Section 2 - La quantification du hasard, critère douteux de qualification des jeux en droit pénal

L’expression « jeu de hasard », héritée des anciens articles 410 et 475-5 du Code pénal, est aujourd’hui inscrite dans la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard . Elle est aussi très présente dans le langage courant, expression à laquelle on préfère parfois celle, plus complète, de « jeu de hasard et d’argent ». On retrouve dans cette formule les trois éléments qui, outre celui d’offre publique, constituent les infractions de tenue de maison de jeux et de tenue de jeux de hasard sur la voie publique ou dans un lieu public, à savoir : le jeu (compétition à l’issue incertaine), le risque de perte et la prédominance du hasard. Ce dernier élément est embarrassant car il suppose que le juge se livre à une opération impossible : la quantification du hasard. En revanche, concernant les loteries visées par la loi du 21 mai 1836, le juge ne se livre pas à une telle appréciation puisque l’infraction est constituée dès lors que l’opération litigieuse dépend « même partiellement » du hasard. Toutefois, même en ce domaine, le juge est souvent amené à procéder à une simple opposition, elle aussi embarrassante, entre hasard et adresse, c’est pourquoi il pourra en être question de manière accessoire.

Comme nous l’avons relevé, la part de hasard devant être présente dans un jeu pour que celui-ci soit qualifié de jeu de hasard a varié : auparavant conçu comme un jeu dans lequel le hasard seul préside, le jeu de hasard est aujourd’hui celui dans lequel le hasard « prédomine sur l’adresse et les combinaisons de l’intelligence ». Prise à la lettre, l’expression signifie que le juge est amené à isoler et quantifier ce qui, dans un jeu, relève du hasard, d’une part, et de l’adresse – physique ou intellectuelle – du joueur, d’autre part. Autrement dit, si l’issue du jeu repose pour plus de 50 % sur le hasard, il s’agit d’un jeu de hasard. C’est bien là le sens de la formule « prédomine ».

Présentée de la sorte, l’opération de qualification à laquelle doit se livrer le juge répressif paraît déjà assez arbitraire et casuistique, et l’on peut penser avec le Professeur Bredin que lorsque « les notions aussi imprécises et abstraites que le hasard entrent dans les lois, le Droit ne peut prétendre à la rigueur scientifique. Le hasard ne se pèse ni ne s’évalue » 734 . Peser les parts respectives du hasard et de l’adresse dans un jeu paraît en effet assez difficile, mais la critique peut porter encore plus loin : l’opposition hasard/adresse a-t-elle vraiment un sens ? Certes elle vient à l’esprit assez naturellement et s’inscrit dans un schéma de pensée qui nous est familier ; ainsi considère-t-on que les échecs ou encore une course à pied sont des jeux d’adresse, alors que la roulette est un jeu de hasard. Et pourtant, il semble bien que cette opposition se révèle, à l’analyse, totalement inopportune : de même que l’on apprend à l’école à ne pas additionner les choux et les carottes, la logique semble exiger que l’on ne puisse opposer hasard et adresse.

Dans cette hypothèse, classer les jeux en deux catégories (jeux de hasard et jeux d’adresse) à l’aide de critères objectifs tenant seulement aux caractéristiques propres de chaque jeu, et à l’exclusion d’éléments relatifs à la psychologie des joueurs ou aux circonstances qui entourent le jeu, paraît être une entreprise irréalisable (§ 1). Le jeu de hasard, et dans une moindre mesure la loterie, seraient des notions fictives permettant à la loi et au juge d’interdire l’offre publique des jeux qu’ils jugent les plus immoraux et les plus dangereux (§ 2).

Notes
734.

Note sous CA Paris 19 décembre 1957 [Gauthey et autres c/ Sté du Figaro], D. 1958.J.230.