Première partie : Les fondements juridiques de la maîtrise étatique du jeu

On ne saurait parler d’un « droit des jeux » ni d’une « maîtrise étatique du jeu », dotés de caractéristiques propres, sans qu’auparavant soient établies l’unité et la cohérence de la notion générique de jeu et, partant, l’intérêt d’une approche transversale du phénomène ludique. C’est cet objectif que se propose de satisfaire l’étude des fondements juridiques de la maîtrise étatique du jeu.

Sans doute est-ce sur la construction de la notion de jeu que repose en partie la solidité de cette recherche. On ne saurait toutefois se dissimuler les difficultés de l’entreprise, qu’illustre la diversité des catégories juridiques à travers lesquelles le jeu prend corps dans la loi. La conséquence principale de ces difficultés réside dans l’impossibilité de définir le jeu de manière satisfaisante, c’est-à-dire à l’aide de critères objectifs aisément identifiables. Mais cela ne paraît pas être un obstacle insurmontable dans la mesure où ce « handicap » affecte déjà la définition des manifestations particulières, textuelles, du jeu, de sorte que, finalement, ce « handicap » apparaît lui-même comme l’un des éléments essentiels de la cohérence interne de la notion de jeu.

En outre, l’existence d’un droit des jeux, si elle est conditionnée par la définition d’une notion générique recouvrant aussi fidèlement que possible les catégories particulières évoquées par les textes, dépend peut-être plus encore du constat de l’unité du régime juridique auquel renverrait chacune de ces catégories. Or, quelle que soit l’opération envisagée, elle est, en principe, soumise au régime civil de l’exception de jeu. Quant aux actes tendant à l’organisation de jeux de hasard, de paris ou de loteries, ils sont tous prohibés par la loi. C’est donc principalement à travers ce « régime de droit commun des jeux » que se réalise l’unité de la notion de jeu.

Par ailleurs, lorsque le juge national, éclairé par le juge communautaire, est amené à se prononcer sur la compatibilité de la législation ludique avec le principe de libre circulation inscrit dans le Traité instituant la Communauté européenne, son approche confirme, elle aussi, l’unité de la notion de jeu et du droit qu’on lui associe. En effet, lorsque la puissance publique octroie des droits spéciaux ou exclusifs à des opérateurs de jeu en vue de l’exploitation de jeux de hasard, de paris ou de loteries, son action constitue une entrave à la libre prestation de services. Mais elle n’en est pas moins compatible avec le Traité dans la mesure où des raisons impérieuses d’intérêt général – la protection du consommateur et la lutte contre la fraude – justifient en ce domaine la non application du principe de libre circulation 355 .

Enfin, dernier indice de cette unité : le discours sur le jeu. Qu’ils parlent de jeux de hasard, de paris ou de loteries, les auteurs de ce discours (législateur, juge et membres de la doctrine) évoquent manifestement le même objet : le champ lexical du vice est systématiquement mobilisé et ces opérations sont censées porter atteinte aux mêmes valeurs sociales.

En somme, les fondements juridiques de la maîtrise étatique du jeu résident autant dans l’existence d’une notion générique de jeu que dans celle d’un régime juridique et d’un discours spécifiques au jeu. Si l’unité du régime des jeux et du discours sur le jeu sont des éléments contribuant à l’édification de cette notion générique de jeu (titre I), ils permettent également de dégager les objectifs de la réglementation des jeux (titre II).

Notes
355.

CJCE 24 mars 1994 [C-275/92, Her majesty’s customs…c/ Schindler], Rec.I-1039.