§ 1 - La naissance d’une politique du cheval en France

Quelques efforts modestes avaient déjà été fournis en ce sens sous l’Ancien Régime. En 1639 une ordonnance de Louis XIII prescrit la transformation de l’Ecurie royale en Haras royal et met un ensemble de ressources à la disposition de l’industrie privée, puis, sur une proposition de Colbert (1619-1683), le Conseil du roi créé le 17 octobre 1665 une trentaine de dépôts d’étalons. Ce maigre butin est dilapidé par la Constituante et malgré les efforts de la Convention il faut attendre les décrets impériaux du 31 août 1805 et du 4 juillet 1806 287 pour voir créée l’institution des haras nationaux, dont les services sont tout d’abord rattachés au ministère de l’Intérieur, et organisées, de manière systématique, les premières courses d’Etat dotées de prix gouvernementaux. Il est d’ailleurs assez amusant de constater qu’aux termes de l’article 28 du décret du 4 juillet 1806 les premiers juges des courses devaient être les maires, les préfets et, en dernier ressort, le Conseil d’Etat 288 . L’organisation de ces courses était très imparfaite mais elle a constitué un embryon indispensable pour leur développement futur. Quelques années plus tard, la Restauration améliore un peu le système en établissant, par une ordonnance royale du 3 mars 1833, un « registre matricule pour l’inscription des chevaux de race pure existant en France » 289 ainsi qu’une commission chargée de la tenue de ce registre : c’est la naissance du premier stud-book français.

Les courses commencent à connaître le succès mais leur effet sur la qualité de l’élevage est encore modeste. L’administration des haras, privilégiant l’amélioration des races par le demi-sang, se montre hostile à l’immixtion du pur-sang anglais dans notre élevage si bien que les compétitions, encore marquées par l’esprit du décret de 1806, sont en grande partie réservées aux bêtes nées en France. Or, de ces choix techniques qui président à l’orientation de l’élevage dépend le succès de l’ensemble de la politique du cheval et à ce titre, celle menée par l’administration des haras va se heurter à l’opinion des membres de la Société d’Encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France fondée le 11 novembre 1833 par d’illustres amateurs d’équidés. Les principes défendus par cette société dans son Manifeste puis dans ses statuts, adoptés ensemble le 16 mars 1834, vont guider la politique française du cheval jusqu’à nos jours et le succès de ses thèses permettront à la Société d’Encouragement d’exercer une influence de premier ordre dans l’organisation des courses, influence qu’elle a conservé depuis. Outre la popularisation du goût des courses en France, la Société a pour but la propagation des races pures sur le sol français et notamment de la meilleure d’entre elles : celle du pur-sang anglais. De manière assez convaincante elle affirme que ce que l’administration des haras doit « donner à la France, ce n’est pas du demi-sang, c’est du sang le plus pur, ce ne sont pas des chevaux croisés, c’est bien mieux que cela, le moyen d’en faire » 290 .

C’est en organisant des courses directement ou en allouant des prix que la Société d’Encouragement propagera ses idées et tentera, avec succès, d’affranchir l’organisation des courses de la réglementation des haras. Jusqu’en 1866 se courent ainsi sur les mêmes hippodromes des épreuves soumises à des règlements différents : celles du gouvernement, ou subventionnées par lui, au départ les plus nombreuses, soumises à l’arrêté, régulièrement modifié par la suite, du 5 janvier 1835, celles de la Société d’Encouragement, ou subventionnées par elle, soumises à son code des courses inspiré du règlement de Newmarket et, enfin, celles de sociétés particulières soumises au règlement choisi par les intéressés.

Le succès des courses de la Société d’Encouragement et de sa doctrine est foudroyant et se manifeste de plusieurs manières. Dès 1842 les prix royaux sont réservés aux seuls chevaux de pur-sang inscrits au stud-book de la race anglaise. Un décret impérial du 24-29 août 1854 291 , ratifié par la loi du 25 mai 1855, déclare d’utilité publique l’établissement dans la plaine de Longchamp d’un hippodrome affecté aux courses publiques de chevaux, et en 1856 un bail intervient entre la ville de Paris et la Société d’Encouragement portant sur la concession, au profit de cette dernière et pour une durée de 50 ans, du nouvel hippodrome. La même année l’administration des haras, redevenus impériaux, abandonne à la Société d’Encouragement l’organisation de certaines de ses courses les plus prestigieuses tout en maintenant les allocations qui leur étaient réservées. L’exemple de la Société d’Encouragement fait des émules : des société de courses sont créées dans toutes les grandes villes de province ainsi que dans les petits centres d’élevage et on assiste à l’avènement de deux nouvelles « société mères » 292 . Tout comme la Société d’Encouragement avait promu les courses plates, ces nouvelles sociétés encourageront l’organisation des courses dans d’autres spécialités. Ainsi sont fondées la Société des steeple-chases de France en 1863 (courses à obstacles) et la Société d’encouragement pour l’amélioration du cheval français de demi-sang en 1864 (trot attelé).

