a) L’Etat

Dans les préliminaires à sa Contribution à la théorie générale de l’Etat, Carré de Malberg définit l’Etat comme étant in concreto « une communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance supérieure d’action, de commandement et de coercition ». Assez vite, cependant, l’Etat s’impose comme réalité juridique, il acquiert son autonomie et révèle sa nature institutionnelle. Ainsi, « en tant que personne juridique, l’Etat est une formation résultant de ce qu’une collectivité nationale et territoriale d’individus se trouve, soit dans le présent, soit au cours du temps, ramenée par le fait de son organisation à l’unité. Cette unité repose, non pas sur une association entre les individus, mais sur l’organisation étatique elle-même, celle-ci ayant pour effet d’englober et de fondre tous les éléments individuels dont se compose la nation en un corps national unifié » 23 .

« Personnification juridique de la nation » 24 , l’Etat peut être défini, en conséquence, comme la personne morale de droit public titulaire de la souveraineté. Cette dernière, émanation de la notion même d’Etat, lui donne paradoxalement son autonomie en même temps que son « principe d’unité d’action », pour reprendre les termes du Professeur Beaud. Selon lui, en effet, l’acte de souveraineté, « prérogative par laquelle le Souverain manifeste sa suprématie et l’Etat, son unité et son indivisibilité », signifie d’abord « l’existence du monopole étatique du droit positif » et forme ensuite un « système qui permet à l’Etat de développer ses capacités virtuelles de domination » : l’ordre juridique étatique 25 .

C’est en tant que producteur de normes juridiques que l’Etat est placé au cœur de cette étude. Pour autant, le mot « Etat » ne pourrait y être remplacé par celui de « droit ». En effet, bien que la relation de l’Etat au jeu soit ici exclusivement envisagée à travers le prisme du droit, ce dernier n’en reste pas moins un simple instrument de gouvernement, un réceptacle de valeurs dépourvu de volonté agissante. L’Etat, en revanche, s’il est souvent envisagé comme un simple appareil ou encore si sa personnalité juridique peut être présentée comme fictive, n’en est pas moins considéré en droit public comme un sujet de droit, doté d’une volonté qui est celle du souverain. Dès lors, envisager la relation de l’Etat au jeu dans le cadre du droit positif français, revient à analyser la manière dont, à travers ses gouvernants et dans l’intérêt collectif, le peuple français, souverain 26 , saisit cette pratique sociale spécifique qu’est le jeu.

L’Etat est donc un acteur et le droit étatique le fruit de sa volonté. Celui-ci, porteur de sens et de valeurs susceptibles de nous renseigner sur le jeu autant que sur l’Etat lui-même, découle de l’exercice des trois fonctions étatiques traditionnelles : la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction juridictionnelle. La loi, le règlement et les décisions des divers ordres juridictionnels constituent ainsi la matière première de cette étude de la relation de l’Etat au jeu, relation dont ils impriment le sens en même temps qu’ils en sont les instruments.

La volonté étatique sera donc envisagée comme réelle, ce qui ne l’empêche pas d’être complexe. En outre, le droit et la jurisprudence communautaires, dont l’importance est capitale en cette matière, seront envisagés comme faisant partie intégrante du droit national dans la mesure où ils en sont des sources infra-constitutionnelles auxquelles le peuple français a souverainement accepté de se soumettre 27 .

Notes
23.

R. Carré de Malberg, Contribution à la Théorie générale de l’Etat, t. I (1ère éd. 1920) et II (1ère éd. 1922), Paris, Dalloz, 2003, t. I, pp. 7 et 68.

24.

G. Burdeau, F. Hamon et M. Troper, Droit constitutionnel, 23ème éd., Paris, LGDJ, coll. Manuels, 1993, pp. 31-32 ; J. Chevallier, entrée « Etat » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., Cercle de sociologie et de nomologie juridique, Paris, LGDJ, 1993, p. 236.

25.

O. Beaud, « La notion d’Etat » in Archives de Philosophie du droit, t. 35, Paris, Sirey, 1990, p. 125.

26.

Article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

27.

Article 55 de la Constitution française : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».