Section 2 - L’essor fulgurant des courses de chevaux, l’intérêt national aux prises avec la moralité publique

C’est au fil du XIXème siècle que se sont développées en France les courses de chevaux : après avoir été pratiquées couramment jusqu’en 1200, on n’en trouve plus aucune trace avant a fin du XVIIIème. En revanche, pendant ce long intermède, les courses ont été, Outre-Manche, élevées au rang d’institution : de nombreux hippodromes ont été construits, la course à cheval est devenue un sport national extrêmement populaire et, surtout, les britanniques ont créé de toutes pièces, grâce au croisement de purs-sangs arabes et de chevaux indigènes 284 rigoureusement sélectionnés par l’épreuve des courses, la race de chevaux la plus pure et la plus performante qui soit au monde : la race du pur-sang anglais 285 .

On ne peut évoquer l’histoire de l’institution des courses en France, ainsi que des paris qui les accompagnent, sans faire référence à la place centrale du cheval dans la société française du XIXème siècle et à la politique qui l’accompagne (§ 1). Il est aisé de comprendre qu’à cette époque le cheval est vital pour l’homme et la société : il est au cœur de l’économie agricole, il est le complément indispensable des nouveaux moyens de communication et occupe une place de premier ordre dans la constitution de nos armées. La disposition d’un parc important de chevaux de bonne qualité est donc un enjeu national. A cette fin, il s’agit d’encourager l’élevage du cheval et de privilégier la reproduction des meilleurs éléments en développant le seul moyen, dit-on, de sélection vraiment efficace : les courses 286 . Or, l’organisation des courses étant financièrement dépendante de la possibilité donnée aux amateurs d’équidés de parier sur leur issue, l’efficacité de la politique du cheval deviendra elle aussi étroitement liée à cette pratique ludique (§ 2).

Notes
284.

Eux-mêmes le produits du croisement des meilleures races de chevaux d’Europe et d’Afrique du nord : lombardes, danoises, flamandes, espagnoles, barbes etc.

285.

« Avant d’atteindre sa perfection, la race anglaise passe par plusieurs phases : une préparation qui s’étend sur plusieurs siècles avec comme point de départ un cheptel chevalin que le climat et une nourriture appropriée avaient fait excellent ; puis un greffage d’éléments étrangers choisis parmi les meilleurs. Tandis que se poursuit pendant des siècles cette infusion des meilleurs sangs étrangers, à l’intérieur, tout ce qui n’est pas reconnu comme excellent est écarté de la reproduction. De plus les courses apparaissent et sélectionnent les meilleurs sujets, ceux qui, dans l’épreuve, montrent les plus solides qualités. Peu à peu le filtrage se fait plus serré et de toute cette production, il ne reste qu’une élite épurée. Voilà pour la contribution indigène ; c’est alors qu’ayant atteint un haut degré de réceptivité, elle est mise en présence de sujets orientaux d’élite, les plus purs produits d’une race pure. Pendant encore quelques années, la race se purifie sur elle-même ; aucun élément étranger n’entre plus dans sa composition. Une fois le tamisage opéré, la partie tamisée est mise à l’abri de tout mélange. Bien plus, elle se purifie encore sous l’action de l’imbreeding et des courses avant de se concentrer en trois canaux qui trouvent leur aboutissement en Eclipse, Hérod et Matchem, les trois fondateur de la race ». En effet, il n’est pas aujourd’hui un pur-sang anglais au monde dont la généalogie ne remonte à l’un de ces patriarches. L-F. Gabolde, Les sociétés de courses , Paris, Librairie technique et économique, 1937, pp. 73-74. Voir cet auteur pour un exposé des principes qui guident la reproduction du cheval et des théories qui soulignent l’importance de la race du pur-sang anglais dans ce processus.

286.

A noter cependant que si les thèses de la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France l’ont emporté, notamment en ce qu’elles font des courses le seul critère valable de sélection des chevaux, elles ont pu être critiquées. Tel est le cas des sénateurs Darbot et Bérenger lors de l’adoption de la loi du 2 juin 1891 (JO 30 mai 1891, Débats-Sénat, pp. 335-352) pour lesquels, entre autres, le pur sang anglais, soumis dès son plus jeune âge à un entraînement excessif et à l’administration de drogues, souffrirait d’une spécialisation excessive qui privilégie la vitesse au détriment de l’endurance et de la robustesse. A défaut de connaissances en la matière, il est évidemment impossible de prendre parti dans un tel débat ; néanmoins, il convient d’avoir à l’esprit que notre principale source sur l’histoire des courses de chevaux, L-F. Gabolde, est un partisan convaincu des théories de la Société d’encouragement qui, malgré la qualité de son travail, se montre incapable de prendre ses distances par rapport à celle-ci.