Le couronnement de la Société d’Encouragement intervient avec l’adoption du rapport du Maréchal Vaillant, ministre de la Maison de l’Empereur, et des arrêtés des 16 et 17 mars 1866 293 . En effet, l’article 10 de l’arrêté du 16 mars 1866 dispose que « L’arrêté ministériel du 30 janvier 1862 portant règlement général des courses et les titres IV et V de l’arrêté du 7 janvier 1863 sont abrogés. Désormais, les hippodromes sont régis : pour les courses plates, au galop, par le règlement de la Société d’Encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France ; - pour les courses à obstacle, par le règlement de la Société générale des steeple-chases ; - pour les courses au trot, par celui de la Société pour l’amélioration du cheval français de demi-sang ». Par ailleurs l’article 7 du même arrêté énonce que les commissaires aux courses 294 peuvent, lorsque les réclamations ou contestations relatives à l’issue d’une course présentent une importance ou une difficulté particulière, en déférer le jugement aux comités de chacune des société mères en fonction de leurs spécialités respectives.

En adoptant ces textes le gouvernement et l’administration des haras entendent renoncer définitivement à l’organisation des courses. Leur direction technique passe désormais entre les mains des trois grandes sociétés mères dont les règlements s’imposent à toutes les autres sociétés de courses. Cependant, tandis qu’il déléguait aux sociétés mères la direction technique des courses, le gouvernement s’est bien gardé d’accompagner ce transfert d’un droit de contrôle et d’un pouvoir de contrainte envers les autres sociétés : la nomination des commissaires et l’approbation des programmes de courses restent de la compétence du Grand Ecuyer, tâches que ce dernier cessera de remplir à partir de 1870. Ce qui fait dire à L-F. Gabolde, qui voit dans ces mesures « la première mainmise du gouvernement sur l’institution des courses », que « l’arrêté Vaillant de 1866 qui, par ailleurs, avait rendu un grand service en unifiant les règlements des courses, aboutissait (…) à placer seules, sans pouvoir, parées de leur seul prestige, la Société d’Encouragement et ses deux acolytes, à la tête de l’institution des courses pour la défendre contre les plus néfastes adversaires qui allaient se dresser contre elles » 295 , c’est-à-dire ceux qui spéculent sur les courses.

Notes
287.

Duv., t. XVI, p. 3.

288.

« La connaissance de toutes les difficultés qui pourraient naître à cet égard entre les concurrents est réservée exclusivement aux maires des lieux pour le provisoire et aux préfets pour la décision définitive, sauf le recours à notre Conseil d’Etat ». Le règlement complet des courses qui sera ensuite adopté par le ministre de l’Intérieur reviendra sur cette disposition et créera, dans chaque localité où se déroulent de telles épreuves, cinq juges aux courses : le premier d’entre eux sera le préfet, suivi de l’inspecteur de haras puis de trois propriétaires désignés par le ministre sur une liste proposée par le préfet. Ibid.

289.

L-F. Gabolde, Les sociétés de courses , op. cit., p. 127.

290.

Propos de Lord Henry Seymour, l’un des fondateurs de la société, rapportés par L-F. Gabolde, ibid, p. 186.

291.

D. 1854.IV.139.

292.

C’est le nom qu’on donne aujourd’hui aux deux sociétés spécialement agréées par le ministère de l’Agriculture pour diriger l’ensemble de la filière de leur spécialité, trot et galop, et qui disposent à ce titre de pouvoirs considérables : il s’agit de la Société Mère France Galop (courses plates et à obstacles) et de la Société Mère le Cheval Français (courses de trot attelé).

293.

Le Moniteur universel, 25 mars 1866, p. 358.

294.

Ceux-ci sont nommés, parmi les fonctionnaires de l’administration des haras dans chaque localité, par le Grand Ecuyer mais ce dernier peut déléguer aux sociétés de courses le choix des commissaires (article 2, 3 et 4 de l’arrêté du 16 mars 1866).

295.

L-F. Gabolde, Les sociétés de courses , op. cit., pp. 226 et 228.