparèrent l’élasticité de capital humain avec les résultats des études micro. A ce sujet, Pereira et Martins (2002), par exemple, décrivent un rendement pour l’éducation, (accroissement moyenne du rendement relative à un année extra de scolarité) au Portugal, de près de 11%, dans la période de 1996 à 1998, plus grande que la moyenne des autres pays (autour de 8%). Ces auteurs déterminent le rendement macroéconomique de l’éducation (la pourcentage de l’accroissement dans l’output provenant d’un année extra de scolarité). Ceci servant de base, et d’après une élasticité moyenne estimée de 0,42, et considérant le niveau de capital humain en 1997 ( années de scolarité), on obtient pour le rendement de l’éducation ( en termes macroéconomiques) la valeur de 6.1%.

Teixeira et Fortuna, dans une étude de 2003, analysent les effets du capital humain sur la croissance économique portugaise entre 1960 et 2001. Ils étudient les relations entre le stock interne de connaissances (capacité d’innovation) et le capital humain pour la productivité. Bien qu’ils ne nient pas l’importance fondamentale des externalités internationales, ils se concentrent seulement sur les externalités (spillovers) internes. Cela dit, ces auteurs étudient la période de 1960 à 2001. Ils ont montré qu’une augmentation de 1% dans le nombre moyen d’années de scolarité pour la population portugaise (avec 25 ans ou plus) conduit, à un certain niveau de connaissance, à une augmentation de 0.42% de la productivité de l’économie.

L’importance des efforts d’innovation, bien qu’encore à un niveau plus bas que celui du capital humain, est bien soulignée ici. En effet, 1% d’augmentation du stock interne de connaissance tend, ceteris paribus, à faire monter la productivité de 0.30%. Outre ces effets directs, le capital humain influence également, mais indirectement, la productivité totale des facteurs.  Les résultats mettent en évidence que l’élasticité de la productivité totale des facteurs par rapport au stock interne de connaissance est élevée quand le niveau de scolarité de la population l’est aussi (l’élasticité à long terme de la capacité d’absorption innovatrice est de 0.40%). Ces résultats sont, d’une certaine façon, confirmés par d’autres études empiriques récentes. En ce qui concerne l’élasticité du capital humain, Pina et St. Aubyn ont obtenu des évaluations semblables, entre 0.396 et 0.4073, respectivement, sans et avec la formation.

Teixeira et Fortuna (2003) concluent, en se basant sur leurs évaluations qu’il est possible d’inférer l’existence de relations structurelles stables à long terme. Les appréciations des paramètres semblent confirmer que le capital humain et les efforts d’innovation ont été très importants pour le processus de croissance économique portugais, de 1960 à 2001. L’importance du premier surmonte celle de la création d’une base interne de R&D. Par ailleurs, l’effet indirect du capital humain, à travers l’innovation, apparaît ici comme critique, montrant que la détention d’un stock de capital humain assez considérable est importante pour permettre à un pays d’avoir les retombées de ses efforts internes d’innovation.

Relativement aux études de caractère microéconomique, nous pouvons noter le travail d’Hartog, Pereira et Vieira (2001). Pour ces auteurs, les rendements provenant de l’éducation, au Portugal, sont restés globalement constants entre 1982 et 1986. A cet égard, on se souvient que le Portugal a affronté une forte crise dans la première moitié des années 80, et de grands défis pendant la deuxième moitié des années 80 (adhésion à la Communauté Économique Européenne par exemple). Entre 1986 et 1992, les rendements résultant de l’éducation augmentèrent considérablement, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Toutefois l’augmentation des rendements de l’éducation, au Portugal, n’a pas été conduite par la ré-affectation de l’emploi dans le sens de secteurs intensifs en compétences. Au lieu de cela, l’emploi au Portugal s’est déplacé, après 1986, vers les secteurs qui emploient traditionnellement des travailleurs avec de bas niveaux de qualification. La question qui se pose alors est celle de savoir comment les rendements ont évolué.

Le Portugal a adhéré à la Communauté Européenne en 1986, s’insérant, dès lors, dans un processus de modernisation de la production, en particulier à travers l’introduction de nouvelles technologies de processus. Ceci a été possible grâce aux fonds structurels provenant des aides financières spécifiques de l’UE. Par ailleurs, la libéralisation du commerce avec les pays plus développés peut avoir entraîné l’importation de technologies qui demandent un travail plus spécialisé. Pereira et Martins (2001) ont analysé la rentabilité de l’éducation, au Portugal, dans le cadre du modèle de Mincer, pendant la période 1982-1995, se basant sur les données d’enquêtes statistiques. Pendant cette période, le pays était sujet à divers changements, en particulier ceux liés au système éducatif et à la structure économique. Ce fût l’époque qui a suivi la Révolution du 25 Avril 1974, à la suite de quoi les systèmes éducatif et économique ont subi des changements structuraux importants. Il devient, de cette façon, important de connaître les implications de ces changements, en termes de rentabilité de l’éducation. Les auteurs retiennent quatre sous périodes distinctes : 1926-55 (une période de «régression»), 1956-73 («récupération»), 1974-1982 («rupture»), et 1983-1995 («consolidation»).

