Titre préliminaire : L’histoire de la réglementation des jeux, entre interdiction, tolérance et autorisation

Toutes les règles de droit ont une histoire et celle du droit des jeux est très ancienne. La complexité de la notion de jeu en droit positif résulte en grande partie de la difficulté que rencontre l’Etat à appréhender le phénomène ludique, à le définir, à saisir juridiquement une pratique par nature mouvante qui emprunte toujours des formes nouvelles, et à lui appliquer un régime juridique satisfaisant. D’où, peut-être, l’ambivalence de son intervention : l’exploitation des jeux a toujours été simultanément prohibée et organisée par le pouvoir.

L’histoire de la réglementation des jeux en France des origines à aujourd’hui, n’a, semble-t-il, jamais été écrite. On trouve certes des informations historiques dans la plupart des écrits juridiques un peu conséquents mais ils embrassent rarement l’ensemble des jeux et sont le plus souvent limités dans le temps. Dresser cette histoire, même modestement, n’est donc pas une entreprise facile. D’abord, il fut impossible d’éviter de travailler avec des sources de seconde main. Simple mise en perspective du droit positif, ce titre préliminaire laissera probablement l’historien sur sa faim, le temps et la méthode manquant pour lever les incertitudes rencontrées et pallier le problème de la rareté des sources.

Les données disponibles sont donc très limitées. Auteur d’un ouvrage sur Les jeux au Royaume de France du XIII ème au début du XVI ème siècle, Jean-Michel Mehl, Professeur d’histoire médiévale à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, relève que « dans la plupart des études consacrées à ce thème, une approche juridique étroite, une méconnaissance des contextes et un moralisme de mauvais aloi ont rendu sans intérêt ces esquisses » 89 . C’est vers l’étranger qu’il faudrait se tourner pour trouver les rares études historiques solides mais concernant des aires géographiques différentes de celle qui nous intéresse et, bien sûr, un champ temporel bien plus réduit 90 . Aussi certaines parties de cette étude sont-elles handicapées par le fait de se nourrir à une source unique. Mais eu égard à la rareté des écrits en la matière, il paraissait au départ impossible d’embrasser deux millénaires d’histoire des jeux sans se retrouver avec des segments de l’histoire sur lesquels nous ne savons rien. Certes ce travail rapporte bien peu de choses sur l’Antiquité romaine, ignore complètement la période franque et ne concerne que Paris pour le jeu de l’Epoque moderne, mais cela semble suffisant pour mettre en avant certains constantes dans le régime juridique des jeux et l’attitude du pouvoir.

Enfin, obstacle de fond, la politique menée par l’Etat en matière de jeu s’est longtemps confondue avec une politique des jeux en général qui visait simultanément le jeu récréatif et le jeu d’argent, le jeu des particuliers et celui organisé par un tenancier. Ainsi pour certaines périodes, la notion générique de jeu se révèle inappropriée et il a fallu la dépasser. Par ailleurs, au sein même de la catégorie des jeux organisés, certaines pratiques ludiques ont peu à peu conquis leur autonomie et nécessité un traitement particulier de la part des autorités publiques. Ainsi les jeux de casino ou de cercle, les loteries et les courses de chevaux ont-ils leur histoire propre qu’il convient d’envisager isolément 91 .

« La passion du jeu est inhérente à la nature humaine (…), les mesures rigoureuses contre le jeu et les joueurs entraînent fatalement la fraude ou la non application de la loi » 92  : c’est le constat désabusé que dresse le député Marcel Régnier (1867- 1958) 93 , rapporteur de la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatériques, dont l’adoption offrit un cadre juridique définitif aux maisons de jeu ouvertes au public qui, bien qu’interdites par la loi, étaient depuis longtemps tolérées sous diverses formes par l’administration.

L’intervention des autorités publiques dans le monde du jeu est un phénomène historique récurrent. L’alternance des solutions répressives et libérales illustre on ne peut mieux la difficulté qu’éprouve le pouvoir à prendre position vis-à-vis des pratiques ludiques. La relative stabilité de la législation actuelle est le fruit de ces errements et des tentatives d’encadrement de l’offre de jeu qui connurent des succès variés. C’est de l’Antiquité à la Révolution française qu’on été posés les premiers jalons d’un droit des jeux (chapitre I), quant à l’institutionnalisation définitive des jeux autorisés, elle s’est faite entre la Révolution et la première moitié du XXème siècle (chapitre II).

Notes
89.

J-M. Mehl, Les jeux au Royaume de France du XIII ème au début du XVI ème siècle, Paris, Fayard, 1990,p. 341.

90.

H. Schuster, Das Spiel, sein Entwicklung und Bedeutung in Deutschen Recht (Le jeu, son développement et sa signification dans le droit allemand), Vienne, 1878 ; E. Wohlhaupter, « Zur Rechtsgeschichte des Spiels in Spanien » (De l’histoire du droit des jeux en Espagne), Spanische Forschungen des Görresgesellschaft, Bd. 3, Münster, 1931, p. 55-128 ; J. Van Humbeeck, « Exploitation et répression des jeux d’argent en Flandre au XIVème et XVème siècles », Tijdschrift voor Rechtsgeshiedenis, 1978, n° 46, pp. 327-352.

91.

Des développements particuliers ne seront consacrés à chacune de ces catégories qu’à partir du moment où elles seront popularisées et appelleront un traitement spécial de la part des autorités. Historiquement, c’est la catégorie des jeux de casino et de cercles qui suscitera la première l’intervention du pouvoir, ce sera ensuite le tour des loteries (XVIème siècle) puis des paris sur les courses de chevaux (XIXème siècle).

92.

JO, Documents-Chambre des députés, session ordinaire de 1907, annexe 820, p. 212.

93.

Avocat et journaliste républicain, il fut député de l’Allier de 1903 à 1910, inscrit au groupe de la gauche radicale et socialiste. Après son échec électoral en 1910 il prit ses distances avec la gauche radicale pour devenir l’un des promoteurs du « Bloc national » aux élections de 1919. Elu sénateur en 1920 et prenant place au sein de la gauche démocratique, il pratiqua une politique essentiellement conservatrice. Il fut ministre de l’Intérieur en 1934-1935 et ministre des Finances en 1935-1936. Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), sous la direction de J. Jolly, Paris, PUF, 1977, t. VIII, p. 2810.