§ 3 - La naissance de la Loterie royale, première loterie d’Etat française

La première loterie publique moderne fut dit-on le lotto di Firenze, institué en 1530 et aussitôt imité à Gênes et Venise pour ensuite être importé en France 209 en 1533. L’Edit de Châteaurenard du 21 mai 1539 autorise l’organisation de loteries moyennant le versement d’un droit au Trésor mais elles connaîtront peu de succès en raison, probablement, du caractère excessif du prélèvement royal et de l’opposition du Parlement. Ce dernier adoptera en effet plusieurs arrêts (1598, 1604 et 1657, 1661) interdisant de manière absolue l’organisation des loteries et annulant toutes les autorisations antérieurement obtenues par lettres patentes 210 . Peine perdue, les loteries particulières se multiplient.

Malgré l’hostilité du Parlement le pouvoir royal parviendra à solliciter la loterie pour remédier à la pénurie des finances publiques. Elle fut d’abord associée aux balbutiements de l’assurance vie à travers les différentes variétés de tontines 211 (1653, 1689, 1696, 1709) et notamment avec les loteries-tontines de 1714 et 1743. En l’absence de tables de mortalité ces formes originales d’emprunt se révèleront très coûteuses pour les finances royales.

Il faut attendre 1660 et le mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne pour que soit organisée une nouvelle loterie dont les profits sont affectés « aux artisans de toutes corporations et aux pauvres ». Un an plus tard, le roi autorise une autre loterie au profit cette fois de l’Hôpital général de Paris, exemple suivi en province où partout sont organisées de telles opérations au profit d’établissements hospitaliers : c’est le cas en 1699 à Marseille, Lyon, Tours et Rennes et en 1700 à Bordeaux, la Rochelle et Rouen 212 .

L’arrêt du Conseil du roi du 11 mai 1700 constitue la deuxième étape du processus de centralisation de la loterie. Poussé par le déficit du Trésor, Louis XIV lance une loterie de 10 millions de francs dont les lots se composent d’un certain nombre de rentes viagères sur l’Hôtel de Ville. A partir de cette date, de nombreuses loteries particulières sont organisées dans un but d’intérêt général. Ainsi en est-il de la loterie des Enfants trouvés (1754), de la loterie de la Pitié (1762) ou de la loterie de l’Ecole royale militaire. Créée par un arrêt du Conseil du roi du 15 octobre 1757, cette dernière opération, la plus importante de l’époque, repose sur un système nouveau qui servira d’exemple à toutes les loteries publiques jusqu’au début du XIXème siècle 213 . Par ailleurs sont organisées de nombreuses loteries destinées à la construction ou à la rénovation de bâtiments religieux : Saint Roch (1706), Saint Gervais (1713), Saint Sulpice (1721), Sainte Geneviève (1754), devenue depuis le Panthéon, ou la Madeleine (1762).

Enfin, un arrêt du conseil du roi du 30 juin 1776 supprime toutes les loteries particulières (à l’exception de celles des Enfants trouvés et de la Pitié, rattachées à l’administration de la loterie) et institue la Loterie royale de France : l’Etat se réserve le monopole exclusif de ce jeu et organise deux tirages par mois. En une dizaine d’années la Loterie royale s’étend aux principales villes du royaume, elle intéresse l’ensemble des couches sociales et se dote d’une administration à la taille de ses enjeux financiers. La direction parisienne recouvre neuf services spécialisés comprenant près de 250 personnes. Ils gèrent la répartition des billets dans les bureaux de recettes, la vérification des lots gagnants, la surveillance des receveurs, le contentieux et le cautionnement, de même que l’impression des billets et des listes de numéros gagnants. Quatre autres directions sont installées en province sur le modèle parisien, chacune avec sa propre roue. Pour le reste, l’administration de la loterie fait appel au secteur privé : les billets sont diffusés par quelque 700 receveurs, « buralistes et marchands merciers », et par des colporteurs qui assurent le relais dans la rue et dont la profession sera organisée par un arrêt du Conseil du 21 décembre 1776 214 . Ce dispositif de diffusion se révèle assez fragile : receveurs et colporteurs ont massivement recours au crédit qui, dénué de tout mécanisme de garantie, apparaît comme un jeu supplémentaire, une chance de débiter toujours plus de billets pour miser soi-même ou bénéficier d’éventuelles largesses de la part des gagnants 215 .

Ainsi démarra notre loterie d’Etat. Quand survint la période révolutionnaire, le bouillonnement intellectuel qui l’accompagna n’épargna pas la question du jeu et la loterie y perdit quelques plumes.

Notes
209.

M. Neveux note cependant que le mot italien lotto est d’origine germanique et qu’on retrouve en France des traces de l’organisation de loteries avant le XVIème siècle. Ainsi la ville bourguignonne de l’Ecluse aurait-elle organisé en 1420 une loterie pour fortifier les murs de son enceinte (« Jeux de hasard », art. cit., p. 518). De son côté, S. Collette estime que la première loterie « publique » de France a sans doute été celle de Saint Omer, concédée à la municipalité pour dix ans par Charles le Téméraire (1433-1477) pour fournir des ressources au profit de la ville et des pauvres (De la Loterie nationale à la Française des Jeux, op. cit., p. 15).

210.

G. Frèrejouan du Saint, Jeu et pari au point de vue civil, pénal et réglementaire, op. cit., pp. 249-250.

211.

« Opération par laquelle plusieurs personnes constituent, par des versements, un fonds commun qui sera capitalisé pendant un certain nombre d’années et réparti, à l’échéance convenue, entre les survivants, déduction faite des frais de gestion de la société qui est chargée de l’opération », selon le Lexique des termes juridiques, 11ème éd., Paris, Dalloz, 1998, p. 523. Pour plus de renseignements sur ce mécanisme : J. Coudy, « La "Tontine Royalle" sous le règne de Louis XIV » in Revue historique de droit français et étranger, 1957, pp. 127-147 et « La "Tontine Royalle" sous le règne de Louis XV » in Revue historique de droit français et étranger, 1959, pp. 326-340.

212.

G. Descotils et J-C. Guilbert, Le grand livre des loteries , Paris, La Française des jeux, 1993, p. 22.

213.

Ce système fut proposé par le célèbre aventurier vénitien Casanova de Seingalt. On enfermait dans une cage rotative, appelée « roue de la fortune », des billets numérotés de 1 à 90 et un enfant extrayait au hasard 5 de ces numéros. Plusieurs possibilités de jeu étaient offertes aux participants : l’« extrait simple » consistait à miser sur un de ces 90 nombres, qui avait ainsi 5 chances sur 90 de sortir, l’« extrait déterminé » devait en outre préciser l’ordre de sortie du numéro choisi, l’« ambe » permettait de jouer deux numéros parmi les cinq sortis, le « terne » correspondait à trois numéros et, par la suite, on adjoignit à ces combinaisons le « quaterne » et la « quine » correspondant respectivement à quatre et cinq numéros. Les rapports s’échelonnaient de 15 fois la mise pour l’extrait simple à 5 200 fois la mise pour le terne et, plus tard, un million de fois la mise pour la quine, mais si les rapports augmentaient avec la complexité des mises, l’espérance de gains, elle, diminuait. J. Léonnet, Les loteries d’Etat en France aux XVIII ème et XIX ème siècles, Paris, Imprimerie nationale, 1963, p. 15-16.

214.

J. Léonnet, ibid., p. 24.

215.

F. Freundlich, Le monde du jeu à paris 1715-1800, op. cit., pp. 164-165.