La première période coïncide avec la phase plus conservatrice du régime de Salazar. L’éducation n’était pas considérée comme importante pour le bien-être économique et social du pays. Toutefois, elle était tenue comme un instrument utile pour inculquer le patriotisme et le respect pour les «valeurs traditionnelles» parmi les jeunes. Entre 1956 et 1974, aussi bien le nombre que la qualité des écoles augmentèrent significativement. La scolarité obligatoire est passée de trois ans à quatre ans (uniquement pour les garçons) en 1956, quatre ans (garçons et filles) en 1960, et six ans en 1964. Dans la troisième période (1974-1982), une des premières mesures à être prise fût l’abolition du versant technique de l’enseignement secondaire. En effet, l’enseignement technique était considéré incompatible avec l’égalité pour tous. Le Ministère de l’Éducation, confronté avec la restriction de capacité dans les universités, instaure en 1978 un régime de «Numerus Clausus». Dans la dernière période, fut lancée la réforme de 1983, dont la principale particularité est la réorganisation de l’enseignement technique, cette fois au niveau de l’enseignement secondaire. En 1986 on approuve la Loi de Bases, qui organise le système éducatif encore aujourd’hui. Cette loi prévoit un niveau « basique » de scolarité de neuf ans ; un niveau secondaire de trois ans (y compris le versant technique) ; et un niveau supérieur, qui englobe aussi bien les universités que les instituts polytechniques. Une autre grande caractéristique de cette loi est celle d’avoir rendu possible le fonctionnement et l’expansion des universités privées. Le pays continue à être en retard dans ce domaine par rapport à la plupart des pays européens, comme l’ont montré les statistiques. On peut noter à ce propos deux aspects : 80% de la population employée n’a pas plus de 9 ans de scolarité (OCDE, 1998) et 10% de la population, en 1991, était incapable de lire et écrire. Les auteurs ont prouvé une rentabilité élevée de l’éducation au Portugal (près de 10%). Par ailleurs, ils n’ont pas détecté de différences entre hommes et femmes appréciables, avec une exception d’un taux de croissance des rendements un peu plus élevé pour les hommes. Pereira et Martins (2001) cherchent à expliquer cette situation et à en retirer des conséquences en termes de politique éducative. Quant au premier aspect, on peut donner trois explications : la première est en rapport avec le niveau réduit de la scolarité des travailleurs portugais. Dans une situation simple de recherche et de l’offre de travail qualifié, ceci conduira à un «hiatus» important entre les rémunérations des travailleurs qualifiés et des ceux non qualifiés. Un deuxième fait se situe dans le faible appui accordé aux étudiants au Portugal (voir Asplund et Pereira 1999). Ce facteur est important pour expliquer les taux bas de participation qui sont encore enregistrés au Portugal, étant donné que le coût d’opportunité qu’un étudiant subit dans un autre pays européen est beaucoup inférieur à celui qu’un étudiant portugais doit supporter. Une troisième explication concerne le risque élevé de l’investissement dans la décision d’étudier au Portugal. Les résultats obtenus par Pereira et Martins (2001b), suggèrent que pour des questions associées à la qualité de l’éducation ou au fonctionnement du marché de travail, par exemple, l’investissement en l’éducation au Portugal est hasardeux, ce qui pourrait expliquer les taux élevés des rentabilités moyennes exigées. Globalement envisagées, ces valeurs élevées des taux de rentabilité de l’éducation pourraient conduire à deux espèces d’orientation politique. Une approche du type « laissez faire » pourrait suggérer que ces rentabilités permettent, aux étudiants, l’accès au marché financier pour financier leurs études, pouvant plus tard payer les emprunts. Une autre perspective, de caractère interventionniste, soutient que les restrictions de liquidité et les problèmes d’asymétrie de l’information, ne permettraient pas de pratiquer la première solution. Par conséquent, l’État doit créer les conditions pour faciliter l’accès à l’enseignement de façon à permettre un bénéfice économique élevé de l’éducation à un nombre de personnes de plus en plus grand.

Dans le contexte de la définition des mesures politiques à considérer, on doit tenir compte de quelques problèmes auxquels le système éducatif portugais est affronté. Les résultats de diverses sources, surtout en provenance des organisations internationales, montrent un déséquilibre entre les recours investis dans le système et les résultats atteints par les élèves, surtout quand on compare ces résultats avec le même type de situation dans d’autres pays (pour un plus grand développement de cette question, voir Martins 2000).

Les résultats déjà notés (Martins et Pereira (2001)), suggèrent que les taux élevés de rentabilité ignorent une dispersion considérable pour différentes personnes, ce qui ne se vérifie pas pour les autres pays européens. Envisagés globalement, et dans le contexte du développement de l’accès à l’éducation, ces résultats semblent indiquer clairement la nécessité de mesures qui favoriseraient l’amélioration de l’efficacité du système éducatif portugais.