Conclusion du titre I

Dans une société aujourd’hui fortement marquée par l’idéologie de la possession et dont la vitalité économique repose, dit-on, en grande partie sur la spéculation boursière (dont nous avons vu qu’elle est une forme de jeu « utile »), la stigmatisation du jeu par le droit – qui y voit une pratique immorale et dangereuse, notamment en ce qu’elle heurte cette valeur sociale dominante qu’est le travail et révèlerait l’avidité de celui qui s’y livre – semble être l’héritage d’un autre temps. Celui où, par exemple, les contrats aléatoires faisaient l’objet d’une grande suspicion et où la spéculation était volontiers confondue avec l’agiotage. Depuis, il a bien fallu distinguer, parmi toutes les formes de spéculation, celle que le droit considère simultanément comme immorale, dangereuse et inutile : le jeu.

Surgit alors la première grande difficulté que pose le jeu au droit : il n’est pas définissable. Ou plutôt, sa définition peut difficilement satisfaire à l’objectif de rigueur scientifique auquel la discipline juridique aspire. On peut seulement dire de lui qu’il s’agit d’un contrat onéreux reposant sur un aléa (licite, mi-licite ou illicite). Bref, on en revient au point de départ : le jeu est spéculation. C’est donc au juge qu’il appartient de dire, au cas par cas, lorsqu’un contrat spéculatif est, ou non, ludique, en se livrant à l’appréciation de son utilité, de sa moralité et de sa dangerosité.

Voilà la raison pour laquelle, devant la réticence des juridictions de l’ordre judiciaire, il fallut une loi pour faire échapper la spéculation boursière au régime de l’exception de jeu. De même comprend-on que c’est uniquement en se livrant à une appréciation originale du sens du mot « hasard » que le juge est parvenu à circonscrire le champ des jeux dont l’offre publique est interdite par la loi. Alors, peut-être peut on dire que le jeu n’est qu’une forme de spéculation considérée par l’Etat comme inutile, immorale et dangereuse ou, pour être plus précis, une opération qui, dotée de ces caractères, fait naître l’espoir d’un gain qui serait du – même partiellement – au hasard en contrepartie d’un sacrifice pécuniaire des participants.