Chapitre II : De la Révolution au droit contemporain,
genèse du droit positif

C’est à cette époque que furent fixées les règles de base du droit civil et du droit pénal en matière de jeux pour être ensuite codifiées sous le Consulat et l’Empire.

A la grande déception de ceux qui espéraient que le tourbillon révolutionnaire emporterait avec l’Ancien Régime les vices de leurs concitoyens, le jeu, au contraire, a profité du désordre provoqué par le changement pour se développer, si bien que Bailly (1736-1793) 216 , maire de Paris, dut rappeler les sections de la capitale au respect des anciennes ordonnances sur le jeu, notamment l’ordonnance royale du 1er mars 1781 et celle du Parlement de Paris du 9 janvier 1789.

Le décret des 16-24 août 1790 relatif à l’organisation judiciaire, qui pose entre autres le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives, en son article 3 du titre XI consacré aux juges en matière de police, cite parmi « les objets de police confiés à la vigilance et à l’autorité des corps municipaux…3° le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes tels que les…jeux et autres lieux publics ». Puis le décret des 19-22 juillet 1791 relatif à l’organisation d’une police municipale et correctionnelle pose, en ses articles 7 du titre Ier et 36 du titre II, les bases de ce que sera plus tard l’article 410 du Code pénal : le simple fait de jouer n’est plus répréhensible, seuls encourent les rigueurs de la loi ceux qui exploitent les maisons de jeu ou qui se font complices d’une telle entreprise 217 .

Le régime civil des jeux est ensuite définitivement fixé, en 1804, par les articles 1965, 1966 et 1967 du Code civil : tandis que le premier et le troisième de ces articles adoptent le principe de l’exception de jeu (le gagnant ne peut actionner le perdant pour le paiement des dettes de jeu et le perdant ne peut répéter les sommes qu’il aurait volontairement payées), le second de ces articles distingue les jeux de hasard et les jeux d’habilité, reconnaissant pour ces derniers la validité des dettes de jeu à condition que leur montant ne soit pas excessif. Enfin, le Code pénal de 1810, en ses articles 410, 475-5 et 477 consacre le régime inauguré en 1791, reproduisant même certains passages de l’ancien texte. Se trouvent ainsi punis l’exploitation d’une maison de jeux de hasard et les actes de complicité qui peuvent l’accompagner (art. 410) ainsi que l’exploitation de tels jeux dans les lieux publics (art. 475-5), le dernier de ces articles prévoyant, lui, la confiscation des instruments du jeu.

Il aura ainsi fallu plusieurs siècles pour que soient fixées ces règles élémentaires du droit des jeux et un siècle supplémentaire sera nécessaire pour que la représentation nationale, soumise à des pressions diverses, adopte les grands piliers législatifs de chacun des grands secteurs du jeu pour maintenir en place une offre de jeu dont l’organisation s’accommodait souvent mal avec le droit existant. Ainsi furent progressivement encadrées les maisons de jeu (section 1) et les paris sur les courses de chevaux (section 2). La loterie d’Etat, quant à elle, connut, malgré quelques éclipses, un succès populaire constant (section 3).

Notes
216.

Astronome, membre de l’Académie française (1784) et de l’Académie des inscriptions et belles lettres (1789), Bailly succéda à son père en 1754 pour devenir garde général des tableaux du roi. La Révolution l’enthousiasma et il y prit une grande part : président de la chambre du Tiers Etat en 1789 puis président de l’Assemblée constituante, c’est lui qui entraîna les députés dans la salle du jeu de paume et qui présida à la prestation du célèbre serment. Il devint, le 16 juillet 1789, le premier maire de Paris mais, représentant de la bourgeoisie plus que du peuple, il n’hésita pas à appliquer sévèrement la loi martiale et ordonna aux soldats du corps municipal de faire feu contre les pétitionnaires réunis au Champ de Mars pour signer la demande de déchéance du roi. Devenu très impopulaire, il rendit sa démission en novembre 1791, mais le Comité de salut public ne le manqua pas : emprisonné puis amené comme témoin au procès de la reine, sa déposition fut utilisée contre lui quand il comparut à son tour devant le tribunal révolutionnaire le 10 novembre 1793. Il fut guillotiné le surlendemain. Dictionnaire des parlementaires français (1789-1889), sous la direction de A. Robert, E. Bourloton et G. Cougny, Genève, Slatkine reprints, 2000, t. I, p. 141.

217.

Rapport du député Marcel Régnier (1907), op. cit., p. 213.