A - L’organisation de la police des jeux à Paris à la fin de l’Ancien Régime

Les informations contenues dans cette partie sont pour la plupart issues de la thèse d’O. Grussi sur Le jeu d’argent à Paris et à la cour de 1667 à 1789 180 . Lui-même tire un grand nombre d’informations concernant l’organisation de la police des jeux des écrits de Gabriel de Sartine, lieutenant général de police de 1759 à 1774. A l’époque, Paris comptait une vingtaine d’inspecteurs de police cumulant un ensemble de tâches ordinaires auxquelles s’ajoutait, pour chacun d’eux, une fonction spéciale.

Les tâches ordinaires consistaient principalement en une activité de renseignement et d’information auprès de leur hiérarchie. Il s’agissait de signaler « aux commissaires près lesquels ils sont distribués (…) les crimes, contraventions et désordres dont ils peuvent avoir connaissance », de rapporter tout ce qu’ils peuvent entendre dire à propos du « gouvernement et des affaires publiques » et plus généralement des « nouvelles qui se répandent », de repérer les auteurs de « propos séditieux », de contrôler l’arrivée d’étrangers dans les auberges, de se rendre chez tous les commerçants susceptibles de se faire receleurs et, enfin, de rechercher des renseignements précis à la demande du magistrat 181 .

A partir de 1751 s’ajoutait à ce travail commun une fonction spéciale qui pouvait être la sûreté, la discipline militaire, la police des femmes du monde, les nourrices, les prêteurs sur gage, les charlatans (liste non exhaustive) ou les jeux, de loin la plus lucrative à en croire l’Encyclopédie méthodique 182 qui soupçonne son titulaire de pouvoir tirer des maisons de jeu tolérées soixante mille livres par an.

L’officier chargé des jeux 183 , pour mener à bien sa mission, devait s’entourer. Gabriel de Sartine distingue ainsi quatre types de collaborateurs. Les premiers sont appelés « observateurs », payés pour surprendre des conversations dans les endroits publics, notamment où l’on trouve le plus d’esprits frondeurs, et rapporter des renseignements. Les seconds sont des personnes tenant lieu d’espions à leur insu : « gens désœuvrés (…), grands parleurs, naturellement curieux et aimant à sa mêler de tout (…) qui cherchent et saisissent toutes les occasions de s’introduire dans les maisons où il y a bonne table et grande compagnie » 184  ; les inspecteurs déploient à leur encontre des trésors de délicatesse pour les faire parler. La troisième catégorie est composée de ceux que les inspecteurs nomment leurs « basses-mouches » : placés dans les rues pour espionner certaines personnes et/ou contribuer à leur arrestation. Enfin, les dénonciateurs, menacés par la police, livrent des informations pour s’attirer l’indulgence des autorités. Les inspecteurs utilisaient ces collaborateurs pour la surveillance des académies de jeu et la découverte de maisons clandestines.

Le rôle des commissaires de police en matière de jeu est plutôt effacé : si la subordination directe de l’inspecteur est le règle pour les activités ordinaires, ce dernier en réfère directement au lieutenant général pour tout ce qui concerne les jeux. Le découpage des fonctions spéciales valait également pour les commissaires, il y avait donc un commissaire chargé des jeux mais son travail en ce domaine était principalement administratif, les seules opérations qui l’amenaient sur le terrain (visites de maisons clandestines, perquisitions) nécessitaient la présence de plusieurs commissaires si bien que cette spécialisation était plutôt formelle 185 .

Au niveau des échelons supérieurs de la police, le lieutenant général, malgré l’étendue de ses attributions, s’intéressait beaucoup aux affaires de jeu, aidé par le secrétaire de l’un de ses quatre bureaux spécialisés. Il rendait des comptes au secrétaire d’Etat de la Maison du Roi (aussi appelé ministre de Paris, lui-même étroitement subordonné au Roi) et au Parlement de Paris, cette dernière subordination n’allant pas sans causer de graves difficultés. Le Parlement était en effet juge d’appel des jugements du lieutenant général de police (sauf pour les affaires mineures), mais, à partir de 1770, il ne se contentait plus de rendre des arrêts relatifs au jeu et entendait intervenir directement dans l’application de la politique en matière de jeu. En témoignent les nombreux rapports et mémoires qui lui furent périodiquement remis par la lieutenance générale de police 186 ainsi que la querelle qui opposa cette dernière au Parlement lors de l’introduction des jeux de hasard dans les académies de jeu tolérées.

Enfin, l’auteur note que la compétence de la police des jeux ne s’étendait pas sur tout Paris en raison de la persistance de juridictions privilégiées (Grand Prévôt, Duc d’Orléans…), sans pour autant que toute collaboration ne soit exclue 187 .

Notes
180.

O. Grussi, Le jeu d’argent à Paris et à la cour de 1667 à 1789, op. cit., pp. 577-588.

181.

O. Grussi, citant G. de Sartine, ibid., p. 578-579.

182.

Citée par O. Grussi, ibid., p. 580.

183.

F. Freundlich note de son côté que la collégialité a pu, par moments, être instaurée : on sait par exemple que de 1745 à 1747 deux inspecteurs étaient spécialement chargés de la répression des tripots. On suppose que cette collégialité est la conséquence des accusations de prévarication portées à l’encontre de Pierre Pons, leur prédécesseur, emprisonné au Fort l’Evêque en 1745, Le monde du jeu à paris 1715-1800, o p. cit., p. 45.

184.

O. Grussi, citant Sartine, Le jeu d’argent à Paris et à la cour de 1667 à 1789, op. cit., p. 581.

185.

Ibid., pp. 583-584.

186.

Ibid., pp. 586-587.

187.

Ibid., p. 588.