B - La surveillance des maisons de jeu tolérées

La police des jeux avait pour mission de surveiller les maisons de jeu tolérées et, à certaines périodes, les foires de Saint germain et Saint Laurent 188 . Cependant, toutes les maisons de jeu tolérées n’étaient pas concernées par cette surveillance : seules l’étaient celles dont la tolérance émanait de la politique de la lieutenance générale et avaient reçu à ce titre une permission de la part du magistrat en échange d’un prélèvement financier opéré par la police, semble-t-il d’un montant considérable. Ces établissements, qu’on appelait « académies de jeu », n’étaient autorisés à organiser, en principe, que des jeux de commerce, leur tenancier étant rétribué par les joueurs.

Avant d’aller plus loin, notons brièvement qu’à côté de ces académies la monarchie « toléra nombre de tripots animés par des ambassadeurs, des princes étrangers résidant à Paris et quelque membres de la haute noblesse de cour » 189 . Parmi les plus célèbres figurent l’hôtel de Transylvanie, l’hôtel de Soissons et celui de Gesvres, autant de « sanctuaires » où les jeux prohibés pouvaient s’étaler, le lieutenant de police s’inclinant devant l’aristocratie. Néanmoins, le respect dans lequel ces lieux sont tenus n’est pas seulement motivé par des raisons sociales, il l’est aussi par des raisons juridiques : soumis à la police particulière de leur titulaire, les apanages 190 échappent à la politique de la lieutenance générale, quant aux ambassades, elles sont protégées par l’immunité diplomatique 191 .

Surveiller les académies de jeu consiste à vérifier que les tenanciers respectent bien les termes du « contrat » 192 que représentait la permission de donner à jouer : nature des jeux proposés, nombre de tables, limitation des enjeux, interdiction des paris, horaires d’ouverture/fermeture et limitation de l’accès à l’établissement. Cela consiste également à aider le tenancier à y maintenir l’ordre et au besoin à arrêter les fauteurs de trouble. La fréquence de ces visites est cependant impossible à évaluer.

Les tenanciers semblaient être des informateurs précieux pour la dénonciation des joueurs-tricheurs professionnels ou la livraison d’informations sur les affaires publiques. Un écrit anonyme Les joueurs et M. Dusaulx, décrit en ces termes les techniques employées par Sartine : « C’est à des courtisanes qu’il favorisoit, ou qui avoient de jolies filles, qu’il donnoit la direction de ces tripots, et comme ces académies devinrent des maisons de liberté où l’on se mettoit à son aise pour parler des affaires publiques, il se servoit de ces courtisanes pour savoir ce qu’on disoit du gouvernement et de son administration » 193 . A ces informations fournies par les tenanciers s’ajoutaient celles glanées par les nombreux espions de la police judicieusement placés dans les académies.

« La masse des informations recueillies par les espions du lieutenant ne cesse d’impressionner : elles sont le fruit d’innombrables enquêtes de moralité et de la vérification, notamment auprès du voisinage, des renseignements contenus dans les placets adressés par des familles inquiètes de la conduite de leur progéniture », nous apprend F. Freundlich 194 . De son temps, l’inspecteur chargé des jeux Chassaigne (en poste de 1751 à 1760), grâce à son service de renseignement, parvint à établir un fichier de tous les joueurs-tricheurs professionnels résumant leurs forfaits en détail 195 . En outre, le travail de la police était alimenté par de nombreux mémoires, anonymes ou non, rédigé par de « vertueux » citoyens indignés par le désordre que suscitaient ces académies, ainsi que par des plaintes déposées devant les commissaires de quartier.

C’est au lieutenant général de police qu’il appartenait de prendre les mesures adéquates, qui se limitaient parfois à la simple prévention. Ainsi était-il fréquent de voir certaines personnes interdites d’accès dans les académies de jeu en raison de leur rang social, tel le sieur Leseron, conseiller au Parlement de Paris, ou tout simplement pour leurs activités néfastes, ce qui était le cas des joueurs-tricheurs professionnels. Les mesures plus sévères comme l’emprisonnement étaient légion mais il semble que l’exil fut rarement utilisé, et seulement à titre d’exemple. Les tenanciers d’académies tolérées qui ne respectaient pas les termes de la permission pouvaient être condamnés : amendes et suspension, temporaire ou définitive, semblent avoir été les sanctions en usage 196 .

Par réalisme, à partir de 1770, la lieutenance générale de police fut amenée à tolérer, en plus des jeux de commerce dont la tolérance s’était révélée insuffisante, certains jeux de hasard, notamment le jeu de « belle », afin d’enrayer le développement excessif de maisons de jeux de hasard clandestines. Il semblerait que cette initiative fut assez efficace mais elle s’est heurtée à l’hostilité radicale du Parlement de Paris. La rédaction de son arrêt du 12 décembre 1777 est à cet égard révélateur : « …fait très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes (…) de tenir jeux de hasard, et notamment celui de la belle (…) ; enjoint pareillement au lieutenant général de police de ne laisser établir à l’avenir aucuns jeux de hasard dans la ville de Paris » 197 . En conséquence de quoi le Parlement parvint à obtenir la fermeture de nombreuses académies de jeux de hasard qui bénéficiaient pourtant d’une permission de la part du magistrat, sapant ainsi, selon l’appréciation d’O. Grussi, l’audace de la politique de l’Etat en matière de jeux et contribuant à la mollesse de la répression, encouragée par le lieutenant général lui-même 198 . Pour J-L. Harouel, c’est en effet une « mission impossible » que le Parlement impose à la lieutenance générale : « la suppression des jeux publics entraîne la dilution du jeu à travers une ville de plus d’un demi-million d’habitants » 199 , le problème étant désormais de savoir où l’on joue.

Notes
188.

Le jeu dans les foires parisiennes ne fut permis que jusqu’en 1722 mais presque aucune information n’est parvenue à propos de sa surveillance. Ibid., p. 595.

189.

F. Freundlich, Le monde du jeu à paris 1715-1800, op. cit., p. 29.

190.

Portions du domaine royal accordées aux cadets de la Maison de France en compensation de leur exclusion de la Couronne.

191.

J-L. Harouel, « La police, la Parlement et les jeux de hasard », art. cit., pp. 313-314.

192.

O. Grussi, Le jeu d’argent à Paris et à la cour de 1667 à 1789, op. cit., p. 590. L’auteur utilise ce terme entre guillemets, l’absence de précision supplémentaire à son propos nous laisse penser que son emploi correspond plus à une figure de style qu’à une réalité matérielle.

193.

Ibid., p. 591.

194.

Ibid., p. 46.

195.

Ibid., p. 592.

196.

Ibid., pp. 593-595.

197.

G. Frèrejouan du Saint, Jeu et pari au point de vue civil, pénal et réglementaire, op. cit., p. 105.

198.

O. Grussi, Le jeu d’argent à Paris et à la cour de 1667 à 1789, op. cit., pp. 565-567 et 734.

199.

J-L. Harouel, « La police, la Parlement et les jeux de hasard », art. cit., p. 311. Sur l’attitude du Parlement et le contrôle qu’il exerce sur la politique de la lieutenance générale de police, voir J-L. Harouel, « Les pouvoirs publics face au problème des jeux de hasard à Paris à la fin de l’Ancien régime », art. cit., pp. 367-376.