Titre I : Le jeu, une notion casuistique et finaliste

Bien que le droit positif ne connaisse pas la notion générique de jeu telle que nous l’entendons, il contribue indirectement à sa définition en traçant les contours de chacune des opérations particulières auxquelles la notion de jeu renvoie et en les soumettant à un régime juridique uniforme. Ce faisant, il procède à l’acte fondateur de la maîtrise étatique du jeu en nommant le jeu, en disant ce qu’il est, c’est-à-dire une opération socialement inutile, immorale et dangereuse faisant naître l’espoir d’un gain qui serait du – même partiellement – au hasard en contrepartie d’un sacrifice pécuniaire des participants. Encore convient-il de démontrer que cette définition recouvre fidèlement les expressions de « jeu » et de « pari » figurant au Code civil, ainsi que celles de « jeu de hasard », de « pari sur les courses de chevaux », et « loterie » mentionnées par la législation pénale. Un tel résultat semble pouvoir être atteint si l’on envisage la notion de jeu sous un angle analytique, puis, sous un angle critique.

L’approche analytique du jeu repose d’abord sur l’étude du discours relatif à ses formes particulières, assez homogène dans les caractéristiques qu’il prête au jeu. Elle repose en second lieu sur l’étude des manifestations particulières du jeu dans chaque branche du droit, c’est-à-dire sur la définition de chacune de ces catégories et la compréhension du régime l’accompagnant. L’unité du discours sur le jeu et du régime des jeux contraste alors fortement avec la diversité des termes utilisés pour rendre compte du même phénomène (chapitre I).

Mais seule l’approche critique de la notion de jeu permet d’aboutir à la définition retenue plus haut. Une fois réduites à leur plus simple expression, les catégories civilistes de jeu et de pari paraissent difficilement pouvoir être distinguées des autres contrats aléatoires. Aussi est-ce un critère assez inattendu qui permet de qualifier mais aussi de classer les différents contrats de jeu : l’utilité sociale de l’opération. Quant aux catégories de jeu de hasard et de loterie en droit pénal, leur identification est censée reposer sur l’appréciation, par le juge répressif, de la part de hasard contenue dans un jeu. Mais une telle évaluation est mathématiquement impossible de sorte qu’il faille plutôt voir en elle l’appréciation de l’immoralité ou tout au moins de la dangerosité d’un jeu (chapitre II).